Appui à l'export : la régionalisation au banc d'essai
Le quinquennat écoulé a confié aux régions le pilotage de l'animation des réseaux de l'export. Elles ont ainsi développé leur stratégie dans le cadre des plans régionaux d'internationalisation des entreprises (Prie), puis dans les tout nouveaux schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII). Pourtant, cette montée en puissance n'a pas permis de redresser la balance commerciale. Alors que Régions de France voudrait aller plus loin dans la délégation de compétences afin d'éviter de disperser les moyens, des voix doutent de l'efficacité régionale...
Depuis 2003, la balance commerciale de la France est en déficit chronique. Le déséquilibre s'est même creusé en 2016, à 48,1 milliards d'euros, trois de plus qu'en 2015.
Pour renverser la vapeur et favoriser l'internationalisation des entreprises, une démarche a pourtant été engagée en 2013 consistant à donner aux régions françaises les clés de l'animation du réseau des acteurs de l'export sur leur territoire. Elles ont élaboré leurs premiers plans régionaux d'internationalisation des entreprises (Prie) sous l'impulsion de la ministre du Commerce extérieur de l'époque, Nicole Bricq. Les objectifs étaient très ambitieux : accompagner 10.000 entreprises de plus vers l'export en trois ans et éponger 25 milliards d'euros sur le déficit de la balance commerciale. Il n'existe aucun bilan officiel de cette politique. Et pour cause.
Des actions pour peu d'évolution
Dans la foulée de ces engagements, les régions ont pourtant affiché des feuilles de route volontaristes. En région Centre-Val de Loire, par exemple, le Prie adopté pour la période 2013-2015 a construit une stratégie de couplage "secteurs d'activités/pays" mettant l'accent sur six filières prioritaires (vins et spiritueux, produits gourmets, aéronautique, dispositifs médicaux, décoration et art de vivre et environnement). Selon la région, cette stratégie a permis de sensibiliser à l'export 2.500 entreprises, de favoriser l'émergence de 325 nouveaux exportateurs, et d'accompagner plus de 2.000 entreprises, qui ont vu leur chiffre d'affaires export augmenter de 14%. Seulement, au regard des statistiques des Douanes, ce déploiement d'énergie n'a pas eu d'effet. Ainsi, les exportations régionales ont représenté 18,5 milliards d'euros en 2016, avec 18,1 milliards d'euros d'importations, contre 18,6 milliards d'euros en 2013 et 17,9 milliards d'euros d'importations. La balance commerciale reste positive (395 millions d'euros) mais à un niveau moindre qu'en 2013 (683 millions d'euros)...
Les nouveaux SRDEII
Avec la réforme territoriale, le gouvernement Valls a voulu aller plus loin dans ce sens. A travers les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) établis pour la période 2017-2021, les régions sont désormais officiellement responsables de l'internationalisation des entreprises. La loi Notre du 7 août 2015 les rend ainsi responsables des orientations en matière de "soutien à l'internationalisation" (article 2).
Tous ces schémas ont à présent été signés, le dernier en date étant celui du Grand Est adopté début mai. Et effectivement, chacun comprend un volet export. Dans ce cadre, en Nouvelle-Aquitaine, le conseil régional travaille par exemple sur un parcours de l'export structuré en six étapes : sensibilisation/information, état des lieux/diagnostic, structuration de l'entreprise (formation, recrutement…), ciblage marchés, élaboration du plan d'actions et financement, développement commercial et implantation. "Il s'agit du modèle aquitain qui va se développer dans la nouvelle grande région avec un appui et des conseils individuels, explique à Localtis Anne-Cécile Petit, chef du service international et attractivité à la région Nouvelle-Aquitaine. Cette méthode permet de s'assurer qu'une entreprise qui va à l'international le fait de manière structurée. On les aide à bâtir une stratégie : leurs priorités en termes de marchés, leurs actions, la protection des innovations…" La mission est confiée par la région à la chambre de commerce et d'industrie international Nouvelle-Aquitaine, qui est la porte d'entrée du dispositif. "Nous partageons les objectifs et la réalisation du diagnostic", précise Anne-Cécile Petit. Dans cette région, d'après la Direction générale des douanes, la situation s'améliore depuis 2013 avec des exportations stables (22,6 milliards d'euros en 2013, 22,4 milliards en 2016) et des importations qui baissent (21,2 milliards en 2013 et 20,2 en 2016). Une évolution qui permet à la région d'afficher un excédent commercial de 2,1 milliard d'euros contre 1,3 en 2013. L'avenir dira si le SRDEII aura permis de changer de braquet.
