Alimentation durable : les collectivités ont des leviers pour agir
Dans le cadre de leurs compétences et des projets alimentaires territoriaux (PAT), en lien avec les acteurs des filières et de l’économie sociale et solidaire, les collectivités ont de nombreux "points d’appui" pour soutenir l’agriculture et favoriser une alimentation saine, durable et de qualité pour le plus grand nombre. C’est ce que mettent en évidence le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES) et Régions de France.

© Régions de France et Adobe stock
Les collectivités territoriales sont "de plus en plus nombreuses à développer des politiques ambitieuses en faveur d’une alimentation durable", observe le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES). Dans un guide récemment publié intitulé "Alimentation durable & ESS, enjeux et leviers d’action des collectivités locales", le RTES compile des exemples et ressources en la matière. Le but : encourager les collectivités à s’emparer pleinement des leviers dont elles disposent et à contribuer à la transition alimentaire, en lien étroit avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS).
Régions : des aides multiples
Les auteurs énumèrent ainsi les compétences "points d’appui" pour chaque niveau de collectivité : l’aménagement du territoire, le développement économique, la formation, les programmes européens pour les régions, l’appui en ingénierie aux territoires, l’insertion et la lutte contre l’exclusion sociale pour les départements, l’urbanisme, le contrat local de santé, le centre communal d’action sociale, la politique de la ville, la gestion des déchets pour le bloc communal, la restauration collective et l’animation des projets alimentaires territoriaux (PAT) pour toutes les collectivités concernées.
Les régions s’attachent à valoriser leurs contributions, en diffusant à l’occasion du Salon international de l’agriculture (SIA) un dossier de presse recensant les différentes façons dont elles soutiennent le secteur : aides à l’installation et à la transmission, soutien à la modernisation et à l’adaptation au changement climatique, contrat de transition agro-écologique entre l’exploitant et la région (Bretagne), appui à la formation, accompagnement vers une irrigation durable, aide à la diversification des activités agricoles et non agricoles (Hauts-de-France), accompagnement des éleveurs en recapitalisation du cheptel pour le maintien des prairies (Normandie), ouverture de la centrale d’achats à d’autres acheteurs pour augmenter le volume de produits locaux en restauration collective (Occitanie) ou encore soutien aux fermes bas carbone (Pays de la Loire).
Au-delà de l’action régionale, le RTES détaille dans sa publication les principales modalités d’intervention des collectivités qui, bien souvent, n’agissent pas seules.
Approvisionnement de la restauration collective en produits bios et locaux : l’importance du réseau et des compétences
Initié en 2010 et labellisé PAT en 2020, le projet Manger bio & local du département des Pyrénées-Atlantiques est ainsi mis en avant. Un "réseau pérenne" réunissant producteurs, élus locaux et établissements de restauration collective a été structuré pour mettre en place ces circuits courts alimentaires et accompagner les équipes de cuisine. 130 fournisseurs locaux approvisionnent actuellement les collèges, crèches, Ehpad, foyers de protection de l’enfance, établissements pour enfants et adultes handicapés de 29 communes. Pour ces cantines, la part des produits bio et locaux est passée de 20% en 2011 (dont 5% de bio) à 45% en 2023 (dont 27% de bio). Le département fait valoir les retombées économiques de cette démarche : près de 3 millions d’euros d’achats en produits locaux en 2023, dix emplois créés dont six installations de jeunes agriculteurs. Mais aussi le "coût maîtrisé" du repas pour les communes engagées et pour le département.
Le RTES insiste sur la nécessité de "travailler sur les compétences et savoir-faire au sein des collectivités" pour favoriser de telles évolutions. Et cite l’action de la région Bretagne qui s’appuie, depuis 2020, sur une association et des groupements d’agriculteurs bio (GAB) pour organiser des actions d’assistance technique et juridique des acheteurs de la restauration collective des lycées, ainsi que des actions d’éducation alimentaire et de lutte contre le gaspillage alimentaire.
Commande publique : un plaidoyer pour "libérer" 50% du volume d’achat annuel
La commande publique est un levier puissant, mais nombre de collectivités sont freinées par la réglementation ne permettant théoriquement pas à une collectivité de favoriser ses producteurs locaux, et cela en contradiction avec les orientations européennes et nationales sur l’agriculture et l’alimentation. Le RTES relaie dans sa publication le plaidoyer visant à "libérer la commande publique sur l’alimentation", porté au niveau européen par plusieurs acteurs dont l’association France urbaine, l’Agores (Association nationale des directeurs de la restauration collective) et les villes de Bruxelles et de Mouans-Sartoux. Principale revendication : "ouvrir le libre choix de la procédure pour 50% du volume d’achat annuel de denrées", notamment pour "mieux s’adresser aux petits producteurs" et "enrayer la chute drastique et accélérée du nombre d’exploitants".
