Social - Dépendance : vers le cinquième risque ?
Pour construire en 2019 le "cinquième risque perte d'autonomie" tel que voulu par le président de la République, le débat devra permettre de trancher les questions du périmètre - dépendance liée au grand âge, aussi au handicap ? -, du mécanisme financier et de l'étendue du dispositif, ou encore de la place des départements. La ministre des Solidarités et de la Santé a du pain sur la planche, sur ce sujet comme sur les prestations sociales et le plan Pauvreté, avec des annonces attendues pour la rentrée.
La phase qui s'est ouverte avec la crise et les conflits sociaux autour de la réforme tarifaire des Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) pourrait bien s'achever sur la création d'un cinquième risque de sécurité sociale, consacré à la prise en charge de la perte d'autonomie (après les risques "historiques" : maladie, famille, vieillesse et maladies professionnelles et accidents du travail). C'est en tout cas ce qu'a clairement laissé entendre Emmanuel Macron, le 13 juin, dans son discours sur sa politique sociale devant la Mutualité française, en affirmant qu'"il nous faut construire un nouveau risque" (voir notre article du 13 juin 2018).
Une loi dès 2019
Des propos réitérés dans son discours devant le Congrès réuni à Versailles, lorsque le chef de l'État a indiqué que "l'année 2019 [serait] consacrée à ce travail". "Je souhaite qu'une loi soit votée durant cette année qui permette d'y répondre", a-t-il ajouté (voir notre article du 9 juillet 2018).
Au lendemain du discours du Congrès de Versailles, Agnès Buzyn s'est contentée d'affirmer qu'elle "ne [veut] absolument pas [s]'engager" et que "le débat est totalement ouvert aujourd'hui", tout en affichant la volonté de sortir d'un "système très figé" (voir notre article du 11 juillet 2018). La ministre des Solidarités et de la Santé préfère insister sur la nécessité préalable d'un débat national pour définir "quels vont être les besoins de la société demain, quand nous aurons cinq millions de personnes âgées de plus de 85 ans en France". Mais, au final, ce débat national devrait déboucher sur la concrétisation de l'annonce présidentielle.
Ce retour au premier plan du cinquième risque - un débat récurrent dans les premières années de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), créée en 2004 - peut surprendre. En effet, si le programme présidentiel d'Emmanuel Macron consacrait un chapitre entier à la prise en charge de la dépendance, avec de nombreuses propositions de mesures dont certaines sont déjà décidées ou engagées, il n'évoquait nullement la création d'un cinquième risque.
Quel périmètre...
Mais aujourd'hui, comme à l'époque, l'incertitude porte surtout sur le contenu du cinquième risque, devenu une sorte de "mot valise" à la signification et au périmètre très flous.
La première question concerne la place du handicap. A l'origine, le projet de cinquième risque englobait la perte d'autonomie dans son ensemble, autrement dit les effets du vieillissement comme ceux du handicap. La CNSA porte d'ailleurs, dans ses politiques et dans ses subventions, la trace de cette dualité. Mais les discours d'Emmanuel Macron et d'Agnès Buzyn sont aujourd'hui orientés beaucoup plus vers la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées. Le périmètre d'un éventuel cinquième risque sera donc la première question à trancher.
... et quelle étendue pour le cinquième risque ?
La seconde question porte sur l'étendue du cinquième risque. Si la CNSA correspond bien au périmètre de ce nouveau risque (si on y intègre le handicap), son budget (26,3 milliards d'euros pour 2018) est plus de deux fois inférieur au montant total de la contribution des finances publiques à la compensation de la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées (63,2 milliards d'euros en 2016, dont 22,8 milliards d'euros pour les personnes âgées et 40,4 milliards pour les personnes handicapées). Les principaux financeurs de cet effort sont la CNSA (22,6 milliards d'euros en 2016), l'État (15,8 milliards), les départements (13,2 milliards, nets des transferts de la CNSA), la sécurité sociale (11 milliards) et l'Agefiph et le FIPHFP (607 millions d'euros).
