Dépendance : une "grande loi" à l'automne et dix milliards d'euros à trouver
Dominique Libault, président du Haut conseil du financement de la protection sociale, a remis ce 28 mars à Agnès Buzyn son rapport très attendu sur le grand âge dans lequel il formule 175 propositions pour prévenir et prendre en charge la dépendance et favoriser l'autonomie et le maintien à domicile. Il préconise notamment la création de 80.000 postes dans les Ehpad et estime que le département doit assumer une fonction d'ensemblier des réponses de proximité auprès des personnes âgées, portées notamment par les communes et intercommunalités. La ministre de la Santé a confirmé la mise en chantier d'une "grande loi" sur la dépendance qui fera l'objet d'"annonces prochaines", a-t-elle dit à la réception du rapport.
Comme annoncé (voir notre article ci-dessous du 11 mars 2019), Dominique Libault, président du Haut conseil du financement de la protection sociale et ancien directeur de la sécurité sociale de 2003 à 2012, a remis à Agnès Buzyn, le 28 mars, son rapport sur la dépendance, issu des réflexions de dix groupes de travail thématiques et de cinq forums régionaux, mais aussi des résultats de la consultation citoyenne sur le plan Grand âge et autonomie, qui a rencontré un succès inattendu (voir notre article ci-dessous du 7 décembre 2018). Très fouillé (230 pages), le rapport formule pas moins de 175 propositions pour prévenir et prendre en charge la dépendance et favoriser l'autonomie et le maintien à domicile.
80.000 postes à créer dans les Ehpad
Le chiffre choc issu du rapport réside bien sûr dans les 9,2 milliards d'euros de dépenses supplémentaires annuelles que le rapport juge indispensables de financer à l'horizon 2030 pour faire face à la montée du nombre de personnes très âgées, avec notamment la perspective d'un doublement du nombre de personnes dépendantes d'ici à 2050. La dépense totale passerait alors de 1,2 à 1,6% du PIB. Ce montant s'explique notamment par la nécessité d'un renforcement des moyens en Ehpad - que le rapport chiffre à 80.000 postes supplémentaires (+25%), doublé d'un plan de rénovation des Ehpad de trois milliards d'euros sur dix ans -, et par une amélioration de la prise en charge à domicile.
Après un recensement des constats et des enjeux, le rapport propose en effet de "changer de modèle". Ce changement de paradigme porte sur tous les aspects de la question : le regard porté sur le grand âge et la place des aînés dans la société, l'autonomie des personnes âgées, l'amélioration de leurs conditions de vie, la revalorisation des métiers du grand âge, l'accompagnement des personnes âgées...
Le cinquième risque fait son retour
Parmi les mesures préconisées, on retiendra notamment le retour du cinquième risque, avec la proposition de "reconnaître la perte d'autonomie comme un risque de protection sociale à part entière". Sur son financement, le rapport évoque deux "hypothèses" dans un premier temps, mais "sans les privilégier" : l'institution d'une seconde journée de solidarité et l'augmentation des droits sur les donations et sur les successions "importantes".
A terme, la réponse passe plutôt toutefois par la création, à partir de 2024 (date d'extinction de la dette sociale gérée par la Cades), d'un nouveau prélèvement social dédié utilisant l'assiette de CRDS. En revanche, le rapport préconise très clairement de "ne pas mettre en place une assurance privée obligatoire", mais de "favoriser le développement. de produits d'assurance privée facultative, en mettant en place un cadre clair et homogène pour ces contrats, afin de sécuriser les souscripteurs et de favoriser leur développement".
