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Budgets locaux : l'AMF presse l'État d'accroître son soutien

La crise devrait faire chuter l'épargne des communes et intercommunalités, c'est-à-dire ce qui leur reste après avoir payé les charges de fonctionnement. C'est ainsi la principale source de financement de l'investissement qui serait atteinte. L'Association des maires de France s'en est une nouvelle fois inquiétée lors d'une conférence de presse, ce 1er décembre. Une étude qu'elle a menée avec la Banque des Territoires présentée à cette occasion souligne aussi qu'un environnement stable favorise l'investissement. Or avec l'instabilité fiscale, ce facteur-là n'est pas au rendez-vous, déplorent les maires.

Les responsables de l'Association des maires de France (AMF) ont émis, mardi 1er décembre, de forts doutes sur la capacité des communes et des intercommunalités à participer à la relance de l'économie, si l'exécutif et sa majorité ne décident pas de protéger davantage les finances locales, lesquelles sont amputées par la crise.


Alors que le congrès annuel des maires de France a été annulé pour cause d'épidémie, les élus ont appelé, lors d'une conférence de presse, à ce que de nouveaux moyens soient dégagés en faveur des collectivités territoriales. "Je continue à être étonné, pour ne pas dire abasourdi, que l'État fasse comme si tout allait bien et comme si, bien entendu, les choses allaient se relancer quasi naturellement", a lancé le premier vice-président de l'association, André Laignel. Sans compter les avances remboursables destinées aux autorités organisatrices de transport, l'État alloue cette année un peu plus de 600 millions d'euros au bloc communal : 230 millions d'euros dans le cadre du "filet de sécurité" créé par la troisième loi de finances rectificative pour 2020 et 400 millions d'euros au titre de la première tranche de l'abondement de dotation de soutien à l'investissement local. Les maires et présidents d'intercommunalité jugent ce soutien bien trop faible, en comparaison des pertes financières du bloc communal, qu'ils estiment à 6 milliards d'euros cette année.

 

Pertes tarifaires

"Le compte n'y est pas du tout", a fustigé Antoine Homé, rapporteur de la commission finances et fiscalité locales de l'AMF. Avec la clause de sauvegarde, la communauté d'agglomération de Mulhouse Alsace (dont il est le vice-président) percevra "probablement un demi-million d'euros" de l'État, alors que sa capacité d'autofinancement (c'est-à-dire l'épargne qu'elle peut dégager après avoir payé toutes ses charges de fonctionnement) baissera "de 12 à 14 millions d'euros".


En refusant de prendre en charge les pertes de recettes tarifaires des services publics locaux (que l'AMF estimait à 2,9 milliards d'euros avant le second confinement), le gouvernement considère que les communes et leurs groupements "ne sont pas des agents économiques" et commet "une lourde erreur", a déclaré Antoine Homé. Il a jugé que "le débat ne peut pas être clos".
Les pertes de recettes liées à la fermeture des services publics locaux (lieux culturels, équipements sportifs, etc.) vont principalement affecter les villes-centres (qu'elles soient petites, moyennes, ou grandes), a estimé André Laignel. Ces communes et leurs intercommunalités, qui "portent les équipements", sont "les premiers investisseurs sur le territoire", a-t-il pointé. Ce sont donc les structures investissant le plus habituellement qui perdent le plus de recettes du fait de la crise du Covid-19. Aussi, l'AMF est-elle très inquiète pour l'évolution de l'investissement du bloc communal dans les mois à venir. Selon des estimations de Bercy réalisées fin août, les dépenses de l'ensemble des collectivités locales dans ce domaine reculeraient de 14% en 2020. Ce serait une réduction deux fois plus forte qu'en 2014.


Selon André Laignel (qui est aussi président du comité des finances locales), beaucoup de communes prévoient actuellement - dans le cadre du vote des orientations budgétaires – de baisser l'an prochain leurs investissements de 20%, ou même 30%, certaines allant jusqu'à des réductions de 40%. Pour 2021, l'élu prédit "un effet trompe l'œil". Un certain nombre d'investissements prévus en 2020, mais n'ayant pas été réalisés, sont reportés à l'an prochain. "Ça va un peu atténuer" la baisse de l'investissement, estime l'élu. Mais, en 2022, il n'y aura plus "cette capacité de transfert d'une année sur l'autre". Si l'autofinancement reste en fort recul, cette année 2022 sera "la plus difficile".

