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Social / Citoyens - Asile et immigration : ce que dit le projet de loi

Des délais d'instruction de la demande d'asile ramenés à deux mois, un schéma national d'accueil des demandeurs d'asile prescriptif en matière de répartition dans les régions des demandeurs d'asile et des places d'hébergement, de nouveaux dispositifs destinés à lutter contre l'immigration illégale... Revue de détail des dispositions du projet de loi sur l'immigration et l'asile, un mois avant le début de son examen à l'Assemblée nationale.

Présenté au conseil des ministres du 21 février (voir notre article ci-dessous du même jour), le projet de loi "pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif" succède à deux autres textes récents sur le même sujet : la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile et la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France. Selon l'exposé des motifs, ces deux textes "ont apporté une première réponse aux défis posés à notre pays, tant pour assurer des conditions d'accueil dignes et favoriser l'intégration des réfugiés que pour lutter contre l'immigration irrégulière".

Corriger les points faibles des lois de 2015 et 2016

Mais trois points faibles demeurent : des délais d'examen des demandes d'asile qui restent trop longs (autour de onze mois en moyenne), des campements illégaux qui se constituent dans les territoires et les agglomérations "les plus exposés à la pression migratoire au détriment de tous : migrants, riverains et pouvoirs publics" et, enfin, une mise en œuvre jugée "insuffisante" des retours contraints des étrangers ne justifiant d'aucun droit au séjour en France.
Le projet de loi fixe donc un certain nombre d'objectifs : réduction des délais de la procédure d'asile, sécurisation du droit au séjour des étrangers bénéficiaires d'une protection, renforcement de la lutte contre l'immigration irrégulière, amélioration des conditions d'accueil des "talents étrangers", simplification du droit au séjour des étrangers en situation régulière, ou encore sécurisation des conditions de délivrance des titres de séjours les plus sujets à la fraude.

Accélérer le traitement des demandes d'asile et améliorer l'accueil

La quarantaine d'articles du projet de loi est organisée en quatre titres. Le titre I se fixe pour objectif d'"accélérer le traitement des demandes d'asile et d'améliorer les conditions d'accueil". Il prévoit ainsi de délivrer, dès reconnaissance de la protection, un titre de séjour pluriannuel d'une durée de quatre ans - au lieu d'un an - aux bénéficiaires d'une protection internationale et aux apatrides (art. 1er).
L'accès à la carte de résident est sécurisé pour les personnes protégées et leur famille. Il est notamment prévu la délivrance de plein droit d'une carte de résident aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux apatrides, ainsi qu'aux membres de leur famille, dès lors qu'ils justifient de quatre années de résidence régulière, donc à la fin du titre de séjour évoqué ci-dessus (art. 2). Dans le même esprit, le texte facilite la réunification familiale pour les mineurs reconnus réfugiés ou bénéficiaires de la protection subsidiaire, en autorisant la venue des parents - "sous réserve qu'ils respectent les principes essentiels de la vie familiale en France - et de la fratrie (art.3)".
Les articles 4 à 8 concernent le déroulement de la procédure et visent donc essentiellement l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Ils donnent notamment à l'Ofpra la possibilité de refuser ou de retirer la protection en cas de condamnation pour des faits graves, notamment de terrorisme, prononcée dans un autre pays de l'Union européenne, et améliorent l'information de l'Ofpra et de la CNDA sur la situation judiciaire des intéressés.

