Congrès des maires – Aurélien Rousseau : "Le système de santé est toujours sur la ligne de crête"

Le 22 novembre, au Congrès des maires, des élus ont témoigné de leurs efforts pour préserver un minimum d'accès aux soins pour leurs habitants. Maisons de santé, CPTS, salariat de médecins… Des solutions existent, mais les territoires ne sont pas égaux entre eux pour les déployer. Face à des élus parfois découragés, le ministre Aurélien Rousseau ne cache pas ne pas avoir réponse à tout, mais vante les "coalitions" sur les territoires et assure qu'il n'y aura plus de fermetures de services ou d'hôpitaux pour des raisons purement financières.

L'accès aux soins continue de se dégrader. "87% de la population de la France entière vit dans un désert médical et la densité médicale a un peu baissé depuis 2020", selon Eric Chenut, président de la Mutualité française. Ce dernier présentait, le 22 novembre 2023 au Congrès des maires, les principaux résultats du deuxième baromètre Santé-social AMF-Mutualité française, sur lequel Localtis reviendra plus en détail dans une prochaine édition. Dans l'immédiat, deux résultats à retenir. Une baisse de la densité de médecins généralistes : "147 pour 100.000 habitants, avec des disparités départementales, régionales excessivement importantes", précise Eric Chenut. Et une forte détérioration de la permanence des soins (PDS). "Il y a une dizaine d'années, 73% des professionnels de santé s'inscrivaient volontairement dans la PDS, aujourd'hui on est tombé à 38%".

Maisons de santé pluriprofessionnelles : "un travail de très longue haleine"

D'où l'importance d'accentuer le mouvement engagé de coopérations entre médicaux, paramédicaux et pharmacies et d'exercices regroupés pour assurer un "continuum de prise en charge", selon le président de la Mutualité française qui s'exprimait lors du forum du Congrès intitulé "Accès aux soins : l'organisation locale au secours de la défaillance nationale".

C'est le cas dans le Sud-Sarthe, avec une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) qui regroupe une quarantaine de professionnels. "C'est un travail de très longue haleine, d'une dizaine d'années, entre l'agence régionale de santé, les professionnels et les élus", a témoigné Nadine Grelet-Certenais, maire de la Flèche. Selon elle, "une des clés de la réussite a été de réinvestir un ancien hôpital auquel les habitants étaient attachés". Outre le site principal situé à la Flèche, trois annexes ont été ouvertes "dans des communes rurales où il y avait déjà un pharmacien, pour faire vivre ces pharmacies", poursuit l'élue. La MSP étant complète, un nouveau projet se prépare.

Le Bergeracois mise de son côté sur sa Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), qui est montée en puissance depuis la crise Covid et qui regroupe désormais 140 professionnels de santé. "C'est une force pour nous", a témoigné Olivier Dupuy, maire de Prigonrieux et vice-président chargé de l'accès aux soins de la communauté d'agglomération Bergerac Sud Dordogne. La CPTS constitue un appui dans l'installation de postes de télémédecine assistés d'un infirmier, dans l'accueil de jeunes médecins, dans la prévention et le développement du sport-santé. Olivier Dupuy en tant qu'élu et un agent de la communauté d'agglomération "ont été intégrés à la commission projet de la CPTS, ce qui fait que nous partageons ensemble les projets que nous pouvons avoir pour le territoire", se félicite l'élu.  

Les élus en demande de moyens pour développer ce qui fonctionne

Malgré leurs efforts, d'autres collectivités n'ont pas encore de solutions à proposer à leurs habitants. A Saint-Pierre (Martinique), la population de près de 17.000 habitants ne peut compter que sur huit médecins généralistes, pas de spécialiste et pas d'accès à l'urgence, soit plus rien "à partir de 16 heures et toute la nuit, puis le weekend à partir de samedi midi", a décrit Christian Rapha, maire de Saint-Pierre. Ce dernier pousse actuellement pour l'installation d'un Centre d'accueil de permanence de soins – précédemment refusé en Martinique par des professionnels de santé – et pour que des spécialistes libéraux du centre de la Martinique viennent faire des vacations dans sa ville une à deux fois par semaine.

La Seine-et-Marne détient également un "triste record" puisqu'elle est "le 97e département dans la présence médicale, cela dans une région extrêmement attractive", indique  Charlotte Blandiot-Faride, maire de Mitry-Mory. Observant que sa commune n'était pas la mieux lotie pour attirer des médecins – "c'est extrêmement concurrentiel, on ne peut pas rivaliser avec le littoral, les montagnes… " –, l'élue a fait le choix d'ouvrir un centre municipal de santé qui salarie aujourd'hui cinq généralistes et deux sages femmes. "Se pose aujourd'hui la question des moyens. C'est un modèle qui fonctionne, je voudrais pouvoir le développer", explique-t-elle.