 

Nécessaire visibilité

"Ce nouveau mandat arrive derrière un mandat qui, lui, a déjà été très largement obéré et en profondeur", fait remarquer André Laignel. Selon une étude conjointe de l'AMF et de la Banque des Territoires dont les résultats ont été présentés lors de la conférence de presse, la capacité d'autofinancement du bloc communal a légèrement progressé lors de la période 2014-2019 (+ 3%), par rapport à la période 2008-2013. Cette évolution est "très inférieure à l'inflation". La baisse des dotations de l'État y est pour beaucoup : au cours des cinq dernières années, les communes et les EPCI ont perçu 20 milliards d'euros de moins que durant les cinq précédentes années. Face à une telle pression sur les budgets locaux, les élus ont décidé de constituer une "épargne de précaution", expliquent les experts de l'AMF et de la Banque des Territoires. Ce qui n'est guère favorable à l'investissement. Cela s'est vérifié. Malgré une accélération en 2019, les dépenses d'équipement des communes et EPCI engagées entre 2014 et 2019 (153,8 milliards d'euros) sont très en deçà de celles qui avaient été réalisées au cours des années 2008-2013 (169,7 milliards). L'écart s'élève à près de 16 milliards d'euros. Ce recul "est sans précédent depuis la mise en oeuvre de la décentralisation".


La capacité d'autofinancement est "la pierre angulaire de tous les plans de financement", en déduit l'étude. De son niveau dépendent à la fois la capacité d’emprunt et le montant de l’investissement. Parmi les leviers favorisant les décisions d'investir, l'étude pointe aussi la capacité des décideurs locaux à prévoir et l'environnement législatif et réglementaire qui doit être "stable".
Pour les dirigeants de l'AMF, ces ingrédients manquent justement aujourd'hui. Alors que la capacité d'autofinancement est entamée, l'exécutif s'attaque à l'autonomie financière et fiscale des collectivités locales. À la suppression pure et simple de la taxe d'habitation (dans la loi de finances pour 2020) succède (dans le projet de loi de finances pour 2021) la réduction du levier fiscal sur les impôts fonciers des bâtiments industriels. La réforme visant à nationaliser les taxes locales sur l'électricité est la goutte de trop. Les "deux piliers" de la décentralisation à la française que sont l'autonomie financière et fiscale "sont en train d'être détruits", se désole Philippe Laurent, président de la commission finances et fiscalité locales de l'AMF. "Nous sommes aujourd'hui à une forme de point de bascule".

 

Panier du maire : des prix plus sages

Dans ce contexte, le ralentissement de la hausse de l'indice de prix des dépenses communales paraît être un bien modeste lot de consolation. Selon la Banque postale collectivités locales qui le calcule, le prix du "panier du maire" a progressé en un an de 0,57% (à la fin du 1er semestre 2020). C'est une évolution inférieure à celle de l'inflation hors tabac (+ 0,66%) calculée par l'Insee. En prenant en compte les charges financières, le prix du panier du maire n'évolue même que de 0,24%. La réduction des prix des travaux publics de 2,2% entre avril et juin 2020 (en comparaison du début de l'année) explique en partie ce résultat. Mais sans "moyens supplémentaires" ni "confiance", la modération des prix n'aura pas d'incidence sur les décisions d'investissement, ont relativisé les maires.


La relance passera par la capacité des collectivités locales à "porter des projets de territoires", a estimé Gisèle Rossat-Mignod, directrice du réseau de la Banque des Territoires (Caisse des Dépôts). Pour les y aider, l'établissement public leur propose notamment des prêts "sans condition de plancher" et parfois de très long terme (jusqu'à 60 ans). Ces prêts permettent notamment la rénovation des réseaux d'eaux et des bâtiments : autant d'investissements susceptibles d'alléger les charges de fonctionnement et, donc, de procurer des marges de manœuvre.