Habitat - Dominique Braye : "Attention au coup de coeur!"
Localtis : Le secrétaire d'Etat au Logement, Benoist Apparu, vous a confié en juin dernier une mission sur les copropriétés. Pourquoi maintenant ? Pourquoi d'un seul coup tout le monde se met-il à parler avec un air grave du "problème des copropriétés dégradées"?
Dominique Braye : Le problème des copropriétés est un problème récurrent, sur lequel l'Agence nationale de l'habitat (Anah) intervient depuis de nombreuses années. Il concerne les zones sensibles en banlieue mais aussi des quartiers anciens en centre-ville. Si le problème arrive sur le devant de l'actualité ces temps-ci, c'est pour deux raisons. D'une part, les logements collectifs construits dans les années 1950-1970 commencent à sérieusement vieillir… en particulier lorsque l'entretien a été insuffisant. D'autre part, de nombreux maires voient que les copropriétés dégradées c'est ce qui reste, ce qui fait tâche, dans leurs quartiers rénovés par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Avec dans ces immeubles, un cocktail détonnant de bailleurs indélicats, de marchands de sommeil, de logements insalubres et de populations très fragilisées. Or clairement, sur cette question, les moyens de l'action publique ne sont pas optimisés, on doit pouvoir faire mieux.
Mieux comment ? Où en êtes-vous de votre travail ? Avez-vous des premières pistes ?
On a lancé le groupe de travail le 8 juillet, en essayant de rassembler toutes les personnes compétentes sur le sujet : les associations représentant les copropriétaires, les syndics, les notaires, les élus, etc. On va essayer d'entendre tout le monde et de boucler le rapport pour la fin de l'année. Pour simplifier, on distingue trois familles de copropriétés. Tout d'abord des copropriétés présentant des signes de fragilité sans gravité qui relèvent d'une approche préventive. Ensuite des copropriétés en difficulté sur les plans technique et social qui peuvent faire l'objet d'une action incitative. Enfin des copropriétés en situation très critique qui requièrent des dispositifs exceptionnels dont la caractéristique est une transformation importante de la structure de propriété.
Sur la prévention, il y a beaucoup à faire : il est anormal que des acheteurs puissent encore acquérir des appartements et apprendre la veille ou le lendemain de la signature de l'acte que des travaux monstrueux seront à payer. Mais il faut surtout protéger les acquéreurs contre eux-mêmes. Souvent on a un coup de coeur, on est sur un petit nuage lorsqu'on trouve l'appartement de ses rêves et on ne pense pas du tout qu'il y aura des charges à payer, que l'entretien des parties communes est obligatoire.
Mais concrètement, avez-vous espoir de voir des mesures adoptées avant la présidentielle ?
Non, c'est peu probable. Cependant, avant même de parler de l'aspect juridique et financier du sujet, il y a gros travail de connaissance à réaliser. On connaît mal les copropriétés, les chiffres disponibles sont construits au doigt mouillé ; on a du mal à comparer les diverses situations locales. L'idée est d'abord de cerner le sujet, de connaître mieux les difficultés pour apporter les bons remèdes. Par exemple, nous savons que la durée de nos plans de sauvegarde est trop courte, pas adaptée à la situation. Nous savons que le travail de redressement devrait être suivi beaucoup plus finement, à long terme, que certaines procédures d'alerte sont inadaptées. On doit pouvoir intervenir mieux, parfois plus en amont, et surtout plus efficacement sur les situations très dégradées.
Sur tous ces sujets, la mission fera des propositions concrètes, qui seront soit du domaine législatif, soit du domaine réglementaire. Enfin, il y aura au terme de ce travail une adaptation du règlement général de l'agence. Les aides aux syndicats de copropriétaires avaient en effet été exclues du champ de la réforme de l'an dernier du régime des aides [NDLR : réorientation des aides en direction des propriétaires occupants, resserrement des critères d'accès global aux aides].
Vous parlez d'une intervention forte sur les copropriétés, de nouvelles mesures. Mais il me semble que le budget de l'Anah ne soit pas au mieux… Soyons directs, on est en septembre, savez-vous quel est votre budget pour 2012 ? D'où viendra cet argent ? Aurez-vous les moyens de tenir vos engagements sur les Opah en cours et d'en engager de nouvelles ?