Délais réduits pour l'Ofpra et la CNDA

La disposition principale concerne toutefois la réduction des délais d'instruction, conformément à la directive européenne "procédures". Le délai à partir duquel une demande d'asile peut faire l'objet, à la demande de l'autorité administrative, d'une procédure accélérée est ramené de 120 à 90 jours à compter de l'entrée sur le territoire. En pratique, l'Ofpra aura désormais deux mois, au lieu de trois, pour procéder à l'examen de la demande et le délai de recours devant la CNDA est ramené à quinze jours au lieu de trente.
De même, le recours devant la CNDA n'aura plus automatiquement un caractère suspensif, notamment pour les demandeurs originaires de pays sûrs. Les articles en question apportent également divers allègements et simplifications dans les procédures administratives.
L'article 9 donne une valeur législative au schéma national d'accueil des demandeurs d'asile. Désormais, celui-ci ne déterminera plus seulement la répartition des places d'hébergement destinées aux demandeurs d'asile, mais "la part des demandeurs d'asile accueillis dans chaque région, ainsi que la répartition des lieux d'hébergement qui leur sont destinés". Les demandeurs orientés vers une région seront tenus d'y résider.

Lutte contre l'immigration irrégulière : "un arsenal juridique innovant"

Le titre II regroupe "un arsenal juridique innovant" - selon l'expression utilisée dans la présentation au conseil des ministres du 21 février - visant à "renforcer l'efficacité de la lutte contre l'immigration irrégulière". Il introduit à la fois des mesures techniques, comme la possibilité d'organiser des audiences en recourant aux moyens de communication audiovisuelle lorsque le juge est saisi dans le cadre de procédures de maintien en zone d'attente (art. 10), et des mesures juridiques, comme la création, au niveau législatif, d'une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) et d'une interdiction de circuler sur le territoire français (ICTF). Ces deux mesures, prévues par l'article 11, s'ajoutent à l'obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Par cohérence avec le délai laissé au juge des libertés et de la détention sur la prolongation d'une mesure de rétention, le texte fait également passer de 72 à 96 heures le délai laissé au juge administratif pour se prononcer sur un recours relatif à une OQTF (art. 12), autorise un étranger placé en rétention à solliciter une aide au retour (art 13) et permet aussi de contraindre les étrangers à résider dans un lieu qui leur est désigné pendant le délai de départ volontaire afin de limiter les risques de "disparition" (art. 14).
Pour sa part, l'article 15 précise les modalités de mise en œuvre de l'ICTF, qui peut aller jusqu'à trois ans mais doit être proportionnelle, en tenant compte notamment de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France.

La durée maximale de la rétention administrative portée de 45 à 90 jours

L'article le plus important du titre II est toutefois celui relatif à la rétention administrative (art. 16), qui fait passer la durée maximale de cette dernière de 45 à 90 jours. L'étude d'impact accompagnant le projet de loi rappelle que la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 limite à six mois (180 jours) la durée maximale de la rétention que doit fixer chaque Etat membre dans sa législation nationale.
Elle propose également un tableau montrant la durée maximale et la durée effective de la rétention dans une vingtaine de pays européens. Il en ressort que plusieurs Etats ont choisi une durée maximale de six mois (Allemagne, Danemark, Pays-Bas, Finlande, Norvège, Grèce, Hongrie...). Le tableau montre aussi que la durée moyenne effective actuelle de la rétention est de 12 jours en France, soit la durée la plus faible parmi les pays disposant de statistiques sur ce point (24 jours en Espagne, 29 en Italie, 34 en Belgique, 41 au Luxembourg, 45 en Hongrie, 90 aux Pays-Bas...).
A noter : l'article 16 prévoit que la nouvelle durée maximale de 90 jours peut être prolongée, à titre exceptionnel, pour "contrer les stratégies d'obstruction à l'exécution de la mesure d'éloignement dans les derniers jours de la rétention". L'article 16 modifie également le séquençage et les délais relatifs à la mise en œuvre de la procédure de rétention.

