Urbanisme - Les collectivités se mobilisent pour préserver les commerces de centre-ville
Le centre historique des villes est de plus en plus convoité par les banques. En quête d'emplacements stratégiques, elles ont multiplié ces dernières années les rachats de fonds de commerce pour implanter leurs agences. Cette prolifération inquiète de nombreux élus qui craignent une perte d'animation et de vitalité de certains secteurs centraux, voire une déstructuration de l'organisation des centres urbains.
Fin septembre, le maire du Havre, Antoine Rufenacht, a dénoncé la multiplication des agences bancaires qui conduit, selon lui, à "tuer le commerce". Dans sa ville, neuf agences ont ouvert leurs portes depuis 2004 et quatre autres sont envisagées, ce qui porterait leur nombre total à 86. "Ces agences prennent les emplacements les plus porteurs à la place des commerces, des cafés ou des restaurants qui faisaient l'animation des quartiers", a-t-il regretté. Pour obtenir ces emplacements, elles proposeraient selon lui des prix supérieurs de 20, 30 ou 40% à celui du marché.
Le maire a demandé aux services de la ville de prendre "toutes les dispositions possibles" pour enrayer le phénomène. "Nous ne donnons pas d'autorisation de travaux, ralentissons les procédures ou n'autorisons pas les arrêts pour les convoyeurs de fonds", a-t-il illustré, se disant prêt à assumer des contentieux.
Une charte de bonne conduite
La ville de Nantes a elle aussi constaté une surreprésentation bancaire et d'autres activités de services dans certains quartiers, sur les places et les axes principaux du centre-ville. Elle a ainsi dénombré près de 50 banques dans l'hypercentre. Or, aucun outil juridique ne lui permet aujourd'hui de remédier à la tertiarisation des rez-de-chaussée commerciaux. "Notre règlement de sauvegarde ne prévoit pas d'exercice du droit de préemption et de toute façon ce droit trouve vite ses limites face à la surenchère des prix pratiqués par les banques", estime Alain Bouyou, chargé de mission commerces à la ville. La voie de la concertation est donc privilégiée et Jean-Marc Ayrault, député-maire de la ville, a signé le 25 octobre avec Jean-François Gendron, président de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Nantes, et Gilbert Coulombel, président du Comité des banques des Pays-de-la-Loire, une charte d'orientation "pour renforcer, par la dynamique commerciale, l'attractivité du centre-ville". Avant toute nouvelle implantation dans le secteur sauvegardé de Nantes, les banques devront désormais se concerter avec la CCI et la ville. Des échanges réguliers entre les signataires seront également encouragés, ainsi qu'un renforcement de l'animation et des partenariats avec le commerce.
De nombreuses villes ont pris des délibérations en conseil municipal visant à obliger les propriétaires de fonds et de locaux commerciaux situés dans des périmètres stratégiques à les informer en cas de vente. En attendant l'entrée en application de la loi Dutreil du 2 août 2005, elles peuvent faire usage de leur droit de préemption urbain pour se porter acquéreur de locaux commerciaux. Dans le cadre du programme de renouveau de son centre-ville, Limoges a été la première grande ville à adopter un périmètre au sein duquel s'applique une obligation de déclaration d'aliéner pour les fonds de commerce. "Pour nous, le droit de préemption est avant tout une arme de dissuasion et nous n'avons pas eu à la mettre en oeuvre jusqu'à présent, explique Jean-Gérard Didierre, directeur des programmes Coeur de Limoges et président du Club des managers de centre-ville. Sur la rue la plus commerçante du centre, la rue du Clocher, nous avons beaucoup travaillé avec les grandes enseignes pour remédier au problème des baux commerciaux étendus aux étages des immeubles. En cassant ces baux et en recréant des accès aux étages, nous avons pu rénover 160 appartements vacants, faire revenir de nouveaux habitants et relancer le commerce de proximité dans les rues adjacentes." La rénovation de 125 façades et devantures commerciales a coûté à la ville 1,2 million d'euros (sur 3,6 millions d'euros de travaux) et la collectivité prend également en charge les opérations d'animation commerciale et le fonctionnement de l'équipe Coeur de Limoges qui en a la charge, soit 2,5 millions d'euros sur 5 ans. "Grâce à la seule taxe d'habitation, le retour sur investissement pour la ville est de 5 ans et 10 mois", assure Jean-Gérard Didierre.