Des "pactes territoriaux" État-collectivités sur l'attractivité médicale

Au sein des services de l'État, "on a une transformation culturelle à faire", a admis le ministre de la Santé Aurélien Rousseau. "Dès lors que des professionnels de santé ont un projet sur un territoire, on doit se [débrouiller] pour les suivre", déclare-t-il. "J'ai à faire bouger les équipes", répète-t-il, évoquant la nécessité d'un "guichet unique" pour faciliter toutes les démarches.

Le ministre de la Santé a évoqué les enjeux de prévention – "l'avenir de notre système de santé, il ne tiendra que si on prend ce virage" – et le rôle des collectivités en la matière, les "coalitions" et le caractère "essentiel" du "partage des compétences" tant pour l'accès aux soins que pour l'attractivité des métiers. Cela en référence aux nouvelles possibilités ouvertes récemment aux pharmacies (voir notre article). Concernant l'accès direct notamment aux infirmiers en pratique avancée, le ministre s'engage à ce que les décrets de la loi Rist sortent cette année (voir notre article).

Dans son discours adressé aux maires le 23 novembre, en clôture du Congrès de l'AMF, la Première ministre a rappelé que le gouvernement vise 4.000 MSP d'ici 2027 – elles sont actuellement au nombre de 2.200. Elisabeth Borne a proposé également aux maires de "travailler ensemble, dans les prochaines semaines, pour mettre au point des pactes territoriaux afin d'accompagner les professionnels de santé". L'objectif : aider chaque territoire à devenir plus "attractif" dans toutes les dimensions qui favorisent l'installation de médecins ("logement, accès aux crèches, emploi du conjoint, sécurité, transport"). Au cours du forum, des élus ont néanmoins regretté la "course à l'échalote" consistant à rivaliser d'"attractivité" pour faire venir les médecins.

2h30 de route pour atteindre la maternité

"A la fin de l'année, n'importe quel Français qui appellera le 15 pourra avoir un accès soit aux soins urgents soit à un médecin régulateur pour lui trouver un rendez-vous, que ce soit pour la médecine, pour le dentaire, pour le psy, pour la pédiatrie", se félicite le ministre.

Son intervention a été immédiatement suivie de plusieurs témoignages d'élus sur les difficultés à Kourou (Guyane, 45 médecins pour 100.000 habitants), à Ferney-Voltaire (Ain) – "130.000 habitants avec aucun hôpital" et une élue qui dit "avoir accompagné des accouchements dans des voitures" –, à Saint-Claude (Jura) – dont le maire dénonce "le démantèlement des hôpitaux de proximité" en zone de montagne et les 2h30 de route désormais nécessaires pour atteindre la maternité… "Ce qui fait que nous en sommes à la treizième maman qui accouche au bord de la route", tempête-t-il, demandant une réouverture des services hospitaliers qui ont été fermés.

"Aujourd'hui, je ne validerais jamais la fermeture d'un service ou d'un hôpital pour des raisons financières, mais je ne validerais jamais le fait de le laisser ouvert si je n'acceptais pas d'y envoyer l'un de mes trois enfants se faire soigner", répond le ministre. Il assure qu'il n'y aura plus de fermetures pour des raisons financières. "Aujourd'hui on forme 10.000 médecins par an, c'est-à-dire trois fois plus qu'entre 1993 et 1995", indique-t-il, tout en reconnaissant que la suppression du numerus clausus n'aura pas d'effet immédiat sur le temps médical.

Un volet "santé mentale" plus important dans le PLFSS… 2025

Dans le cadre des négociations entre l'Assurance maladie et les médecins libéraux, Aurélien Rousseau dit prioriser les revalorisations des spécialités sinistrées que sont la pédiatrie et la psychiatrie. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 "aura un angle beaucoup plus fort sur la santé mentale", promet par ailleurs le ministre, interpelé sur des défaillances de prise en charge en santé mentale. Aurélien Rousseau admet que des hôpitaux psychiatriques sont aujourd'hui "une honte" et évoque, parmi les pistes à explorer, une approche "graduée" consistant notamment à s'appuyer sur des infirmières en pratique avancée spécialisées en psychiatrie.  

"On est face à un système de santé qui est toujours sur la ligne de crête. Il y a des endroits où il est à terre, il y a des endroits où il arrive à se construire, à se reconstruire", juge le ministre de la Santé qui, face aux élus les plus pessimistes, dit vouloir "recréer de la confiance". 

 

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