Assignation à résidence et exécution des mesures d'éloignement

L'article 17 répond à une décision QPC du Conseil constitutionnel, en prévoyant que les assignations à résidence de longue durée (plus de cinq ans) des étrangers faisant l'objet d'une interdiction du territoire, mais qui ne peuvent être renvoyés dans leur pays d'origine ou dans un autre pays, devront être justifiées par des circonstances particulières.
L'article 18 renforce également les dispositions relatives à l'exécution des mesures d'éloignement prononcées pour des motifs de menace grave à l'ordre public (expulsion, interdiction judiciaire du territoire, interdiction administrative du territoire), tandis que l'article 19 comporte un ensemble de mesures pour faciliter le travail des préfectures et des forces de l'ordre (notamment en matière de prise d'empreintes et en autorisant la réalisation de certaines vérifications par des gendarmes ou policiers n'ayant pas la qualité d'officier de police judiciaire).

Favoriser l'immigration des talents

Le titre III regroupe les dispositions visant à améliorer les conditions d'intégration et d'accueil des étrangers en situation régulière. Pour cela, le projet de loi étend le champ de la carte de séjour pluriannuelle "passeport talent" au cas des entreprises innovantes reconnues comme telles par un organisme public (comme dans le cas du programme "French Tech Visa") ou, plus largement, à toute personne "susceptible de participer de façon significative et durable au développement économique, au développement de l'aménagement du territoire ou au rayonnement de la France" (art. 20).
Le texte crée également deux nouvelles cartes de séjour - temporaire ou pluriannuelle - portant la mention "étudiant - programme de mobilité" et élargit les possibilités, pour les étudiants titulaires d'un diplôme équivalent au moins à un master, de bénéficier d'une carte de séjour temporaire pour recherche d'emploi ou création d'entreprise. (art. 21). Il prévoit également des dispositions pour les jeunes au pair, avec une carte de séjour temporaire spécifique (art 22) et ouvre la possibilité, pour un demandeur d'asile, de solliciter parallèlement son admission au séjour sur un autre motif (art.23).

Modifications et simplifications administratives

Pour leur part, les articles 24 à 30 apportent diverses modifications ou simplifications administratives : document unique pour les mineurs étrangers (au lieu du titre d'identité ou du document de circulation pour étranger mineur), suppression de l'obligation de signature physique sur les visas d'entrée en France, sécurisation de la carte de séjour temporaire "visiteur" (avec obligation pour le bénéficiaire de prouver qu'il peut vivre avec ses propres ressources, au moins égales au Smic, et qu'il dispose d'une assurance maladie couvrant la durée du séjour), sécurisation des conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire "vie privée et familiale", afin de "lutter contre les reconnaissances frauduleuses du lien de filiation des ressortissants français"...
Sur ce dernier point, l'étude d'impact indique qu'en 2016, les préfectures ont recensé 577 reconnaissances frauduleuses de paternité produites à l'appui d'une demande de titre de séjour. Le projet de loi prévoit donc que le ressortissant étranger se prévalant de la qualité de parent d'enfant français devra justifier sa contribution effective à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.
L'article 31 autorise les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) à demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations nécessaires à l'examen des demandes de titres de séjour pour raisons de santé. Les articles 32 et 33 améliorent aussi la protection des victimes de violences conjugales, avec en particulier la remise de plein droit d'une carte de résident à l'étranger "auquel une carte de séjour temporaire a été délivrée au titre d'une ordonnance de protection provisoire prononcée par un juge lorsque celui-ci obtient la condamnation définitive de l'auteur des violences dont il a été victime".

Dispositions finales et entrée en vigueur

Enfin, le titre IV (art. 34 à 41) regroupe les dispositions diverses et finales : mesures techniques et de coordination, dispositions spécifiques relatives à l'outre-mer (avec en particulier, pour la Guyane, la possibilité de considérer la demande d'asile comme "tardive" et donc d'engager une procédure accélérée 60 jours après l'entrée de la personne sur le territoire et non pas 90 jours comme dans les autres départements)...
Pour sa part, l'article 41 fixe les modalités d'entrée en vigueur du projet de loi. Pour la plupart, les dispositions du texte s'appliqueront dans un délai maximal de six mois à compter de la publication de la loi.

Références : projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif (examen prévu en commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale le 27 mars 2018).

 

 

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