Congrès des maires – Santé mentale : les maires en première ligne
Dans l’espace public, dans les foyers ou encore à l’école, la forte dégradation de la santé mentale, depuis le Covid, place les élus locaux en première ligne sur ce sujet. Ils doivent gérer des problématiques d’ordre public, chercher à repérer et soutenir les personnes de tout âge qui se retrouvent en difficulté et contribuer plus largement à la prévention. La coordination avec les médecins et l’ensemble des acteurs concernés, dans le cadre notamment des conseils locaux de santé mentale, apparaît nécessaire. Mais les conséquences du manque de psychiatres sont lourdes, ce que des élus locaux ont mis en avant, ce 20 novembre 2024 au Congrès des maires, devant la ministre de la Santé.
Si le Premier ministre a souhaité que la santé mentale soit "grande cause nationale" en 2025, l’AMF n’avait pas attendu cette annonce pour décider de consacrer une séquence de son congrès à cette problématique qui représente désormais un sujet de préoccupation majeur des élus. "Nous les maires, nous rencontrons le sujet de la santé mentale par le petit prisme de la question de l’ordre public", selon Frédéric Chéreau, maire de Douai et coprésident de la commission Santé de l’Association des maires de France (AMF), qui animait ce 20 novembre 2024 le forum du Congrès des maires dédié à cette question. "Il y a toujours ce conflit entre le besoin d’ordre, de sécurité, et le respect des libertés publiques, du droit de se soigner ou de ne pas se soigner. La problématique humaine est très compliquée", souligne Antoine Pelissolo, adjoint au maire de Créteil, psychiatre et chef de service au CHU Henri-Mondor. Le médecin considère toutefois que "les situations assez lourdes", pouvant conduire à des manifestations spectaculaires souvent mises en avant dans les médias, sont "très exceptionnelles, très rares par rapport à la fréquence des troubles mentaux".
Au-delà de l’espace public, les élus locaux sont concernés par les problématiques de santé mentale à plus d’un titre. Ils subissent dans de nombreux domaines, l’école notamment, les conséquences des carences de la psychiatrie publique. Ils sont aussi de plus en plus conscients de leur rôle dans l’écosystème de prévention. Devant la ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, ces élus ont exposé leurs difficultés, mais aussi les démarches qu’ils s’efforcent de mettre en place.
Des unités psychiatriques engorgées par manque de professionnels et de solutions aval
"Nous n’arrivons plus à répondre à toutes les sollicitations", explique Nicolas Lefebvre, adjoint au maire de Bailleul (59) et président du conseil de surveillance de l’établissement public de santé mentale des Flandres. 30 à 35% de postes vacants, des fermetures de lits – l’élu en a comptabilisé 700 en deux ans et demi à l’échelle nationale -, d’hôpitaux de jour, de centres médicopsychologiques (CMP), "des délais qui ne font qu’augmenter pour pouvoir accéder à des soins ambulatoires"… "où est-ce que ça va s’arrêter ?", interroge Nicolas Lefebvre.
À l’hôpital, la "suroccupation permanente" et le manque de lits disponibles s’expliquent aussi par le déficit de solutions médicosociales en aval, notamment de lieux de vie adaptés pour des personnes ayant des difficultés chroniques et qui restent parfois plus de cinq ans à l’hôpital, décrit Antoine Pelissolo. L’élu psychiatre appelle à développer ces solutions aval, mais également les unités pour maladies difficiles (UMD) dédiées à la prise en charge des patients violents et/ou condamnés pénalement – qui sont aujourd’hui mélangés aux autres patients et dont l’absence de prise en charge spécifique peut expliquer les absences de professionnels fragilisés. Antoine Pelissolo plaide également pour le déploiement d’équipes mobiles dédiées au repérage et à la prise en charge de personnes en difficulté dans la rue, ainsi que pour le développement des conseils locaux de santé mentale (CLSM) qui permettent aux élus, aux médecins et à toutes les parties prenantes de se connaître, d’échanger des informations et d’agir de façon concertée.
"Une nette progression des conseils locaux de santé mentale"
"Il y a une nette progression depuis 10 ans des CLSM qui étaient au nombre de 270 en 2023", souligne Claire Peigné, maire de Morancé et coprésidente de la commission Santé de l’AMF, qui appelle à "poursuivre" le déploiement de "cet outil de coordination, de dialogue et d’action". "Si on ne partage pas totalement les informations dans un lieu de confidentialité, on passe à côté d’informations extrêmement sensibles voire dramatiques", estime l’élue. À Saint-Priest (Rhône), la crise sanitaire a laissé des traces avec des "situations compliquées" et, depuis, "nous mettons tout en œuvre pour avancer", témoigne le maire, Gilles Gascon. Un "groupe de situations à risques" a en particulier été créé pour tenter d’éviter des drames, par davantage de coordination.
"La santé mentale dépasse la seule question des spécialistes", pour Daniel Fasquelle, maire du Touquet-Paris-Plage et membre du groupe d’experts nommé par le Premier ministre sur le sujet de la santé mentale. L’AMF a publié il y a deux ans un guide intitulé "la santé mentale dans la cité", décrivant les différents leviers à la disposition des maires pour contribuer : repérage des personnes en difficulté (notamment des jeunes et des personnes âgées isolées), formation du personnel et de la population en "premiers secours en santé mentale" et prise en compte de la santé mentale des élus (voir notre article) et des agents ("un angle mort", selon Daniel Fasquelle), actions sur le cadre de vie, etc.
Renforcer l’attractivité du métier de psychiatre
La ministre Geneviève Darrieussecq a insisté sur le rôle des élus en matière de prévention et a formulé le vœu que la grande cause nationale permette, avec l’implication de différents ministères, de "déstigmatiser, de parler de prévention, de détection précoce, d’accompagnement, d’amélioration des solutions".
"Je suis désolée mais nous n’avons pas assez de psychiatres, de pédopsychiatres", pointe la ministre de la Santé, jugeant prioritaire de "rendre attractif ce métier" et d’agir notamment au niveau des formations et des stages. Geneviève Darrieussecq souhaite aussi inclure la possibilité d’avoir une consultation non programmée de psychiatrie dans les services d’accès aux soins (SAS).
Avec la stratégie nationale de santé mentale, les budgets sont passés en trois ans "de 9 à 12 milliards d’euros", souligne la ministre, qui évoque notamment le dispositif "mon soutien psy" (12 séances par an prises en charge par la sécurité sociale, qui devraient être "sans adressage" à partir de 2025), le renforcement des CMP et le soutien au dépistage précoce et à l’accompagnement. Le Premier ministre avait également dit souhaiter le doublement, en trois ans, du nombre de maisons des adolescents.