Loi de modernisation de l'agriculture - Cantines : le poisson pané n'a pas la frite
Pas d'aliments frits plus d'une fois par semaine, moins de sel dans les plats et sur les tables, plus de fruits, de légumes, de laitages: les menus des cantines scolaires et des restaurants universitaires devraient changer d'ici la fin de l'année, comme ceux des crèches, des hôpitaux, des maisons de retraite, puis des prisons.
L'article 1er de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, adoptée définitivement mardi 13 juillet par le Sénat, impose en effet aux "gestionnaires publics et privés, des services de restauration scolaire et universitaire ainsi que des services de restauration des établissements d’accueil des enfants de moins de six ans, des établissements de santé, des établissements sociaux et médico-sociaux et des établissements pénitentiaires" de respecter des règles nutritionnelles qui seront fixées prochainement par décret (art L. 230-5 du Code rural). Ces gestionnaires doivent également dès à présent privilégier les "produits de saison". Pour la restauration scolaire, le décret devrait être publié avant la fin de l'année pour une application au 1er janvier 2011. Pour les établissements accueillant des personnes âgées ou des jeunes enfants, la publication devrait être un peu plus tardive (début 2011).
Principale obligation : revoir la fréquence des plats
Le décret "restauration scolaire" devrait reprendre les grandes lignes de la recommandation du Gem Restauration collective et nutrition du 4 mai 2007 (voir ci-dessous) : les cantines devront établir des menus sur 20 jours et ne pas intégrer plus de 4 fois des aliments frits ou préfrits (frites, pommes de terre rissolées, poissons panés, etc...). Pas plus de 4 fois non plus de charcuterie en entrée. Ni trop souvent (4 fois sur 20 repas) de desserts gras (feuilletés, crème brûlée) ou trop sucrés (entremets, glaces...). En revanche, les 20 repas devront comporter au moins 10 fois des légumes cuits, autant de crudités, de légumes ou de fruits. Il faudra au moins 4 fois du poisson, au moins 8 fois des fromages riches en calcium. Il faudra aussi varier les huiles de cuisine, limiter le sel et ne pas en laisser toujours sur les tables. "Il y a des cuisiniers qui n'ont jamais entendu parler de ces règles", affirme Dominique Vincent, de l'Association nationale des directeurs de restauration municipale. Cette association, qui travaille depuis plusieurs années avec les services ministériels en charge de l'alimentation, a milité pour que les recommandations du Gem deviennent impératives. L'obligation de respecter des règles nutritionnelles qui avait dans un premier temps été inscrite dans la loi Hôpital, patient, santé, territoires (HPST) se retrouve donc finalement dans cette loi de modernisation de l'agriculture.
De nouveaux contrôles, les mêmes contrôleurs
Les inspecteurs des services vétérinaires, ou des anciennes DDASS (aujourd'hui agences régionales de santé) seront chargés de ce contrôle "nutrition", pour lequel ils disposeront de leurs pouvoirs d'enquête habituels (art L.218-1 du Code de la consommation) : ils pourront ainsi, non seulement prélever des échantillons, mais aussi recueillir auprès du professionnel, qui est tenu de les lui fournir, tous les éléments d'information nécessaires. Ce nouveau contrôle ne devrait pas s'accompagner d'effectifs supplémentaires de contrôleurs: ce sont les agents qui veillaient déjà à l'hygiène qui s'occuperont aussi de nutrition.
Lorsque ces agents constateront que dans un service de restauration, les règles relatives à la qualité nutritionnelle ne sont pas respectées, le préfet mettra en demeure le gestionnaire du service de restauration concerné de respecter ces règles dans un délai déterminé. Si, à l’expiration de ce délai, l’intéressé ne s'est pas exécuté, le préfet pourra ordonner au gestionnaire la réalisation d’actions de formation du personnel du service concerné et/ou imposer l’affichage dans l’établissement concerné des résultats des contrôles effectués. Les sanctions prévues sont donc relativement modestes.
Et en bonus, une révision du Code des marchés publics pour encourager les producteurs locaux ?
Tout au long de la discussion de la loi, des parlementaires de toute couleur politique ont également proposé des amendements visant à modifier les règles de passation des marchés publics afin de privilégier les producteurs locaux : certains ont proposé d'inclure dans les spécifications techniques des provenances ou origines déterminées, d'autres de dispenser de publicité et de concurrence les achats de denrées alimentaires périssables acquises sur les lieux de production. Toutes ces dispositions ont été repoussées par le gouvernement pour une raison simple : leur non-conformité aux règles européennes d'égalité d'accès à la commande publique (principe de non-discrimination) et de libre circulation des personnes et des services.
Cependant, le ministre de l'Agriculture, Bruno Le Maire, a promis aux parlementaires de modifier l'article 53 du Code des marchés. Celui-ci prévoit "à égalité de prix ou équivalence d'offre" que soient privilégiées les sociétés coopératives. Ce droit de préférence pourrait être accordé également à un exploitant agricole ou à un groupement de producteurs agricoles. Cette modification, si elle est effectivement mise en œuvre, se ferait par décret. Mais reste à savoir si elle serait conforme au droit européen : Stéphane Lesueur, avocat spécialisé sur ces questions interrogé par le site achatpublic.info, indique que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) va prochainement se prononcer sur la possiblité pour les Etats membres de privilégier un type d'agent économique en raison de son statut social dans leur réglementation nationale de l'achat public. Une réponse négative de la CJUE sur ce point, rendrait la promesse de Bruno Le Maire fort délicate à tenir.
Hélène Lemesle
Références : Groupement d'étude des marchés (Gem) Restauration collective et nutrition, Recommandation relative à la nutrition du 4 mai 2007