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Asile / Hébergement - Deux circulaires pour vérifier la situation administrative dans les centres d'hébergement et accélérer le relogement

Gérard Collomb en avait annoncé le contenu lors d'une récente réunion avec les associations en charge de l'hébergement des réfugiés et des demandeurs d'asile, qui s'était soldée par le départ des représentants des associations (voir notre article ci-dessous du 11 décembre 2017). Quelques jours plus tard, une circulaire aux préfets, en date du 12 décembre et mise en ligne le 18 décembre, vient officialiser les modalités d'"examen des situations administratives dans l'hébergement d'urgence". Elle est signée également par Jacques Mézard, le ministre de la Cohésion des territoires (en charge du logement), qui n'était pas présent à la réunion tenue au ministère de l'Intérieur.

Une réaffirmation de l'inconditionnalité de l'accueil

La circulaire commence par rappeler les termes du premier alinéa de l'article L.345-2-2 du code de l'action sociale et des familles (CASF), qui pose le principe de l'inconditionnalité de l'accueil en prévoyant que "toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence". Elle rappelle aussi que "cet accès n'est pas, s'agissant des ressortissants étrangers, subordonné à une condition de régularité́ du séjour".
Ce principe posé, la circulaire du 12 décembre rappelle toutefois que si la situation administrative des personnes hébergées dans le cadre du dispositif national d'accueil fait l'objet d'un suivi approprié par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), il n'en est pas de même pour les publics qui se trouvent hébergés dans le parc d'hébergement d'urgence généraliste" (comme les CHRS).
Une situation jugée "préjudiciable" à la prise en compte des situations juridiques, sociales et administratives des personnes hébergées, "y compris pour leur permettre d'accéder, le cas échéant, à leurs droits ou à une orientation adaptée". Cette situation contribue, en outre, "à la saturation du dispositif d'hébergement d'urgence généraliste".

"Un dispositif de suivi administratif robuste"

La circulaire demande donc aux préfets de "bâtir localement un dispositif de suivi administratif robuste des personnes étrangères en hébergement d'urgence". Il s'agit ensuite de veiller "à des orientations adaptées, soit vers le dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile pour ceux qui souhaitent s'engager dans cette démarche ou sont déjà enregistrés comme demandeurs d'asile, soit vers le logement pour ceux qui ont droit au séjour, soit vers un transfert ou un retour pour ceux qui ne remplissent aucune condition de droit au séjour".
En pratique, il conviendra de procéder à un bilan administratif et social des personnes accueillies dans le dispositif d'hébergement d'urgence. Celui-ci sera réalisé, in situ, par des "équipes mobiles", composées d'un ou plusieurs agents de préfecture (de catégorie A ou B) compétents en droit des étrangers, d'un ou plusieurs agents de l'Ofii et, "en fonction des ressources mobilisables et du contexte local, de personnels compétents en matière de veille ou d'évaluation sociales".
Ces équipes devront prévenir le centre d'hébergement de leur passage au moins 24 heures à l'avance. Elles devront aussi "s'entretenir avec les personnes de nationalité étrangère, déterminer leurs conditions légales de séjour en France et s'assurer qu'elles ont pu faire valoir l'ensemble de leurs droits". Si nécessaire, elles pourront les convoquer pour un examen de situation plus poussé en préfecture ou à l'Ofii.

Trois orientations principales à l'issue de l'examen

Au terme de cet examen, les équipes mobiles pourront préconiser une orientation. Sur ce point, la circulaire liste les principales orientations possibles : orientation vers un logement pérenne pour les personnes bénéficiaires de la protection internationale, délivrance rapide d'un titre de séjour et recherche d'une solution de sortie vers le logement ou un hébergement d'insertion pour les personnes pouvant en bénéficier après examen ou mise à jour de leur situation (ou, en l'absence de possibilité d'admission au séjour, notification rapide d'une mesure d'éloignement) et, enfin, pour les personnes en situation irrégulière faisant l'objet d'une OQTF (obligation de quitter le territoire français), proposition d'une aide au retour ou - si elles la refusent - orientation "vers un dispositif adapté en vue de l'organisation d'un départ contraint".

Des réserves du Défenseur des droits

La publication de cette circulaire intervient dans un climat tendu. Toutes les fédérations représentant l'hébergement d'urgence et, plus largement, tous les acteurs de la prise en charge des réfugiés y voient en effet une remise en cause de l'inconditionnalité de l'accueil prévue par le CASF, malgré le rappel liminaire de la circulaire.
Dans une prise de position du 18 décembre - à l'occasion de la Journée internationale des migrants et sans viser explicitement la circulaire mise en ligne le même jour -, le Défenseur des droits estime, pour sa part, que "l'affaiblissement de l'effectivité des droits des étrangers est aujourd'hui sans précédent". Pour le Défenseur, depuis 18 mois - autrement dit, depuis la parution de son rapport sur les droits fondamentaux des étrangers en France -, "les constats dressés dans ce rapport ont revêtu une acuité croissante. Jamais le droit et les pratiques administratives n'ont autant appréhendé les individus comme 'étrangers' avant de les considérer comme des enfants, des malades, des travailleurs ou des usagers du service public, ce qu'ils sont comme tout autre personne".
D'autres éléments créent également une tension autour de la question des réfugiés. C'est notamment le cas de l'adoption par l'Assemblée nationale, en première lecture, de la proposition de loi "permettant une bonne application du régime d'asile européen" (voir notre article ci-dessous du 11 décembre 2017). Pour sortir d'une impasse jurisprudentielle sur la "procédure Dublin" (relocalisation des réfugiés dans le pays d'entrée dans l'Union européenne), cette proposition de loi facilite le placement en rétention des demandeurs d'asile concernés, dès lors qu'ils se trouvent dans l'un des onze cas de "risque non négligeable de fuite" recensés par le texte .