Le rapport avance également de nombreuses autres propositions, comme un nouveau modèle d'Ehpad avec des unités plus petites (et une diminution de l'offre au profit du domicile), le développement de solutions intermédiaires (hébergement temporaire, accueil de nuit...), la réduction du reste à charge grâce à la création d'une nouvelle prestation de 300 euros mensuels pour les revenus compris entre 1.000 et 1.600 euros (puis dégressive ensuite), la fixation d'un tarif plancher de 21 euros de l'heure pour les services à domicile avec une subvention complémentaire de 3 euros de l'heure pour des tâches comme la coordination (soit un financement supplémentaire total pour les Saad de 550 millions d'euros)…
Quel rôle pour les départements ?
Sur le terrain, le rapport Libault recommande de "piloter l'offre sur les territoires, au plus près des personnes, tout en garantissant mieux des réponses homogènes et équitables". Cela suppose en particulier de "repositionner le conseil départemental en proximité de la personne âgée et de renforcer la conduite partenariale de la politique du grand âge au niveau départemental". Non sans un certain flou, le rapport estime ainsi que "le département, chef de file de l'action sociale auprès de la personne âgée, doit assumer une fonction d'ensemblier des réponses de proximité, portées notamment par les communes et intercommunalités". Les départements doivent également "réinvestir les aspects non strictement médicosociaux de la politique du grand âge, dans le respect des compétences des autres niveaux de collectivités".
Ce copilotage devrait se matérialiser par la création d'une "conférence départementale du grand âge, qui engloberait les actuelles conférences des financeurs, porterait une stratégie départementale de l'offre et piloterait des chantiers thématiques (métiers, systèmes d'information, transformation de l'offre notamment)".
Plus surprenant : le rapport préconise d'instaurer un copilotage des Maisons des aînés et des aidants entre le département et l'ARS. Ces maisons seraient le guichet unique de proximité dédié aux personnes âgées et à leurs proches aidants. Elles résulteraient de la fusion de plusieurs dispositifs actuels : Maia, Clic, Paerpa... Enfin, le rapport propose d'expérimenter un pilotage unique des évaluations médicosociales par les départements.
En revanche, sur l'offre médicosociale, le rapport Libault plaide plutôt pour le scénario d'un pilotage unifié, avec possibilité de délégation de compétence : les Ehpad et les Ssiad relèveraient des ARS et les Saad (services d'aide à domicile) des départements. De son côté, la CNSA verrait son rôle renforcé, "notamment en matière de pilotage financier et de garanties d'équité entre les territoires".
Pour Agnès Buzyn, "trois leviers, trois priorités"
A la réception du rapport Libault, Agnès Buzyn a confirmé la mise en chantier d'une "grande loi" sur la dépendance, comme elle l'avait laissé entendre il y a quelques jours (voir notre article ci-dessous du 11 mars 2019). Sans en dévoiler le contenu, qui fera l'objet d'"annonces prochaines", la ministre des Solidarités et de la Santé a indiqué qu'elle retenait d'ores et déjà " trois leviers, trois priorités". Il s'agit en premier lieu de "la qualité des prises en charge et le renforcement de la prévention, en établissement comme dans les services à domicile". En établissement, "cela passera nécessairement par une augmentation forte, programmée et continue de la présence humaine auprès de la personne âgée. Dans les services, cela devra passer, entre autres, par une réforme des financements adossée à des objectifs de qualité".
La seconde priorité est la baisse du reste à charge en établissement, sans toutefois qu'Agnès Buzyn indique si elle se rallie à la proposition du rapport Libault sur la mise en place d'une prestation de compensation. Enfin, la troisième priorité concerne la revalorisation des métiers du grand âge, afin d'"augmenter drastiquement l'attractivité du secteur". Pour la ministre, ceci passera nécessairement par une augmentation des effectifs "pour accroître le temps de présence auprès des personnes", par un renforcement de la prévention de la pénibilité et des accidents du travail, par une évolution des formations et des compétences et, enfin, par la mise en œuvre de perspectives de carrière. Agnès Buzyn a précisé que ces trois priorités "ne résumeront pas notre réforme, qui sera bien plus large. Mais elles en feront nécessairement partie".