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Dépendance : le Sénat propose une assurance obligatoire par répartition et un "surloyer solidaire" en Ehpad

Un rapport des sénateurs Bernard Bonne et Michèle Meunier aborde, de façon très fouillée, la question du financement de la dépendance par les personnes âgées et par les familles. Les propositions formulées se distinguent sur bien des points de celles du rapport Libault. Il prône entre autres le recours, en complément de la solidarité nationale, à une solution assurantielle.

Alors que Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, vient de remettre son rapport sur la prise en charge de la dépendance (voir notre article ci-dessous du 28 mars 2019), Bernard Bonne, sénateur (LR) de la Loire, et Michèle Meunier, sénatrice (Socialiste) de Loire-Atlantique, remettent à leur tour un rapport d'information sur le sujet, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) et de la commission des affaires sociales du Sénat. Intitulé "Diminuer le reste à charge des personnes âgées dépendantes : c'est possible !", et s'appuyant sur une solide réflexion, ce rapport très fouillé est centré sur la question du financement de la dépendance par les personnes âgées et par les familles. Il correspond donc à une approche moins large que celle du rapport Libault.

Un reste à charge moyen de près de 500 euros par mois

Sur le financement, le rapport Libault plaide pour différentes formules de financement public, dont la création, à partir de 2024 (date d'extinction de la dette sociale gérée par la Cades), d'un nouveau prélèvement social dédié utilisant l'assiette de la CRDS. Il préconise en revanche très clairement de "ne pas mettre en place une assurance privée obligatoire", mais de "favoriser le développement de produits d'assurance privée facultative, en mettant en place un cadre clair et homogène pour ces contrats, afin de sécuriser les souscripteurs et de favoriser leur développement" (voir notre article ci-dessous du 28 mars 2019).

Le rapport d'information de la Mecss et de la commission des affaires sociales du Sénat se prononce en revanche, tout aussi clairement, pour une assurance dépendance obligatoire. Mais les points de convergence entre les deux approches sont finalement plus nombreux qu'il y paraît au premier abord. La convergence porte d'abord sur le constat : le rapport de la Mecss estime que la prise en charge des personnes âgées en perte d'autonomie représente une dépense publique de 23 milliards d'euros (dont 13 milliards pour l'assurance maladie, 6 milliards pour les départements, 2 milliards pour la CNSA et 2 milliards pour l'État). Malgré l'importance de cette dépense, le reste à charge global s'élève à 7 milliards d'euros (dont 4 milliards pour l'hébergement et 3 milliards pour la prise en charge de la dépendance - essentiellement la participation aux plans d'aide financés par l'APA -, le volet soins étant en revanche couvert quasi intégralement par l'assurance maladie). Le reste à charge moyen s'établit ainsi à 490 euros par mois, avec toutefois des écarts considérables selon les situations.

Conserver les compétences des départements, malgré une forte "hétérogénéité territoriale"

En outre, le rapport de la Mecss se montre sévère sur les "disparités importantes et peu justifiables entre établissement et domicile" (qui poussent à l'entrée en Ehpad). Il pointe aussi "une hétérogénéité territoriale dont les causes réelles doivent être discutées". Le rapport vise ainsi les variations entre départements dans l'attribution de l'APA à domicile et en établissement, dans la valeur moyenne des points GIR départementaux, dans les montants moyens des plans d'aide (548 euros par mois dans l'Hérault et 259 euros dans le Territoire de Belfort) ou encore dans l'attribution de l'aide sociale départementale à l'hébergement (ASH). Des constats que l'on retrouve aussi - en termes plus diplomatiques - dans le rapport Libault.

Le rapport de la Mecss et de la commission des affaires sociales du Sénat estime néanmoins "que ce risque d'hétérogénéité, globalement plutôt contenu, s'explique davantage par un contexte budgétaire particulièrement contraint que par une propension irréductible à la différenciation". Et, pour les auteurs, il demeure "capital que la prise en charge de la perte d'autonomie soit régie par un acteur public de proximité, et non par un acteur déconcentré [...]". Le rapport propose d'ailleurs "dans le déploiement de la réforme à venir de la prise en charge de la dépendance, [de] conserver au conseil départemental les attributions que suppose sa compétence de droit commun en matière sociale".

Pour un "surloyer solidaire" en Ehpad

Sur la question du financement, la mission partage la position du rapport Libault, en considérant comme "un impératif républicain à maintenir, mais à parfaire" le fait de "solvabiliser la perte d'autonomie par la solidarité nationale". Mais, en même temps, le rapport estime que le financement de la dépendance est "contraint par les limites de la pression fiscale". D'où "la nécessité de faire émerger d'autres logiques de contribution pour la couverture de la perte d'autonomie"

Sur l'hébergement, la mission d'information propose ainsi d'instaurer un "surloyer solidaire" en Ehpad, afin "d'introduire une redistribution horizontale entre résidents". Si le terme de surloyer solidaire - calqué sur l'exemple des logements sociaux - ne va pas manquer de faire polémique, le mécanisme rejoint en réalité celui proposé par la Mutualité française dans le cadre de la consultation Grand âge et autonomie : instaurer des tarifs différenciés en Ehpad en fonction des revenus des résidents et des familles (voir notre article ci-dessous du 13 février 2019).

Assurance publique ou assurance privée ?

Sur la prise en charge de la dépendance, le rapport se montre très réservé face à l'hypothèse d'une seconde "journée de solidarité". Il se montre également très sceptique sur des ressources qui proviendraient durablement d'éventuels excédents de la sécurité sociale et sur l'utilisation du produit des recettes affectées aujourd'hui au remboursement de la dette sociale. La mission plaide donc plutôt pour un recours, à titre complémentaire de la solidarité nationale, à une solution assurantielle. Mais sous la réserve majeure de passer du système volontaire actuel - qui montre ses limites (783 millions d'euros de cotisations en 2017 et 215 millions de prestations en 2015, à comparer aux 6 milliards d'euros de l'APA) - à une assurance dépendance obligatoire fonctionnant par répartition, ce qui est "bien plus cohérent lorsque l'aléa du risque couvert ne dépend pas directement du revenu".

Pour éviter des distorsions, cette assurance dépendance se fonderait sur le recours obligatoire à la grille Aggir et sur une homogénéisation de l'évaluation des besoins et des diagnostics. Seul point de divergence entre les deux rapporteurs : pour Bernard Bonne (LR), le secteur privé doit conserver la gestion de cette assurance dépendance, alors que Michèle Meunier (Socialiste) préconise son intégration au système public de sécurité sociale.

Enfin, au-delà de la solidarité nationale et des mécanismes assurantiels, les rapporteurs s'interrogent aussi sur l'opportunité d'une "sollicitation accrue des patrimoines privés". En clair, il pourrait s'agir notamment de solliciter davantage des instruments comme le prêt viager hypothécaire (ou d'autres formes comme le viager de gré à gré ou le viager mutualisé), mais aussi de revoir la fiscalité des résidents en Ehpad (par exemple en revenant sur le principe de l'exonération de la taxe d'habitation de l'ancien domicile).

 

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