Territoires fertiles : un "commun numérique" d’aide à la transition alimentaire

À la faveur des débats sur la loi d'orientation agricole, la question de la "souveraineté alimentaire" est revenue au premier plan. La nouvelle plateforme gratuite "Territoires fertiles" permet d'évaluer instanément le potentiel nourricier de son territoire et de trouver des pistes d'amélioration.

"On estime à environ 1.200 km le transport nécessaire pour notre nourriture du quotidien, soit la distance entre Brest et Nice." Voilà comment, en quelques messages percutants, la nouvelle plateforme numérique Territoires fertiles pose les enjeux de l’alimentation locale. Lancée au mois d’octobre, ce nouvel outil gratuit se propose de répondre à la question : "Votre territoire peut-il nourrir ses habitants ?". Il suffit d’entrer le nom du territoire (commune, intercommunalité, projet alimentaire territorial, parc naturel régional, schéma de cohérence territoriale …) et la plateforme sort un "diagnostic flash" sur ses capacités d’autosuffisance à partir de quantité de données ouvertes. Un bon moyen pour les acteurs locaux de structurer leur projet en approfondissant la question autour de grandes thématiques (autonomie alimentaire, dépendance aux ressources et technologies, accessibilité de l’alimentation) et des renvois vers des initiatives portées dans des territoires comparables. 

"De forts doutes sur la capacité de ce modèle à se perpétuer"

"À un an des élections municipales, nous souhaitons contribuer à mettre le sujet sur la table", souligne Lan Anh Vu Hong, de l’association Les Greniers d’abondance, l'association qui porte ce projet aujourd’hui cofinancé par la Banque des Territoires, la Fondation Daniel et Nina Carasso, la Fondation de France et le Programme national pour l’alimentation. D’autant que depuis la crise du Covid, les vulnérabilités des filières sont apparues au grand jour, faisant planer un risque pour la souveraineté alimentaire du pays. L’an dernier, un rapport gouvernemental pointait les fragilités de la Ferme France : une balance commerciale avec les pays de l’Union européenne de plus en plus déficitaire, avec l’émergence de nouvelles puissances agricoles comme la Pologne, une balance "globalement déficitaire sur les produits transformés hors produits laitiers (produits de la pêche et de l’aquaculture, fruits et légumes transformés, pâtes, produits à base de viandes et charcuteries") et également sur les produits issus de l’agriculture biologique… 

"Cette année, nous avons enregistré 25% de rendements en moins sur le blé à cause des inondations, en 2023 c’était la sécheresse… Il y a de forts doutes sur la capacité de ce modèle à se perpétuer, il s’avère défaillant à plein d’égards, ne serait-ce que sur la question des revenus des agriculteurs, des horaires de travail, du niveau d’endettement pour entrer dans la profession", observe Lan Anh Vu Hong. "Depuis le Covid, les enjeux de précarité alimentaires sont en augmentation. Un quart des Français se restreignent, soit sur la quantité, soit sur la qualité", poursuit-elle.

Territoires pionniers

Ce constat d'un modèle défaillant vient d'être confirmé dans un rapport de Terre de liens, publié le 17 février, qui montre que 43% de la surface agricole est destinée à l’exportation alors que les importations ont doublé en vingt ans (voir notre article). D’ailleurs, Territoires fertiles est un projet partenarial né du rapprochement entre deux outils qui préexistaient : Crater (créé en 2020 par Les Greniers d’abondance) et Parcel, lancé en 2019 par Terre de liens, avec la Fnab (Fédération nationale de l’agriculture biologique) et le Basic (bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne)… "On voulait éviter les doublons pour gagner en visibilité", souligne Coline Sovran, de Terre de liens, créé il y a une vingtaine d’années pour faciliter l’installation des paysans bio.

Plusieurs territoires pionniers sont aujourd’hui rompus à ces outils, à l’instar de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) qui, depuis plus de vingt ans, travaille à une alimentation locale et saine pour sa population. C’est une des seules communes à proposer des menus 100% bio dans ses cantines et ce depuis 2012 ! 85% des légumes proviennent d'une régie agricole sur des terres rachetées aux portes de la ville où travaillent trois agriculteurs recrutés sous statut municipal. "Le premier diagnostic fourni par Territoires fertiles est extrêmement pertinent pour des villes qui se lancent. Cela permet aux acteurs locaux de se rendre compte de quelle surface ils ont besoin pour nourrir la population", témoigne Gilles Pérole, adjoint au maire, chargé de l'enfance, de l'éducation et de l'alimentation, sachant qu'avec le temps la commune dispose de données plus précises. Très contrainte par l'urbanisation, Mouans-Sartoux est parvenue à doubler les terres dédiées à l’agriculture dans son plan local d'urbanisme. Toutefois, tient à préciser l'élu, "ce n'est certainement pas l'autonomie que nous cherchons - il nous faudrait pour cela 2.400 hectares de surface agricole et diviser par deux la consommation de viande - , mais une certaine souveraineté alimentaire, dans le cadre de coopérations avec d'autres territoires". Territoires fertiles permet d'élargir le sujet à l'arrière-pays grassois, à l'échelle de différents projets alimentaires territoriaux (communal, intercommunal, départemental). "Il nous faut aller vers des coopérations interterritoires : l'approvisionnement contre des contreparties. On peut apporter une certaine dynamique économique, culturelle, de qualité de vie dans les territoires ruraux. Ces coopérations permettent de bien dimensionner les projets et de prendre conscience des différents enjeux, notamment climatiques."

Un plaidoyer pour le PNR du Luberon

Pour les projets alimentaires territoriaux, la plateforme est en effet un bon moyen de poser les débats. C’est le travail entrepris par le parc naturel du Luberon, à l’origine d’un des tous premiers PAT labellisé en 2017 et qui est en train de "construire tout le plaidoyer" pour sa reconduction de cinq ans, indique Julie Rigaux, chargé de mission PAT au PNR. "On convie les élus, les agents, les agriculteurs, les plans climat-air-énergie territoriaux… J’ai étendu la démarche aux parents, aux enseignants. Il faut que tout le monde comprenne en quoi il est impératif de changer notre modèle pour aller vers une alimentation moins carnée, une cuisine méditerranéenne", appuie-t-elle. Pour ce faire, il est nécessaire de "disposer de données fiables". À cet égard, le diagnostic de Territoires fertiles indique que 31% seulement des 180.000 habitants de ce territoire qui regroupe 77 communes pourraient être nourris par les agriculteurs locaux. Il montre aussi que 497 hectares ont été artificialisés en cinq ans. Ils auraient pu nourrir près de 800 personnes. La population agricole subit une très forte diminution, avec des exploitations de plus en plus grandes et difficiles à transmettre. Le territoire est aussi caractérisé par une précarité alimentaire importante et une forte exposition aux effets du changement climatique. Julie Rigaux travaille à la publication, prévue courant mars, d’un livret vulgarisateur élaboré avec le chercheur à l’Inserm Denis Léron, "pour opposer des réponses scientifiques aux détracteurs" de la démarche.  "Ce qui nous semble important, c'est de ne plus 'siloter' et d'aller vers le concept d''une seule santé', à savoir toutes les répercussions que l'alimentation a sur les individus, le climat, la biodiversité... Quand on fait ce travail, on fait tout de suite le lien avec les aspects économiques des paysans", développe-t-elle.

Territoires fertiles continue de se développer au fil de l'eau. ll comprendra prochainement une thématique sur les enjeux de l'eau et de l'alimentation et des données mises à jour sur la population agricole, à partir du recensement de 2020.

 

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