En 2012, on devrait disposer de 420 millions d'euros, puis 400 millions pour 2013 et pour 2014 en provenance d'Action logement. C'est en tout cas ce qui est prévu [NDLR : sur ce sujet, voir notre article du 28 juillet 2011]. Il ne devrait pas y avoir d'enveloppe complémentaire à l'exception des fonds du grand emprunt dédiés au programme "Habiter mieux". Au total, on espère distribuer en 2012 à peu près autant d'aides qu'en 2011, autour de 470 millions d'euros, peut-être un peu plus [NDLR : pour mémoire, l'enveloppe distribuée en 2010 était de 556 millions d'euros, 619 millions en 2009, 526 millions en 2008, 560 millions en 2007]. Mais, oui, évidemment, en tant que président de l'Anah, je me fais du souci sur les recettes de l'agence et la soutenabilité de mon budget. Ce n'est pas normal qu'à un mois et demi de voter le budget, je sois encore dans l'incertitude.
Concernant les copropriétés, ca n'a clairement rien à voir avec le budget annuel de l'agence. Si on veut un impact sérieux, il va falloir parler de milliards, pas de dizaines de millions d'euros. Le but de la mission est d'utiliser au mieux les enveloppes contraintes qui nous sont allouées, mais il est indéniable que sur les copropriétés dégradées ou très dégradées, il va falloir de l'argent public.
Pour le reste, l'Anah fait avec l'argent qu'elle a : bien sûr on ne peut que souscrire aux déclarations de Roselyne Bachelot selon lesquelles il faudrait adapter à la dépendance 40.000 logements, que cela coûterait moins cher que de mettre les personnes âgées en maison de retraite. Mais l'Anah a le budget pour traiter 9.000 logements. Et c'est tout.
Pour en revenir aux copropriétés, est-ce qu'il ne serait pas plus simple, dans le cadre d'un éventuel PNRU II, que l'Anru s'occupe des copropriétés qui sont dans les quartiers Anru, et que l'Anah se concentre sur les centres-ville anciens et le rural ?
C'est un raisonnement absurde. Si on lui en donne les moyens, l'Anah est la mieux à même d'apporter une réponse économique et efficace sur les copropriétés en difficultés qu'elles soient en banlieue ou en centre-ville. Tout simplement parce que c'est notre métier... et que vous n'allez pas acheter votre baguette chez le boucher. Les interlocuteurs de l'Anru, ce sont les bailleurs sociaux, les aménageurs. Le travail sur le parc privé, c'est un travail de dentelle, de relations avec les copropriétaires. L'Anah a la culture, les réseaux, les compétences pour faire efficacement ce travail. Quel que soit le lieu d'implantation de l'immeuble, les problèmes rencontrés sont assez proches. Bien sûr, il ne faudrait pas intervenir sur une copropriété en banlieue sans monter un véritable projet urbain autour, pour le quartier. Mais ce travail de coopération entre les deux agences est déjà effectif sur le terrain. L'important, c'est qu'on puisse mettre à la disposition des acteurs locaux les bons outils pour prendre le problème à bras le corps.
Vous êtes sénateur depuis quinze ans, et l'un des principaux artisans de la politique nationale du logement ces dernières années. Quel bilan tirez-vous du quinquennat ? Sur quoi pouvez-vous dire : "là, on a été bons".
Le principal changement est l'ampleur du mouvement de construction de logements sociaux. On a atteint 130.000 logements financés en 2010. Le souci, c'est que le nombre de ménages augmente toujours autant, en raison notamment du nombre de couples qui se séparent [NDLR : on retrouve là notre fil conducteur, "méfiez-vous du coup de coeur"]. Cela semble être un puits sans fond. On a aussi réussi à faire prendre conscience de l'existence de zones tendues. Car clairement, le problème du droit au logement opposable, c'est le problème de trois régions.
Imposer 70.000 logements territorialisés dans la loi sur le Grand Paris, ça aussi c'est une vraie avancée. Mais plus largement, le fait marquant de ces dernières années c'est la prise de conscience par les élus locaux qu'il faut construire. Y compris dans les communes SRU. Aucun gouvernement n'avait eu autant de courage pour imposer des logements à des collectivités réticentes.
Plus largement, je n'aurais jamais imaginé il y a quinze ans que les collectivités interviendraient autant sur le logement. Et pas seulement en paroles, les financements apportés sont considérables. Sur ce domaine comme sur d'autres, il faut être cohérent. On a voulu nous, collectivités, la décentralisation, on est décentralisateurs. Il faut ensuite assumer, y compris en espèces sonnantes et trébuchantes. On veut plus de responsabilités sur ce type de politique parce qu'on sait aujourd'hui qu'on peut sur de nombreux sujets faire mieux avec autant ou moins.