Urbanisme - Commerces de proximité : le droit de préemption en question
Le droit de préemption des communes sur les fonds de commerce et les baux commerciaux institué par la loi Dutreil de 2005, dont le décret d'application est paru le 28 décembre dernier, revient sur le devant de la scène à la faveur du projet de loi de modernisation de l'économie (LME) en cours d'examen au Sénat. Les députés ont déjà adopté un amendement gouvernemental prévoyant qu'à l'intérieur d'un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité, le droit de préemption puisse être étendu aux cessions de terrains entre 300 et 1.000 m2. La commission spéciale du Sénat chargée d'examiner le texte a proposé de préciser qu'il s'agit de "cessions de terrains portant ou destinés à porter des commerces d'une surface de vente comprise entre 300 et 1.000 m2".
Pourtant, le droit de préemption serait un instrument "à utiliser avec prudence sur des petites cellules de proximité très stratégiques" : c'est le conseil de modération qu'a délivré Dominique Moreno, sous-directrice à la chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP), lors de la Journée Ville et Commerce qui s'est déroulée jeudi 26 juin à Montrouge (92), à l'initiative de l'association Centre-Ville en mouvement.
Revenant sur "l'histoire mouvementée" de ce dispositif, Dominique Moreno a résumé les principales difficultés qui peuvent se présenter lorsque les communes décident de faire usage de ce nouvel outil. La délimitation préalable et motivée des périmètres retenus par les conseils municipaux doit faire clairement apparaître les menaces qui pèsent sur la diversité commerciale d'un quartier, et il vaut mieux, selon Dominique Moreno, cibler plusieurs périmètres que d'en étendre un seul au territoire communal. Second type de difficultés : le formulaire de déclaration préalable que doivent envoyer les commerçants situés dans le périmètre retenu, avant que la commune décide de l'opportunité de préempter, est "extrêmement imprécis" et ne comporte pas l'activité de l'acquéreur pressenti, ce qui rend malaisée la décision de la commune. Dans le cas d'une préemption lors d'une cession de bail, il n'est pas non plus obligatoire de joindre le bail, et la commune se retrouve sans moyen réel de connaître précisément les activités commerciales que ce bail autorise.
En cas de désaccord sur le prix entre la commune et le cédant, ajoute Dominique Moreno, c'est au juge de l'expropriation de se prononcer. Celui-ci peut ne pas être expert en matière de valeur des fonds de commerce. Il est en revanche en mesure de connaître l'activité de l'acquéreur pressenti ou le détail du bail en cession, ce qui dans une certaine mesure, selon Dominique Moreno, peut inciter les communes au contentieux pour avoir accès à tous les détails du projet de cession.
La commune, une fois propriétaire du fonds de commerce ou titulaire du bail et pendant le délai d'un an avant lequel la rétrocession doit intervenir, peut enfin se retrouver confrontée à des problèmes délicats : charges financières importantes, nécessité d'exploiter le fonds, etc. Le cadre juridique complexe peut également être une source de difficultés pour la commune à qui certaines dispositions du droit du commerce, du droit des contrats ou de l'immobilier peuvent ne pas être très familières. Le droit de préemption, qui n'est pas délégable, a ainsi été mis en place "sans appréhender l'ensemble des législations périphériques", regrette Dominique Moreno. L'appel à candidatures pour le choix du repreneur peut également être une source importante de contentieux, compte tenu de l'absence de modèle pour la rédaction du cahier des charges. Et la municipalité reste garante des loyers versés par le repreneur dans le cas d'une rétrocession de bail.
Partenariat et concertation
Cet ensemble de difficultés et de contentieux possibles doit inciter les communes à travailler en partenariat avec les chambres consulaires, résume Dominique Moreno. Si les communes semblent actuellement réfléchir sur les périmètres à définir, les quelques préemptions qui sont intervenues à ce jour ont débouché sur autant de contentieux, prévient la juriste de la CCIP. Les communes ne sauraient donc prétendre en faire un instrument global d'ingénierie commerciale.
Dans sa présentation de la politique de réhabilitation commerciale menée dans le centre-ville de Montrouge, le maire de la ville, Jean-Loup Metton, a ainsi déclaré ne pas encore avoir eu recours au nouvel instrument de préemption pour retrouver de la diversité commerciale. Selon le maire de Montrouge, il est préférable d'être propriétaire des murs du commerce et de fonder une Sem qui permettra de mener une politique autofinancée, les loyers compensant les emprunts. Jean-Paul Albertini, directeur de la Semaest Paris, a confirmé l'intérêt d'une action concertée permettant d'éviter la préemption, en convaincant les acquéreurs de présenter un projet de reprise de commerce favorisant la diversité. La recommercialisation par le biais d'une société d'économie mixte présente également l'avantage de permettre une certaine péréquation entre les commerces, l'ensemble devant se maintenir à l'équilibre.
Aménagement commercial
Le maire de Drancy, Jean-Christophe Lagarde, a de son côté estimé que la commune était légitime pour l'aménagement du commerce sur son territoire et qu'il devrait être possible pour les conseils municipaux de mettre en place réglementairement des schémas d'aménagement commercial, permettant d'équilibrer l'offre commerciale de proximité.
En conclusion de la journée, la ministre du Logement et de la Ville, Christine Boutin, s'est félicité de ce que le commerce, "grand oublié de la politique de la ville", fasse aujourd'hui l'objet d'une réelle attention, quelques mois après que lui a été remis le rapport de Robert Rochefort intitulé "Un commerce pour la ville". L'apparition d'un nouveau métier, celui de manager de centre-ville, témoigne, selon Christine Boutin, des besoins nouveaux et des problématiques nouvelles du commerce en ville. Mais il ne saurait être question de limiter la question du commerce en ville aux centres urbains : s'appuyant sur le sondage CSA sur les commerces de proximité dans les zones urbaines sensibles (ZUS), réalisé en vue de ce colloque et montrant l'attente importante de commerces de proximité parmi les habitants des ZUS, Christine Boutin a insisté sur la nécessité de "réunir la ville et la regarder de façon globale", sans construire d'opposition entre les besoins des centres-ville et ceux des quartiers fragiles.
Aurélien Fabre
Les habitants des ZUS réclament des commerces de proximité
Les résultats du sondage CSA / Centre-Ville en mouvement sur les commerces de proximité dans les zones urbaines sensibles ont été détaillés le 27 juin 2008 par Jean-Daniel Lévy, directeur-adjoint de l'institut de sondage, lors de la Journée Ville et Commerce à Montrouge. Il ressort de ce sondage que les habitants des ZUS ressentent un net déficit de commerces de proximité : le commerce est cité par les résidents des ZUS en troisième position parmi les services ou équipements qui manquent dans leur quartier, après le manque d'activité pour les jeunes et la carence en espaces verts. Or les commerces de proximité "apparaissent participer à la vie du quartier et être les reflets de la vitalité de celui-ci", selon CSA. Cependant, pour la majorité des personnes interrogées, persiste la certitude que les produits proposés dans les commerces de proximité sont plus chers que ceux disponibles en grande surface : il s'agit donc d'achats complémentaires.
A.F.