Algues vertes en Bretagne : des plans d'action aux objectifs "mal définis" et aux effets "incertains" sur la qualité des eaux, selon la Cour des comptes
Les deux plans de lutte contre la prolifération des algues vertes en Bretagne mis en œuvre depuis 2010 par les acteurs publics ont pâti d'objectifs "mal définis" et n'ont eu qu'un "impact limité" sur le niveau des échouages, selon un rapport de la Cour des comptes publié ce 2 juillet. La mobilisation des territoires s'est aussi faite sans soutiens publics suffisants, relève la Cour qui préconise de renforcer et d'étendre l'action engagée, en s'appuyant notamment sur les contrats territoriaux pour la mise en œuvre des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (Sage) et de "redéfinir les leviers incitatifs" au changement des pratiques et des systèmes agricoles.
Après la Commission des finances du Sénat fin mai et le tribunal administratif de Rennes début juin, c'est au tour de la Cour des Comptes de porter un jugement sévère sur la politique publique mise en œuvre pour lutter contre la prolifération des algues vertes en Bretagne. Dans un rapport de près de 300 pages publié ce 2 juillet, elle dresse un état des lieux des deux plans de lutte contre les algues vertes (2010-2015 et 2017-2021) mis en œuvre par les acteurs publics (Etat, collectivités territoriales, agence de l'eau).
L'azote d'origine agricole en question
La Cour commence par rappeler le caractère "scientifiquement expliqué" du phénomène des algues vertes qui affecte depuis plus de 50 ans le littoral breton, et plus particulièrement le département des Côtes-d'Armor, dont les deux baies de Saint-Brieuc et de la Lieue de Grève concentrent près des trois-quarts des échouages. En cause : des apports excessifs de nutriments – azote (à plus de 90% d'origine agricole) et phosphore - venant des fleuves côtiers, conjugués à une morphologie spécifique des baies concernées, relève le rapport. Outre l'impact sur les écosystèmes, plusieurs personnes sont décédées accidentellement depuis 1989 après avoir été exposées aux algues en décomposition qui libèrent un gaz mortel, l'hydrogène sulfuré.
Si les données de 2007 à 2020 montrent une "légère tendance à la baisse des échouages d'algues vertes sur les sites sableux", la tendance est à la hausse dans les vasières, notamment dans le Golfe du Morbihan. "Les travaux scientifiques montrent que seule une action sur l'azote peut permettre de limiter ce phénomène", souligne le rapport.
Des moyens financiers jugés "dérisoires"
Les deux plans successifs de lutte contre les algues vertes (Plav) ont souffert selon la Cour d'"objectifs mal définis et aux effets incertains sur la qualité des eaux". En l'absence d'objectifs clairs, il est difficile de mesurer leur impact spécifique, note-t-elle. Mais elle observe que "la dynamique de mobilisation des agriculteurs s'est essoufflée dans la plupart des bassins versants". Ainsi, "la pression d'azote épandu stagne depuis 2015" et "les actions de diffusion des bonnes pratiques culturales et de changements de systèmes (développement des herbages ou de l'agriculture biologique) ont produit peu de résultats tangibles".
Pour la Cour, le coût global des Plav – 109 millions d'euros de paiements de 2011 à 2019 de la part des financeurs publics (Etat, région, départements, agence de l'eau Loire-Bretagne, Ademe) et de la chambre d'agriculture – apparaît "dérisoire" au regard des aides du 1er pilier de la politique agricole commune (PAC) en Bretagne (entre 435 et 614 millions d'euros par an sur les six dernières années). Au final, seuls 19% des paiements du plan 1 et 25% pour le plan 2 ont été "effectivement consacrés à la prévention des fuites d'azote agricole". La mobilisation des territoires, a quant à elle pâti de "moyens d'appui insuffisants".
Les filières agroalimentaires ne se sont, en outre, "pas impliquées dans la prévention des fuites d'azote". "Ces filières sont restées à l’écart de la gouvernance, ainsi que des initiatives économiques des territoires pour développer de nouvelles filières ou de nouvelles exigences de qualité", souligne la Cour qui ajoute qu'elles ont même "bénéficié de soutiens publics sans contreparties en termes de prévention de ces fuites". "La région Bretagne, compétente en matière de développement économique, et l’agence de l’eau Loire-Bretagne n’ont pour leur part pas conditionné leurs soutiens aux filières agroalimentaires à des contreparties en termes de prévention des fuites d’azote, poursuit la Cour. En outre, lorsque les soutiens publics sont conditionnés à une certification du type haute valeur environnementale, le contenu des obligations correspondantes est très en deçà de la qualité déjà existante des pratiques de fertilisation."
"Cinq leviers" pour amplifier l'action engagée
"La réduction significative de ce phénomène ne pourra intervenir que par un élargissement et un renforcement des actions en faveur d'une agriculture à faibles fuites de nitrates", ajoutent les magistrats qui ont identifié "cinq leviers" à actionner "rapidement" pour "renforcer et étendre l'action engagée". Ils proposent ainsi d'étendre la lutte contre la prolifération des algues vertes au-delà des huit baies bretonnes concernées par les Plav en ayant recours aux outils de droit commun que sont les contrats territoriaux pour la mise en œuvre des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (Sage). Ils recommandent aussi la définition d'objectifs évaluables et d'en suivre la réalisation à l'échelle des bassins versants. Dans le cadre de la prochaine programmation de la PAC, ils invitent à redéfinir les incitations au changement des pratiques et des systèmes agricoles. Ils préconisent aussi de "mobiliser les leviers du foncier agricole et des filières agroalimentaires" et enfin, d'"adapter et faire respecter la réglementation en renforçant les contrôles".