De vastes ensembles avec la nouvelle carte régionale
La réforme territoriale ne s'est pas limitée aux SRDEII. En faisant passer le nombre de régions métropolitaines de 22 à 13, la loi du 16 janvier 2015 a également changé la donne. "Ce nouveau découpage voit l'émergence de vastes ensembles, dont le poids dans les échanges extérieurs de la France est plus homogène", soulignaient les Douanes dans une étude sur le sujet publiée en juin 2016.
La fusion des anciennes régions a ainsi fait émerger un premier groupe de quatre régions de taille intermédiaire plus homogènes en termes de commerce extérieur. Le Grand Est est maintenant comparable à l'Auvergne-Rhône-Alpes, aux Hauts-de-France et à la région Occitanie. Un deuxième groupe englobe sept régions, avec un poids plus faible dans les échanges (entre 3% et 7%) : Normandie, Nouvelle-Aquitaine, Bourgogne-Franche-Comté, qui font jeu égal avec les régions sans changement de périmètre (Provence-Alpes-Côte d'Azur, Pays de la Loire, Centre-Val de Loire et Bretagne). Enfin, en dernière position arrivent la Corse et les DOM dont le poids dans les échanges de la France est modeste, avec un déséquilibre important de leur balance commerciale.
Cinq régions réalisent les deux tiers des ventes à l'étranger
Il n'empêche. Malgré ce rééquilibrage, l'essentiel des échanges commerciaux restent entre les mains d'une poignée de régions. D'après les chiffres donnés par Business France, dans son rapport sur l'internationalisation de l'économie française de mars 2017, en 2016, cinq régions sur les treize nouvelles réalisent les deux tiers des ventes françaises à l'étranger : l'Ile-de-France (19%), Grand Est (13,5%), Auvergne-Rhône-Alpes (12,8%), Occitanie (12,4%) et Hauts-de-France (10,3%). Le rapport souligne aussi une forte spécialisation : la construction aéronautique et spatiale pour l'Occitanie (quireprésente les trois quarts des exportations de la région), l'industrie agroalimentaire pour la Bretagne (plus du tiers des ventes), l'automobile pour les régions du Nord et de l'Est de la France ou encore l'exportation de produits chimiques ou pharmaceutiques pour les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur, Auvergne-Rhône-Alpes, Centre-Val de Loire et Normandie. "Tirées par les produits du vin, les exportations de la Nouvelle-Aquitaine se composent à 18,5% de boissons", signale aussi le rapport de Business France.
On notera le cas particulier de l'Ile-de-France : première région exportatrice, elle représente aussi plus du quart des importations françaises et génère à elle-seule un déficit supérieur à celui de la France, à près de 54 milliards d'euros en 2016, d'après une note de la Direccte. "Ce déséquilibre s'explique en grande partie par le fait que la région-capitale joue un rôle de plateforme d'importation et de redistribution pour l'ensemble du territoire", explique le document.
"Un gâchis épouvantable"
Si au regard des résultats du commerce extérieur, cette première phase de régionalisation n'a pas conduit aux effets escomptés, les défis à relever sont énormes. Ainsi, pour François Coulin, vice-président de l'OSCI, la fédération des entreprises de l'international, qui s'occupe d'une trentaine d'entreprises, l'accompagnement n'est pas encore optimal. "Il y un gâchis épouvantable, avec 120.000 entreprises exportatrices, mais seulement 20.000 qui exportent régulièrement, pour les autres c'est une aventure d'un soir !", signale-t-il, estimant qu'il y a souvent dans les structures publiques d'accompagnement à l'export une "infraction au devoir de conseil". D'après la Fabrique de l'exportation, un think tank créé par l'OSCI, sur 100 entreprises qui entreprennent une action d'exportation, seules 30 d'entre elles la renouvellent à l'horizon d'un an et elles ne sont plus que 21 en deuxième année… Au final, seules huit entreprises continuent à exporter en continu dix ans après. Les principaux facteurs explicatifs : le manque d'expérience export du personnel et le manque de disponibilité managériale. "Le principal facteur discriminant qui fait le succès ou l'échec de l'internationalisation, ce n'est pas la compétitivité, c'est la qualité des équipes qui s'occupent de l'export et leurs compétences. Or les PME n'ont pas les moyens pour ces compétences", détaille François Coulin.
Améliorer la lisibilité de l'offre
Autre problème constaté : le manque de lisibilité de l'offre d'accompagnement des entreprises à l'export, avec de nombreux acteurs (Business France, les CCI, Bpifrance, les opérateurs privés…) et des compétences qui se superposent parfois.
