Transports - Trains d'équilibre du territoire : le débat sur les rails
Le débat sur l'avenir des trains Intercités ou trains d'équilibre du territoire (TET) repart de plus belle. La commission chargée par le gouvernement de plancher sur le sujet, présidée par le député PS du Calvados Philippe Duron, a lancé le 20 mars une consultation en ligne en direction des usagers, des associations et des collectivités qui a recueilli à ce jour plus de 3.000 réponses. Mais c'est un document émanant de la SNCF dévoilé par des élus communistes au cours d'une conférence de presse au Sénat le 31 mars qui a remis le sujet au premier plan de manière alarmiste. Selon ces élus, l'opérateur ferroviaire y préconiserait "un retrait massif des trains nationaux sous responsabilité de l'Etat depuis janvier 2011". Ils dénoncent notamment la "suppression organisée de toutes les offres de nuit", mais aussi de "toutes les dessertes nationales Intercités" sur six lignes, et la réduction de l'offre ailleurs : "Sur une offre actuelle de 300 trains d'équilibre du territoire par jour, la SNCF préconise d'en supprimer 160, soit plus de la moitié, relèvent-ils. Il faut ajouter à cette véritable hécatombe la suppression des 20 trains de nuit existants encore actuellement. Soit au total 180 trains nationaux dont il est proposé la suppression." Contactée par l'AFP, la SNCF n'a pas souhaité faire de commentaire.
"Régression sans précédent"
"C'est un véritable massacre qui nous est proposé", et "une régression sans précédent pour tous ceux qui ont besoin du train au quotidien", s'inquiète Pierre Mathieu, secrétaire de l'Association nationale des élus communistes et républicains (Anecr), et responsable transports. "Nous sommes déterminés à ne pas laisser faire cette fuite en avant et demandons l'arrêt immédiat de ces nouvelles remises en cause de dessertes, d'arrêts dans les gares (...), sinon quelle est la crédibilité du gouvernement qui a missionné une commission présidée par Philippe Duron, qui doit remettre d'ici fin mai-début juin" son rapport, a-t-il ajouté. Selon lui, le document transmis par la SNCF est un "rouleau compresseur pour essayer d'imposer ce scénario dans le cadre de la commission Duron".
"Nous avons rencontré Alain Vidalies (le secrétaire d'Etat aux Transports), il a dit 'pour l'instant ça n'est pas mon projet'", a commenté Charles Marziani, vice-président du conseil régional Midi-Pyrénées. Pour Evelyne Didier, sénatrice de Meurthe-et-Moselle, "on veut mettre de la rentabilité là où il n'y a pas à en mettre. Viendrait-il à l'idée d'une collectivité de décréter qu'une piscine municipale doit être rentable ? C'est un investissement social. Idem pour le train. Nous devons avoir conscience que ce qui est en jeu, c'est le bradage d'un patrimoine historique. Comme le réseau routier, le réseau ferroviaire est nécessaire à l'irrigation des territoires". Le vice-président du conseil régional du Centre, Jean-Michel Bodin, estime pour sa part que c'est "le Parlement (qui) doit être responsable de définir ce que devrait être la politique de mobilité du territoire". Jean-Pierre Bosino, sénateur de l'Oise, appelle à "mobiliser la population qui a besoin de ces trains", et souligne amèrement qu'"on va voter la loi de transition énergétique, mais on va mettre des cars, plus de voitures sur les routes".
L'Etat, autorité organisatrice
Dans un communiqué diffusé le 31 mars, Philippe Duron a fait état d'un "document de travail de l'opérateur (la SNCF, ndlr) proposant des pistes de redressement de la trajectoire financière des TET qui se dégrade d'année en année". Le président de la commission souligne qu'il "ne revient pas à l'opérateur de définir les dessertes ; il en est de la responsabilité de l'autorité organisatrice, c'est-à-dire de l'Etat". Il ajoute que "la commission remettra ses conclusions au ministre à la fin du mois de mai. Elle s'efforcera d'avancer plusieurs propositions, de manière à laisser le choix (...) des moyens à mettre en oeuvre pour moderniser et pérenniser cette offre indispensable à de nombreux territoires". "La commission souhaite mettre en avant l'importance non seulement de la qualité de la desserte mais aussi de la définition d'une réponse efficace aux aspirations légitimes des voyageurs en termes de fréquence, de régularité et de services à bord, adaptée aux besoins réels des territoires en termes de flux de voyageurs et à un coût soutenable pour la collectivité", explique Philippe Duron.
L'ARF entre en lice
Directement concernées par le débat et associées aux travaux de la commission Duron, qui intègre en son sein deux élus régionaux - Claude Gewerc, président du conseil régional de Picardie, et Luc Bourduge, vice-président Transports de la région Auvergne - les régions ont rendu public l'état de leurs réflexions le 31 mars. Portée par l'Association des régions de France (ARF), cette contribution aux travaux en cours propose un certain nombre d'orientations générales et de principes. "Ils permettront d'examiner l'articulation entre trains d'équilibre du territoire et trains régionaux, ligne par ligne, avec les régions concernées, prévient l'ARF. Préalablement à ces échanges avec chaque région, les principes de compensation des charges d'exploitation et d'investissement d'éventuels transferts devront être actés. Il convient de garantir la pérennisation des services qui seraient le cas échéant transférés et une égalité de traitement."