Cette répartition est d'ailleurs en partie biaisée, car 78% des recettes de la CNSA proviennent en réalité de l'assurance maladie via l'Ondam médicosocial (objectif national des dépenses d'assurance maladie). En outre le rôle des quatre grands financeurs n'est pas le même sur les deux secteurs. L'État et la sécurité sociale financent principalement le handicap (respectivement 34% et 21% du total), tandis que la CNSA et les départements sont les premier financeurs du secteur des personnes âgées (respectivement 53% et 29% du total). La seconde grande question consistera donc à placer le curseur entre un cinquième risque cantonné aux contours actuels de la CNSA et un risque englobant l'ensemble de l'effort public pour les personnes âgées et des personnes handicapées en passant par ce qui serait peut-être la solution la plus simple : un cinquième risque englobant la CNSA et les dépenses actuelles de l'assurance maladie en faveur de ces deux publics (soit 33,6 milliards d'euros en 2016).
Quelle place pour les départements et quel financement ?
Cette solution intermédiaire, mais aussi la solution maximaliste, posent aussitôt une troisième question : quelle place pour les départements dans cette réforme ? La question est en fait à double détente : l'APA et la PCH étant devenues deux prestations clés de la prise en charge de la dépendance, les départements pourraient-ils rester à l'écart d'une réforme majeure comme la création du cinquième risque ? La réponse est évidemment non. Mais, dès lors, peut-on envisager d'intégrer les départements à un régime de sécurité sociale, au même titre que la maladie, la vieillesse ou la famille ? La réponse n'est... pas simple !
Elle renvoie en effet à une quatrième question, celle du financement du cinquième risque. Si le cinquième risque est pleinement assimilé à un régime de sécurité sociale, son financement devrait être très majoritairement assurantiel, donc à base de cotisations salariales et patronales (même si l'impôt joue un rôle croissant dans le financement de la sécurité sociale, notamment à travers la CSG et la CRDS). Une évolution qui, au passage, ne manquerait pas de relancer le débat sur la création d'une assurance dépendance... Dans un tel schéma, on peine à imaginer la place des départements et la logique voudrait que l'on transforme l'APA et la PCH en prestations de sécurité sociale (dont l'instruction pourrait être confiée, par convention, aux MDPH et aux départements).
Un risque "sui generis"
Mais le cinquième risque pourrait aussi être envisagé comme un risque "sui generis", différents des autres régimes de sécurité sociale et englobant des modes de fonctionnement et des financements divers. Dans un tel contexte les départements conserveraient leur rôle, le financement apporté aujourd'hui par la CNSA pour aider au financement de l'APA, de la PCH, des MDPH, des conférences des financeurs et du forfait autonomie (3,23 milliards d'euros en 2018) étant alors apporté par le nouveau régime du cinquième risque. Cette solution préserverait le mode de financement actuel, mais elle ne faciliterait pas vraiment la lisibilité et la cohérence du cinquième risque.
Enfin, les questions évoquées ci-dessus se posent dans le cadre de la logique générale actuelle de prise en charge de la dépendance. Mais si la réflexion sur le long terme, annoncée par Agnès Buzyn dans sa feuille de route et englobant aussi bien le domicile que l'établissement, débouche sur de véritables réformes de fond, intégrant par exemple la mise en place de véritables plateformes de service à vocation transversale (voir nos articles du 31 mai et du 11 juillet 2018), la mise en place d'un cinquième risque pourrait bien se révéler à la fois plus ambitieuse... et plus complexe.
RSA, pauvreté, aides sociales... : en attendant d'y voir plus clair
Si le débat sur le cinquième risque est lisible, à défaut d'être simple, il n'en va pas de même pour la question résumée improprement sous le terme générique des "aides sociales". Deux missions parlementaires en cours sur le RSA et les prestations sociales (voir nos articles des
21 et
25 juin 2018), un plan Pauvreté annoncé puis reporté dans un certain cafouillage, des discours contradictoires entre Bercy et les Affaires sociales (ce qui n'est pas à proprement parler une nouveauté), des députés de la majorité qui manifestent leur impatience en déposant (et en adoptant en commission) une proposition de loi sur le statut de jeune majeur (voir
notre article du 12 juillet 2018), un discours présidentiel qui livre la méthode mais pas le contenu (voir
notre article du 13 juin 2018), une incertitude sur la date des annonces à venir... : le dossier est passablement embrouillé et ne devrait pas se clarifier avant la rentrée de septembre. Seules - quasi - certitudes : l'activation du RSA - autrement dit le volet insertion - devrait être sensiblement renforcé et un "versement social unique" devrait rapprocher en 2019 ou 2020, le RSA, l'allocation adulte handicapé (AAH) et la prime d'activité, voire les aides personnelles au logement qui feront l'objet d'un nouveau calcul l'an prochain.