Un projet de loi "pour un droit d'asile garanti et une immigration maîtrisée"

Le principal point de focalisation reste, sans nul doute, le projet de loi "pour un droit d'asile garanti et une immigration maîtrisée", qui devrait être présenté à un conseil des ministres du début de l'année 2018. Ce texte - qui doit procéder à la "refondation complète" de la politique migratoire annoncée par Emmanuel Macron devant les préfets, le 5 septembre dernier (voir notre article ci-dessous du même jour) - prévoit notamment que, pour lutter contre l'immigration irrégulière, la durée maximale de rétention pour les étrangers en attente d'expulsion serait portée de 45 à 90 jours (pour 180 jours en Allemagne). En contrepartie, le projet de loi devrait améliorer les procédures de l'asile pour les réfugiés et renforcer la politique d'intégration.

Une concession sur les "pays tiers sûrs"

Devant les réactions, y compris au sein de la majorité parlementaire, le ministre de l'Intérieur a fait un geste en annonçant renoncer à introduire dans le texte la notion contestée de "pays tiers sûr", qui aurait permis de renvoyer un candidat à l'asile vers un pays (hors UE) par lequel il a transité, s'il apparaît que ses liens avec le pays sont assez forts et qu'il y bénéficie d'un niveau de protection conforme aux conventions internationales.
Cette disposition - qui a également fait l'objet d'un avis défavorable de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, le 19 décembre - aurait dû notamment servir pour permettre le renvoi vers le Brésil de demandeurs d'asile d'origine haïtienne arrivés en Guyane en passant par ce pays, mais elle a également été utilisée par l'UE pour renvoyer des réfugiés syriens en Turquie. En dépit de cette concession, la notion de pays tiers sûr pourrait d'ailleurs être réintroduite au niveau européen.
Dans un souci d'apaisement, les associations ont également été reçues le 21 décembre par Edouard Philippe - en compagnie de Gérard Collomb et Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé -, afin de "lancer la consultation sur la politique d'asile et d'immigration". La veille, le Premier ministre avait affirmé que l'objectif du gouvernement "n'est pas de revenir sur l'inconditionnalité de l'accueil", mais de faire en sorte "qu'on améliore très nettement [...] la façon dont la France accueille les demandeurs d'asile". Il reste néanmoins que le projet de loi et la politique de l'asile et de l'immigration devraient sans doute être un des sujets chauds du premier trimestre 2018.

Accélération du relogement des bénéficiaires d'une protection et fin de l'aide aux communes
Une seconde circulaire du 12 décembre 2017, également signée des ministres de l'Intérieur et de la Cohésion des territoires, est consacrée au relogement des personnes bénéficiaires d'une protection internationale. Celle-ci commence par rappeler que le nombre de réfugiés présents dans les structures d'hébergement pour demandeurs d'asile du dispositif national d'accueil (DNA) est estimé à 13.000 personnes et que "plus de 5.000 réfugiés sont recensés dans les dispositifs d'hébergement d'urgence, faute de sortie vers le logement".
La circulaire fixe donc aux préfets un objectif national de mobilisation de logements destinés aux bénéficiaires d'une protection internationale de 20.000 logements d'ici à la fin de 2018. Ceux-ci se répartiront en 15.000 "logements locaux au profit des bénéficiaires d'une protection internationale actuellement présents sur votre territoire dans les structures d'hébergement pour demandeurs d'asile et d'urgence généralistes", 2.500 logements pour les bénéficiaires de la protection internationale en mobilité et mis à disposition de la plateforme nationale de logement des réfugiés et 2.500 logements pour les réfugiés réinstallés à la demande du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), arrivant du Liban, de la Jordanie, de la Turquie et prochainement d'Afrique subsaharienne, et pour lesquels des opérateurs sont chargés d'assurer le relogement dans le cadre d'un financement européen.
La circulaire fixe également des objectifs régionaux de relogement des réfugiés, pour les 17.500 logements hors contingent HCR. Ces objectifs, qui ne concernent ni l'Ile-de-France, ni la Corse, vont de 925 en Bretagne à 2.472 en Auvergne-Rhône-Alpes et 2.470 dans le Grand Est, en passant par 1.995 en Nouvelle-Aquitaine, 1.631 dans les Hauts-de-France et 1.480 en Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Outre un suivi mensuel précis des relogements et du nombre de réfugiés présents dans les structures d'hébergement pour demandeurs d'asile ou de droit commun (voir article ci-dessus), les préfets sont invités à "mobiliser" les bailleurs publics et privés - notamment sous la forme d'une contractualisation d'objectifs - et à "structurer" les initiatives privées, de façon à trouver des solutions de relogement "adaptées aux besoins de ces personnes dans un objectif final d'autonomie et d'intégration". Les préfets sont également invités à veiller "à ce que les élus locaux soient engagés dans l'atteinte de ces objectifs, [...] à la fois pour identifier et proposer des logements mais aussi pour favoriser et encourager l'ensemble des dynamiques locales nécessaires à la bonne intégration des réfugiés".
Au passage, la circulaire confirme que les aides aux communes pour le relogement des réfugiés (d'un montant unitaire de 1.000 euros), prévues par la circulaire du 9 novembre 2015 pour les logements mis à disposition avant le 31 décembre 2017, ne seront pas reconduites en 2018.

 

Références : ministère de l'Intérieur, ministère de la Cohésion des territoires, circulaire du 12 décembre 2017 relative à l'examen des situations administratives dans l'hébergement d'urgence (mise en ligne d'le 18 décembre 2017) ; instruction relative au relogement des personnes bénéficiaires d'une protection internationale (mise en ligne le 18 décembre 2017).

 

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