L'ARF appelle tout d'abord à "donner une nouvelle dynamique aux trains d'équilibre du territoire", considérés comme "un vecteur essentiel de la politique de mobilité nationale et d'aménagement du territoire". Outre que ces services sont "proches de l'équilibre économique avec un taux de couverture des charges par les recettes voyageurs de l'ordre de 70%", les TET permettent à de nombreux voyageurs de se déplacer (le taux d'occupation par train est en moyenne de 210 personnes) et ils "participent à la politique nationale de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la congestion routière", met en avant l'ARF. "Les réflexions sur les trains d'équilibre du territoire doivent ainsi intégrer l'évaluation de cette politique publique et ne pas se limiter à la seule analyse des enjeux financiers et de gouvernance présentée dans le récent rapport de la Cour des comptes", insiste-t-elle. Selon les régions, les TET "ne pourront être redynamisés qu'à certaines conditions : modernisation de l'outil de production, notamment le matériel roulant, et mise en place de nouveaux services à bord, évolution de l'organisation, en particulier sur la maintenance du matériel (…), accélération des dessertes dans certains cas, surtout pour les trains longue distance, développement d'une politique commerciale attractive avec des prix modérés".
Clarification des rôles nécessaire
Concernant le financement des infrastructures ferroviaires, l'ARF appelle l'Etat à prendre ses responsabilités : "Que ce soit les infrastructures utilisées pour les TGV, les TET, les trains de fret, les TER ou les Transiliens, le contrat de performance Etat-réseau devra assurer la pérennité de tout le réseau national." "Aucun réseau ferroviaire ne peut fonctionner sans ressources publiques et il est essentiel que des moyens financiers supplémentaires soient alloués à la rénovation du réseau existant", ajoutent les régions.
En termes de gouvernance des TET, elles proposent la création d'une agence dédiée assurant notamment le rôle d'autorité organisatrice des TET. L'organe de gouvernance de cette agence intégrerait à la fois des parlementaires, des représentants de l'Etat, des régions et des autres collectivités en charge des transports, ainsi que des représentants des voyageurs. La future convention TET, qui doit être conclue avant le 1er janvier 2016, devra clarifier les rôles de l'autorité organisatrice nationale et de l'opérateur, avec notamment l'introduction d'objectifs de performance, souligne l'ARF qui insiste aussi sur la "consultation obligatoire des autorités organisatrices régionales par l'autorité organisatrice nationale en cas de création, de suppression ou d'évolution des dessertes TET en matière de fréquences ou de politique d'arrêt". Dans le schéma préconisé par l'ARF, l'agence dédiée aurait aussi la responsabilité d'élaborer le schéma national des services des transports en vue de sa présentation au Parlement et la responsabilité de représenter l'autorité organisatrice nationale sur les territoires serait confiée aux directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal).
Trois grands types de lignes
Côté financement des TET, alors que la très grande majorité (96% en 2014) des ressources dédiées aux TET provient du mode ferroviaire lui-même, l'ARF juge "logique" de faire évoluer le système permettant d'"adosser le financement de services de mobilité durables à la taxation des modes de transport les plus polluants". Et à plus long terme, elle suggère de lancer une réflexion sur "un système de financement pérenne" des TET. L'ARF pose aussi des principes de compensation financière des régions en cas de transfert d'une ligne ou d'une partie des dessertes TET. "Il est manifeste que certains trains d'équilibre du territoire assurent aujourd'hui pour partie des dessertes d'intérêt régional", admettent les régions qui estiment que l'un des principaux critères permettant de statuer sur le caractère régional ou national d'une ligne doit être le motif de déplacement, les dessertes d'intérêt régional répondant prioritairement aux "besoins de mobilité du quotidien". L'ARF propose ainsi un classement des lignes TET en trois grandes catégories. Tout d'abord, les lignes à caractère national, répondant à des besoins de mobilité majoritairement occasionnels et de longue distance, complémentaires aux TGV, ont vocation à rester de la responsabilité de l'Autorité organisatrice nationale, estime-t-elle. Deuxième cas : les lignes "mutualisant des dessertes à destination des usagers du quotidien et de voyageurs occasionnels effectuant un trajet de longue distance". "Un transfert partiel des dessertes de cabotage assurées par ces lignes est envisageable", admet l'ARF. Il nécessiterait de mettre en place des offres TER de substitution. Mais la disparition de dessertes directes au profit de dessertes en correspondance pourrait nécessiter des investissements en gare qui devront être intégrés dans les compensations versées aux régions, défend l'association. Dans certains cas, une organisation différente des dessertes, via des rabattements, générera également des impacts pour les communes, afin d'adapter la capacité des parkings concernés. "Il sera indispensable au cours des échanges avec les autorités organisatrices régionales de veiller aux impacts potentiellement négatifs de désimbrication de certaines dessertes, souligne l'ARF. Ces impacts devront être évalués par un organisme indépendant de l'opérateur historique et permettront de juger de l'intérêt ou non de séparer totalement les dessertes d'intérêt régional et celles d'intérêt national." Pour ce type de lignes, un bi-conventionnement Etat-régions avec l'opérateur SNCF-Mobilités, permettant à deux autorités organisatrices de mutualiser les moyens "apparaît être une réponse pertinente par rapport aux enjeux d'un certain nombre de lignes qui proposent à la fois des dessertes d'intérêt national et régional", ajoute l'association. Enfin, pour une troisième catégorie de lignes TET, celles répondant "essentiellement à des besoins de mobilité du quotidien" (trajets domicile-travail ou lieu d'étude), "d'éventuels transferts peuvent être envisagés sous réserve qu'ils soient effectivement compensés à niveau de service constant", insiste l'ARF.