Congrès des maires – Réindustrialisation : les élus placés devant des injonctions contradictoires

Manque de finances, manque de foncier, ZAN… A l'occasion d'une conférence organisée le 22 novembre 2023 dans le cadre du 105e Congrès des maires, les maires et présidents d'intercommunalités sont revenus sur les injonctions contradictoires qu'ils doivent gérer dans le cadre de la réindustrialisation.

"Pour accueillir les entreprises industrielles, il nous faut deux leviers, les finances et le foncier, et malheureusement le foncier va devenir une denrée rare et le ZAN ne va pas nous faciliter la vie !" En une phrase, Guillaume Guérin, président de la communauté urbaine Limoges Métropole, vice-président de l'Association des maires de France (AMF), a résumé les freins avancés par les maires pour participer à l'effort de réindustrialisation. Face au ministre délégué chargé de l'Industrie, Roland Lescure, ils ont pu exprimer leurs craintes lors d'une conférence organisée le 22 novembre 2023 dans le cadre du Congrès des maires sur le thème : "Les intercommunalités, actrices de la souveraineté économique et de la réindustrialisation". Les élus sont satisfaits d'avoir été réintégrés dans les décisions dans le cadre de la loi Industrie verte du 23 octobre 2023, avec l'avis conforme nécessaire pour les projets d'intérêt national majeur en début de procédure (voir notre article du 11 octobre 2023), mais ils font face à des "injonctions contradictoires", d'après les mots d'André Laignel, difficiles à gérer.

Des élus obligés d'arbitrer entre développement économique et habitat

Premier point : le foncier et le ZAN.  "Nous ne sommes pas devenus élus pour dire à nos entreprises, non ça ne va pas être possible de s'installer sur notre territoire car vous allez consommer beaucoup trop de foncier, a insisté Isabelle Le Callennec, maire de Vitré (Ille-et-Vilaine), présidente de Vitré Communauté, on va avoir des présidents d'intercommunalités qui vont devoir arbitrer entre le développement économique et l'habitat. J'espère qu'il y aura une évolution de cette fameuse loi pour simplement répondre aux besoins, il faut qu'on garde du bon sens." Exemple avec la communauté urbaine de Limoges Métropole. Une entreprise de literie souhaitait étendre son activité (90 emplois supplémentaires potentiels) avec un besoin complémentaire de 14 hectares, en plus des 150 dont elle dispose déjà sur le territoire. "Je ne les ai pas et encore moins demain avec le ZAN, a précisé Guillaume Guérin, il faut entendre les territoires ; le foncier, même en périphérie des villes, se fait rare."

Et quand les collectivités tentent de s'organiser entre elles, difficile aussi d'aboutir. "Même en essayant de coconstruire avec les EPCI pour trouver une harmonie, même ça, ce n'est pas applicable", explique à Localtis Sophie Gaugain, maire de Dozulé (Calvados), première vice-présidente chargée du développement économique, soutien aux entreprises, RSE des entreprises de la région Normandie.

Compensation de la CVAE : il manquerait 765 millions d'euros

Autre frein : la fiscalité, avec la suppression programmée - quoique reportée - de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises). "L'activité économique c'est ce qui nous rapporte une bonne partie de nos ressources financières. La suppression de la CVAE est certes une bonne nouvelle pour les entreprises, et elle est compensée, mais cela n'aura pas la même dynamique pour nos ressources". Certains remettent même en question la compensation "à l'euro près" promise par l'Etat. D'après André Laignel, maire d'Issoudun (Indre), président de la communauté de communes du pays d'Issoudun, il manquerait 765 millions d'euros dans cette compensation. "J'ai demandé au ministre des Comptes publics, car nous avons été spoliés de 765 millions d'euros, mais c'est non", a expliqué le premier vice-président délégué de l'AMF.

Enfin, dernier point, les recours d'associations, notamment environnementales, qui retardent ou annulent les projets d'installation industrielle. Isabelle Le Callennec a cité l'exemple du projet d'une entreprise, Bridor, fleuron industriel breton, qui n'a pas pu s'installer dans la périphérie rennaise (il y avait pourtant 500 emplois à la clé), à cause de la multiplication des recours par des associations environnementales. "Finalement, l'entreprise a investi 50 millions d'euros en Normandie, et elle se développe davantage au Portugal, a expliqué Isabelle Le Callennec, quand on veut réindustrialiser, il y a beaucoup de contraintes et de freins, et les élus qui veulent bien se lancer ne sont pas forcément encouragés ni soutenus."

Une équation difficile

Pour André Laignel, l'équation est difficile. Trois entreprises, dont un leader mondial dans son secteur, souhaitent du foncier sur son territoire. "On me dit qu'il faut que nous révisions notre PLUI (plan local d'urbanisme) et notre Scot (schéma de cohérence territoriale), et j'ai la MRAE, la mission régionale d'aménagement environnemental, un truc barbare, qui m'est tombée dessus ! Elle me dit que je ne peux plus toucher un seul hectare pendant sa mission, qui dure un an ! Qu'est-ce que je fais, je dis à ces entreprises de rentrer chez elles ? Vous croyez qu'elles vont attendre deux ans pour une révision de PLUI ou de Scot, s'est énervé André Laignel, je ne dis pas que c'est désespéré mais aujourd'hui on nous impose des règles qui nous mettent en difficulté."

Au milieu de ces doléances, un maire garde le courage et estime qu'il faut voir les choses positivement. Pour Alain Chrétien, "la tendance à la réindustrialisation commence à se réaliser". "Il y a beaucoup d'inquiétudes alors que cela devrait susciter l'espoir, notamment d'aller à un taux de chômage à 5%", a ainsi affirmé le maire de Vesoul, président de la communauté d'agglomération de Vesoul (Haute-Saône). Les échanges ont montré que les maires ne partageaient pas tous cet enthousiasme.