L'expérience parisienne pour le retour des commerces
En se fondant sur l'article L.300-1 du Code de l'urbanisme, la ville de Paris a aussi initié une opération visant à la fois à réintroduire des commerces de proximité là où ils avaient disparu et à remédier à la monoactivité commerciale dans certains quartiers. Suite à une délibération prise par son Conseil en décembre 2003, elle a confié à l'une des ses sociétés d'économie mixte, la Semaest, dans le cadre d'une convention publique d'aménagement, la mission "Vital'Quartier", qui concerne six secteurs des 1er, 2e, 3e, 11e, 12e et 20e arrondissements. Dotée par la ville d'une avance remboursable de 54,5 millions d'euros, la Semaest achète des locaux commerciaux et d'activités de gré à gré ou en usant du droit de préemption urbain que lui a délégué la collectivité. Elle peut aussi, là où le marché de la vente de murs est peu actif, prendre à bail des locaux. Si besoin, elle les remet en état avant de les louer à des commerçants, des artisans, des entreprises de services, etc. La Semaest maîtrise aujourd'hui 232 locaux représentant plus de 29.000 m2. Mais elle n'a pas vocation à en rester propriétaire : à partir de 2009 et jusqu'en 2013, elle devra les céder progressivement, si possible à leurs occupants, et remboursera ainsi la ville. Les nouveaux propriétaires devront alors s'engager à conserver le même type d'activité dans les locaux.
La démarche intéresse de nombreuses collectivités en quête de solutions innovantes pour préserver le tissu commercial de leur centre-ville ou de leurs quartiers. Les villes de Versailles, Nanterre, Pontoise, Lyon, Bordeaux et même Bruxelles, parmi d'autres, sont déjà venues s'informer des caractéristiques de la mission.
Anne Lenormand
Le décret d'application de la loi Dutreil devrait être bientôt signé
L'article 58 de la loi Dutreil du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises a instauré un droit de préemption au profit des communes sur les cessions de fonds de commerce et fonds artisanaux ainsi que sur celle des baux commerciaux alors que cette possibilité de préempter ne concernait auparavant que les "murs" des locaux commerciaux. L'article L.214-1 du Code de l'urbanisme dispose désormais que "le conseil municipal peut par délibération motivée délimiter un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité, à l'intérieur duquel sont soumises au droit de préemption institué par le présent chapitre les cessions de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux". Toutefois, dans l'attente d'un décret sur ses modalités d'application, ce moyen précieux au service des communes ne peut être mis en oeuvre. Il suscite en effet de nombreuses résistances, certains y voyant une entrave à la libre concurrence. En attendant la parution du décret, la ville de Paris a tenté de créer un dispositif de protection du commerce et de l'artisanat par le biais de son PLU adopté en juin 2006. Elle a néanmoins été rappelée à l'ordre par le tribunal administratif de Paris qui dans un jugement en date du 2 août 2007 a considéré que le mécanisme de protection de la ville visant à protéger la diversité commerciale portait atteinte au droit de propriété. Les communes sont donc aujourd'hui dans l'expectative. Après avoir été examiné par le Conseil d'Etat, le projet de décret d'application de la loi Dutreil, qui conditionne l'entrée en vigueur du nouveau "droit de préemption économique", est aujourd'hui sur le bureau de Christine Lagarde, ministre de l'Economie, qui s'est engagée à le signer prochainement.
A.L., et Antony Fage / Cabinet de Castelnau
Références : articles L.214-1 du Code de l'urbanisme. Tribunal administratif de Paris, 2 août 2007, Ville de Paris, requête 0700962.