Les freins actuels "[n’empêchent] pas certaines collectivités d’innover", insiste cependant le RTES. Le syndicat de production et de distribution d’eau potable de Rennes Métropole a par exemple lancé un marché de service de protection de l’eau, pour privilégier – via un label - les agriculteurs qui s’engagent pour la qualité de l’eau. Autour de cette démarche, une société coopérative d’intérêt collectif (Scic) réunit 70 producteurs, 18 transformateurs, sept collectivités, sept associations et deux financeurs.
Soutenir "l’accès de toutes et tous à une alimentation de qualité soutenable" et "repenser l’aide alimentaire"
Depuis la crise sanitaire, le département des Hautes-Alpes s’appuie sur le dispositif SoliAgri pour permettre aux associations d’aide alimentaire de s’approvisionner en produits frais et locaux. L’expérimentation a été reconduite et est actuellement en voie de pérennisation, figurant à la fois dans le projet alimentaire territorial (PAT) et dans le pacte local des solidarités.
Dans les Hautes-Alpes, comme dans d’autres territoires en France, des élus et acteurs de l’ESS s’intéressent de près aux initiatives et débats autour de la sécurité sociale de l’alimentation (voir notre encadré ci-dessous).
"Mobiliser le foncier et favoriser la mutualisation"
L’exemple de l’écopôle alimentaire du pays d’Audruicq (Pas-de-Calais), pôle territorial de coopération économique (PTCE), est valorisé. La communauté de communes de la région d’Audruicq a pu acquérir en 2010 un site de 15 hectares et le "mettre à disposition d’un écosystème initié par le Jardin de Cocagne 'Les Anges Gardins'". Le but : "structurer un système alimentaire local sur le territoire", en réunissant sur un même lieu des producteurs, une légumerie-conserverie, le centre intercommunal d’action social (CIAS) organisant le portage de repas à domicile, une association d’insertion, un espace de formation et une table d’hôtes.
Structurer les filières avec les acteurs de l’ESS
Sur un territoire composé pour moitié de terres agricoles, l’agglomération Roissy Pays de France (Val-d’Oise et Seine-et-Marne, 42 communes, 357.000 habitants) s’est appuyée sur l’écosystème local, et notamment sur des acteurs de l’ESS tels qu’un café-restaurant d’insertion, dès les prémices de sa politique alimentaire. Lauréate en 2019 d’un appel à projets de l’Ademe sur le changement de comportement, l’intercommunalité a développé "une approche transversale en articulation avec les objectifs de la charte agricole et forestière, les initiatives locales, les actions menées dans les quartiers en NPRU [rénovation urbaine], l’appui à des projets innovants dans le champ de l’ESS", mais aussi en lien avec la redynamisation commerciale des centres-bourgs.
› Sécurité sociale de l’alimentation : l’examen d’une proposition de loi interrompu à l’AssembléePortée par le député Charles Fournier (Écologiste, Indre-et-Loire), la proposition de loi (PPL) "d'expérimentation vers l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation" vise à expérimenter pendant cinq ans "la mise en place et le financement de caisses alimentaires" dans une vingtaine de territoires et à préfigurer ainsi le fonctionnement d’une sécurité sociale de l’alimentation. Reprenant les principes des initiatives portées actuellement par des territoires tels que Montpellier, Cadenet (Vaucluse), Saint‑Étienne, Dieulefit (Drôme), Paris, Lyon et la Gironde (voir notre article), les députés signataires du texte proposent d’instaurer un système de "conventionnement démocratique" confiant aux citoyens la possibilité de décider "des types de produits qu’ils souhaitent manger et du juste prix pour les producteurs". L’ambition de la démarche est ainsi à la fois de permettre l’accès de tous à une alimentation saine et de qualité et de refonder le système agricole et alimentaire. Un "fonds national d’expérimentation de la sécurité sociale de l’alimentation" financerait l’expérimentation, sur le modèle du fonds d’expérimentation dédié aux territoires zéro chômeur de longue durée. Adopté par la commission des affaires économiques le 12 février dernier, le texte a été examiné en séance publique le 20 février dans le cadre d’une niche parlementaire, mais l’examen n’a pas pu aller à son terme. "D’après mes calculs, qui s’appuient sur la trentaine d’expérimentations en cours en France, cela coûterait au maximum 35 millions d’euros", a indiqué Charles Fournier lors de cet examen, appelant à rapporter cette somme "aux 19 milliards annuels de dépenses de santé, au 1,5 milliard consacré chaque année à l’aide alimentaire et aux centaines de milliards mobilisées pour soutenir notre économie et notre agriculture". L’adoption de ce texte serait selon lui "un premier pas vers la consécration d’un droit à l’alimentation". "Les mesures que vous proposez sont techniquement complexes et financièrement peu soutenables", lui a répondu le ministre de la Santé, Yannick Neuder, qui ne soutiendra pas le texte. Il ne ferme toutefois pas la porte à de nouvelles mesures qui s’inspireraient de la PPL et des initiatives locales existantes. Le député écologiste n’a pas de visibilité sur un éventuel retour de son texte à l’agenda parlementaire, mais déclare à Localtis "explorer toutes les voies". |