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Transports - Avenir des trains Intercités : la commission Duron rebat les cartes pour sauver le réseau

Comment sauver les trains Intercités ? Après six mois de travaux, la commission pilotée par le député du Calvados Philippe Duron a remis le 26 mai son rapport au secrétaire d'Etat chargé des transports, Alain Vidalies. Pour enrayer la logique de dégradation de la qualité et de l'offre de service, elle propose une complète remise à plat et la suppression dans certains cas de lignes trop déficitaires. Pas de gaieté de cœur et non en fonction de leur seule rentabilité mais en tenant compte de l'évolution des mobilités et des besoins d'aménagement du territoire.

Comment ne pas céder au défaitisme ? Et comment remettre sur les rails ce réseau des trains d'équilibre du territoire (TET), plus connus sous le nom d'Intercités, dont la qualité se détériore au fil des décennies, fragilisant du coup des liaisons réputées essentielles pour certains territoires ? "Un délitement régulier et progressif, dans un processus qui rappelle parfois la régression du fret ferroviaire", compare le député Philippe Duron, dans l'introduction au rapport d'une centaine de pages de la commission qu'il a pilotée. C'est en tentant de rester objectif, voire optimiste, et dans une optique avant tout "d'intérêt général", que la commission a multiplié ces derniers mois les auditions avec les acteurs au sens large du monde ferroviaire, tout en arpentant des pays voisins pour tirer parti des comparaisons et en décryptant - fait notoire - les données habituellement ultra-confidentielles de fréquentation ligne par ligne, gare par gare, que lui a transmis SNCF Mobilités. Mais elle enfonce en premier lieu le clou sur un sujet - le déficit d'exploitation du réseau - sur lequel visiblement tout le monde n'est pas d'accord. Selon elle, au vu des divers postes de dépenses, dont celles liées à l'exploitation des TET, acquittées chaque année par l'Etat – dépenses par ailleurs en forte progression - "la dynamique de croissance du financement des TET par les contribuables est insoutenable". Si rien n'est fait pour la rétablir, "le déficit continuerait de croître pour atteindre 500 millions d'euros par an en 2025".

S'adapter aux besoins de mobilité

Par où faut-il commencer à agir ? Par un redimensionnement de l'offre TET, répond la commission, "afin de contenir l'effort public des contribuables et de mieux répartir ce financement en fonction des besoins des voyageurs". En croisant les courbes de fréquentation, de niveau de subventionnement et celles des charges et revenus ligne par ligne, la commission s'est en effet aperçue que là où ce financement par les contribuables cloche et n'est guère soutenable, c'est lorsqu'il y a plus largement inadaptation de l'offre ferroviaire aux besoins de mobilité du territoire concerné.
Pour redynamiser l'offre des TET, elle suggère donc de se concentrer d'abord sur les lignes ou segments à fort potentiel. Elle s'inspire sur ce point de ce que des voisins européens ont fait sur leurs propres "Intercités". Plus de fréquences et plus d'attractivité sont donc prescrites sur les lignes suivantes : Paris-Clermont-Ferrand ; Paris-Orléans-Tours ; Nantes-Lyon ; les segments Paris-Limoges ; Paris-Caen ; Bordeaux-Marseille ; Paris-Amiens ; Paris-Bourges ; Paris-Saint-Quentin et Bordeaux-Nantes. "Pour celles qui desservent les agglomérations de Caen, Clermont-Ferrand et Limoges, un cadencement à l'heure de la desserte doit permettre de réaliser un important report modal depuis la route et l'aérien […] Pour la ligne transversale Nantes-Lyon, l'augmentation [requise] des fréquences nécessite la mise en service de nouveaux matériels et l'introduction d'une tarification flexible, ou yield management". Et d'insister sur l'importance de l'investissement, comparable à celui fait sur les TGV, "dans la commercialisation et le marketing afin de développer la visibilité de l'offre". Cela conduira à repenser les grilles horaires actuelles, pour permettre l'ajout de trains, et à réduire ailleurs le nombre d'arrêts desservis, seules voies possibles selon la commission pour tirer des bénéfices économiques de ces renforcements visés de l'offre TET.