Dans son nouveau SRDEII, la région Ile-de-France s'attaque à la question, constatant que son offre en la matière est "riche, foisonnante", mais "encore peu lisible et coordonnée". Pourtant, une démarche d'optimisation avait été engagée dans le cadre du premier Prie, s'appuyant sur un meilleur ciblage des entreprises. Mais "cette volonté de créer une offre de services est malheureusement restée au milieu du gué : la coordination d'ensemble fonctionne peu, les offres restent plurielles et concurrentes, et la montée en compétences attendue des organismes d'appui aux entreprises reste à consolider", précise le document. Dans le cadre d'un nouveau Prie, la région compte piloter et mettre en œuvre une offre coordonnée portant notamment sur la sensibilisation des dirigeants au potentiel de l'export (y compris les "déçus de l'exportation" et les entreprises non exportatrices), l'information et l'orientation de ces derniers vers les appuis adaptés, un diagnostic de la situation de l'entreprise par rapport à son projet de développement export et l'accompagnement de ces entreprises dans leur internationalisation. L'objectif est de proposer une offre harmonisée, de qualité, avec des parcours lisibles, accélérés et simplifiés, mettant en synergie les différents services et dispositifs existants. Par exemple, en matière d'appui dans les pays étrangers, Business France réalisera le développement des partenariats commerciaux, les CCI traiteront des implantations, les pôles de compétitivité s'appuieront sur les partenariats technologiques qu'ils ont créés avec les écosystèmes locaux et des opérateurs privés interviendront également.
Une inégalité de traitement due à la régionalisation ?
"Les Prie ont occupé beaucoup de monde mais ils ont accouché d'une souris, on n'a jamais vu les résultats ! Et la question se pose de savoir si c'était une bonne idée de régionaliser la politique de soutien à l'export", n'hésite pas à dire François Coulin. Ce n'est pas tout. D'après le vice-président de l'OSCI, "on crée une inégalité de traitement des entreprises françaises dans leur chance à l'international car le soutien offert dépend du territoire sur lequel elles sont installées". L'OSCI constate que les politiques menées par les régions sont radicalement différentes : certaines vont proposer des subventions, d'autres des missions collectives… Autre risque : créer des structures bancales à l'image d'Entreprise Rhône-Alpes International (Erai), créée en 1987, mais abandonnée en 2015. Cette structure, subventionnée par l'ancienne région Rhône-Alpes à hauteur de 60%, était destinée à aider les entreprises dans leur développement à l'international. En 2014, Erai disposait de 27 implantations dans 21 pays, et employait 121 personnes, dont 48 au siège de Lyon. Sans doute a-t-elle vu trop grand. En juin 2015, le Tribunal de grande instance de Lyon prononçait sa mise en liquidation. L'examen de la gestion de la structure a notamment fait notamment ressortir une série d'anomalies, d'entorses à la concurrence, de conflits d'intérêts, et d'opacité des recrutements et des salaires…
Une "disparité des approches" mais pas "d'inéquité"
"Au lieu d'ouvrir des bureaux aux quatre coins du monde, il aurait mieux valu consacrer au moins la moitié de la subvention régionale qui atteignait 7 millions d'euros, à des aides directes aux entreprises", estime François Coulin. Selon lui, l'idéal serait que les régions constituent des bureaux d'accueil qui recenseraient les dispositifs et solutions existants et orienteraient les entreprises pour les canaliser vers le meilleur accompagnement, avec des subventions à la clé, pour ainsi éviter de créer des agences coûteuses et plus ou moins efficientes.
Régions de France ne partage pas cet avis. "Il y a bien une disparité des approches mais pas d'inéquité, assure-t-on ainsi à l'association, du fait de leur proximité avec les entreprises, les régions actionnent les outils les plus en correspondance avec leurs besoins." Pour Régions de France, des améliorations pourraient toutefois avoir lieu pour éviter de disperser des moyens dédiés à l'export. "Nous devons réfléchir à ce que peuvent être les compétences complémentaires déléguées aux régions, avec les régions volontaires et les expérimentations rendues possibles par la loi, et développer la coopération entre les régions et les métropoles. C'est un couple sur lequel on doit pouvoir investir davantage", explique ainsi l'association qui lorgne sur les excédents records de l'Allemagne. Elle n'hésite pas à les mettre au crédit du modèle fédéral. "A l'image des Länder, il s'agira de faire de la région la
collectivité pivot en matière de soutien à l’innovation et à l’internationalisation des PME et des ETI françaises", préconisait elle dans un document préparé à l'occasion de l'élection présidentielle, rappelant que les PME françaises sont cinq fois moins aidées que leurs homologues allemandes.