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Débuts chaotiques pour les nouvelles règles sur l'expulsion des squatteurs

En voulant simplifier et accélérer les expulsions de squatteurs, les règles entrées en vigueur fin 2020 ne vont pas de soi. La loi ayant donné la main aux préfets, les différences d'interprétation sont nombreuses selon les départements, laissant des propriétaires dans le désarroi.

L'article 73 de la loi Asap du 7 décembre 2020 (accélération et simplification de l'action publique) élargit et simplifie les modalités d'expulsion des squatteurs (voir notre article du 18 décembre 2020). Il étend notamment les dispositions contre les squatteurs au cas des résidences secondaires ou occasionnelles et clarifie au passage la notion de "résidence occasionnelle", ainsi que les possibilités d'agir. Malgré une circulaire explicative (voir notre article du 9 février 2021), la mise en œuvre de cet article s'avère plus compliquée que prévu et suscite des incompréhensions, sinon des tensions, entre les victimes d'un squat et les préfets, en charge de la décision. Ces tensions sont d'autant plus visibles que les médias ont vite fait de s'emparer des affaires les plus emblématiques.

Les conditions et les "non-dits" de la loi Asap

Certaines difficultés viennent de la loi elle-même. Il faut en effet réunir trois conditions pour bénéficier de la procédure express (72 heures : 48 heures pour instruire la demande et 24 heures pour l'exécuter), afin d'obtenir l'expulsion de squatteurs : déposer plainte au commissariat ou à la gendarmerie, prouver que le logement est bien sa résidence principale ou secondaire (ce qui n'a rien d'évident quand les papiers sont à l'intérieur d'un logement auquel on ne peut plus accéder) et, surtout, démontrer que l'occupation est illicite. Ce dernier point suppose notamment de faire constater le caractère illicite de la présence des squatteurs par un officier de police judiciaire. 
Mais réunir ces trois conditions ne suffit pas forcément. Une bonne part des difficultés vient en effet des "non-dits" de l'article 73 de la loi Asap, qui renvoie à des dispositions de la loi Dalo (droit au logement opposable) du 5 mars 2007. Ainsi, le dispositif de l'article 73 ne s'applique pas au cas – assez fréquent – du locataire en fin de bail qui refuse de quitter les lieux. Il ne s'applique pas non plus au cas de la personne hébergée qui refuse de quitter les lieux après qu'elle y soit entrée à l'invitation du propriétaire. Et pas davantage au cas des locaux tertiaires, des terrains ou des bâtiments en ruine.
Par ailleurs, le préfet peut toujours refuser le concours de la force publique en raison de la présence de femmes enceintes, d'enfants ou de personnes âgées. Mais la principale difficulté réside sans doute dans la circulaire du 22 janvier 2021 (voir notre article du 9 février 2021). Tout en détaillant la procédure des 72 heures, celle-ci indique en effet aux préfets qu'"il est nécessaire que vous puissiez évaluer les possibilités d'hébergement ou de relogement des personnes concernées, notamment lorsque sont concernés des publics vulnérables, et plus particulièrement des mineurs. La recherche d'une telle solution pourra notamment justifier du choix du délai d'exécution fixé dans la mise en demeure, sans toutefois faire obstacle à l'évacuation effective des lieux dans un délai raisonnable compatible avec l'impératif de permettre aux victimes de reprendre possession de leur domicile". Or une démarche d'hébergement, et encore moins de relogement, peut difficilement se mener en 48h.

Des différences marquées entre départements

En pratique, toutes les demandes sont donc loin d'aboutir et la situation conduit à des différences de réponse notables en fonction des départements. Selon une enquête du Figaro, la préfecture de Police de Paris aurait procédé à 15 expulsions sous le régime de l'article 73, sur 21 demandées. Sur les six autres, une a été refusée et cinq sont en suspens, notamment du fait de la difficulté à prouver la propriété du logement.
A l'inverse, dans les Bouches-du-Rhône, le préfet a refusé les sept demandes déposées sous le régime de l'article 73, en faisant valoir que "les logements concernés ne pouvaient être assimilés à un domicile (principal, secondaire ou occasionnel) au sens de la loi". La préfecture indique également que "des éléments de vulnérabilité [par exemple la présence d'enfants en bas âge, ndlr] sont pris en compte, dans un souci de respect de la dignité humaine. Idem pour le risque de trouble à l'ordre public. Mais en aucun cas, le préfet refusera de procéder à l'expulsion. Il la différera simplement pour trouver la solution la plus adaptée".

Vers un "observatoire des squats"

L'articulation entre l'ancien et le nouveau régime d'expulsion des squatteurs crée également de la confusion. Dans le Var, par exemple, une affaire rapportée par le quotidien Var Matin fait état d'une maison squattée par une dizaine de ressortissants de Bosnie-Herzégovine. Le propriétaire, qui a hérité du bien au décès de sa mère, a obtenu un jugement d'expulsion le 3 novembre 2020 mais, depuis lors, le sous-préfet de Draguignan refuse de prêter le concours de la force publique, en faisant notamment valoir la trêve hivernale, prolongée cette année jusqu'au 31 mai. La réponse indigne le propriétaire, mais les faits et la décision de justice sont antérieurs à la loi Asap, qui supprime effectivement la protection de la trêve hivernale pour les expulsions demandées et exécutées en 72 heures.
A Lambersart (Nord), un couple de squatteurs avec un enfant ayant prouvé qu'il occupait la maison depuis plus de 48 heures (en fait depuis le 13 mars et donc sous le régime de l'article 73), la police n'a pas été autorisée à intervenir. Même avec un délai inférieur à 48h, le concours de la force publique aurait d'ailleurs sans doute été refusé en raison de la présence d'un enfant, au moins le temps de trouver une solution de logement.
Selon une méthode éprouvée de longue date, Emmanuelle Wargon, la ministre du Logement, a indiqué au Figaro qu'elle va lancer au mois de mai, en collaboration avec les préfectures, un observatoire des squats, qui permettra de prendre la mesure du phénomène et d'avoir une vision plus précise de sa résorption. La création de cet observatoire habille en fait une disposition qui est déjà prévue dans la circulaire du 22 janvier 2021. Dans son dispositif de suivi, celle-ci demande en effet aux préfets de tenir "un tableau de bord des saisines qui vous ont été adressées [...], comportant le sens de la réponse apportée, le délai de traitement et le délai constaté entre la saisine et l’évacuation effective des lieux, en précisant son caractère forcé ou volontaire".

 

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