Tronçons surdimensionnés

Au regard des flux constatés, la commission considère que des ajustements, "parfois à la marge", sont nécessaires sur les lignes suivantes : Paris-Rouen, Rouen-Le Havre, Caen-Cherbourg et Paris-Granville (optimiser l'utilisation des moyens sur cette ligne), Paris-Amiens-Boulogne (adaptation de la fréquence et maintien d'une desserte directe depuis Paris, au vu "des enjeux touristiques liés à la baie de Somme et la côte d'Opale"). Là où nulle alternative de transport performante n'a pas pu être trouvée, par exemple sur le tronçon Saint-Quentin-Maubeuge de la ligne Paris-Maubeuge, "l'offre TET doit être maintenue, mais réduite".
En revanche, pour cinq tronçons, la commission estime que la desserte TET ne se justifie plus : Toulouse-Cerbère, qui bénéficie d'offres alternatives en correspondance notamment depuis Toulouse et depuis Narbonne et Perpignan (TGV) ; Quimper-Nantes et Bordeaux-Toulouse, face à laquelle "l'offre TER est bien développée" ; Marseille-Nice sur la ligne Bordeaux-Nice (offres TGV et TER bien développées sur cette section) ; Saint-Quentin-Cambrai (elle "bénéficie aujourd'hui d'offres alternatives en correspondance à Douai, TER et TGV") ; et enfin la desserte de Montluçon, dans l'Allier, qui pourrait être reconfigurée avec des TER, ce qui "permettrait de surcroît des gains de temps de parcours pour les voyageurs".

Doublons avec les TER

"Il y a un fort besoin de cohérence, une clarification à apporter entre services d'intérêt national et régional et une dynamisation à apporter en distinguant mieux les offres TET et TER, point sur lequel ce rapport fourmille de propositions", s'est félicité le secrétaire d'Etat chargé des transports, Alain Vidalies, lors la remise du rapport. Il les examinera et tranchera d'ici fin juin afin de poser les bases de la convention entre Etat et SNCF attendue d'ici la fin de l'année. Ce rapport distingue les lignes où l'offre TER actuelle est "en mesure de répondre à l'ensemble des besoins de mobilité" - par exemple sur Caen-Le Mans-Tours ou Charleville-Mézières-Sedan – de celles où cette reprise des trafics du TET au TER "à offre constante" n'est pas pertinente (ligne Clermont-Ferrand-Nîmes, dite Cévenol, ligne Paris-Montargis-Cosne-Nevers. Sur l'axe Paris-Montargis - point abordé par un élu dans l'un de nos précédents articles (voir l'édition du vendredi 22 mai 2015) - la commission estime que les circulations devraient être transférées à la région Centre-Val de Loire.

Et les trains de nuit ?

La commission pense que "le périmètre des lignes de nuit doit être recentré sur les dessertes qui ont une véritable utilité sociale" et que leur situation mérite "un examen approfondi". Consciente du "fort attachement des acteurs locaux à ces dessertes", elle suggère leur maintien là où il n'y a pas d'offre alternative suffisante, notamment en raison du caractère relativement enclavé : lignes Paris-Briançon, et Paris-Rodez / Toulouse-Latour-de-Carol. En revanche, le service de nuit ne se justifie selon elle ni sur les liaisons Paris-Hendaye et Nord-Est-Méditerranée, ni sur les dessertes Paris-Côte vermeille et Paris-Savoie, "qui bénéficient d'une desserte à grande vitesse".

Investir dans le matériel roulant

La dégradation du matériel roulant n'est plus tenable. "Il a en moyenne dans les 40 ans", confirme Alain Vidalies. Des tranches de renouvellement ont été actées, mais pas toutes, notamment pour les lignes électrifiées du grand bassin parisien, "caractérisées par des déplacements essentiellement pendulaires et de très grands volumes aux heures de pointe". Il y faut donc du matériel de très grande capacité. Sur d'autres lignes radiales électrifiées, "une vitesse-cible du matériel de 200 km/h paraît adaptée, dans la mesure où l'état de l'infrastructure ne permet pas de miser sur une vitesse plus élevée de manière réaliste". Confort, niveau de service adapté à une clientèle professionnelle, services à bord… "Il ressort de la consultation publique que les voyageurs veulent en priorité non pas plus de vitesse mais une meilleure qualité du service et de confort, des équipements à bord tels que les prises électriques ou l'accès à internet", indique Alain Vidalies.

Transfert aux régions

Pour réformer le modèle des TET, ce rapport préconise d'étudier le possible transfert aux régions des lignes à caractère pendulaire, en vue d'améliorer l'équilibre économique de certaines dessertes et la lisibilité de leur gouvernance. Dans les faits, des régions assument déjà des problématiques liées aux TET dont elle n'ont pas la maîtrise car le voyageur est perdu face à ce casse-tête de la gouvernance : "Une gouvernance unique devrait donc être prévue, confiée à la région concernée qui, compte tenu de sa proximité, est la mieux à même de réaliser les choix les plus pertinents pour ces dessertes". Estimant par ailleurs que l'ouverture à terme à la concurrence est une "évolution réglementaire attendue", qui doit être anticipée car elle constitue une "chance de redynamiser ce service public", elle propose que de premières expérimentations soient menées sur les TET, "afin de préparer progressivement SNCF Mobilités à l'entrée en vigueur du cadre concurrentiel et de lui donner les moyens de résister à l'entrée sur le marché français de concurrents européens".