Sécurité sociale de l’alimentation : collectivités et acteurs de l’ESS expérimentent de nouvelles politiques

Pour faciliter l’accès du plus grand nombre à une alimentation saine et durable, des collectivités expérimentent avec des collectifs citoyens et des acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) de nouvelles approches : des caisses locales de l’alimentation, reprenant les principes de la sécurité sociale, ou encore des tiers-lieux et autres projets de territoire portés par exemple sous forme de société coopérative d’intérêt collectif. 

Depuis le mois d’avril 2024, en Gironde, quatre territoires – deux urbains, Bègles et Bordeaux Nord-La Benauge, et deux ruraux, le sud Gironde et le Pays foyen - expérimentent la "sécurité sociale de l’alimentation" (SSA). Constatant à la fois "une insécurité alimentaire croissante" et le fait que beaucoup d’agriculteurs nourriciers "ne s’en sortent pas", le département a fait le choix de porter cette expérimentation aux côtés des villes de Bordeaux et Bègles et du collectif Acclimat’action, a témoigné Corinne Martinez, vice-présidente du conseil départemental de la Gironde, lors d’une rencontre du Hub des Territoires organisée le 24 septembre 2024 par la Banque des Territoires. 

"L’enjeu est de porter l’accès à une alimentation durable au même niveau que l’accès aux soins et à la prévention en matière de santé", expose l’élue. À travers ce projet, l’ambition est de "favoriser une alimentation plus qualitative, en circuit court, avec une augmentation du pouvoir d’achat alimentaire, tout en agissant sur le système agricole de manière à sécuriser le revenu des agriculteurs", peut-on lire sur le site du département. 200 foyers, correspondant à 400 personnes, participent à la démarche et cotisent, chacun selon ses moyens. Il est prévu que le financement repose à 40% sur ces cotisations et à 60% sur des subventions (collectivités, État, fondations). Les participants ont été sélectionnés de manière à assurer une représentativité en termes de niveau de revenus et de composition du foyer, avec une surreprésentation des personnes en situation de précarité (30% du panel). 

Une allocation de 150 euros par personne seule et de 75 euros en plus par personne supplémentaire est attribuée en "MonA", un crédit numérique à dépenser auprès des producteurs et distributeurs conventionnés. Il ne s’agit pas d’une monnaie locale, les sommes dépensées étant "immédiatement converties en euros pour être versées" aux vendeurs, est-il précisé sur le site de la SSA de Gironde. Une charte de conventionnement des produits et des lieux de distribution a été établie, avec cinq critères - accessibilité, bien-être au travail, transparence et juste rémunération, pratiques agricoles durables et localité des produits. Sur cette base, les décisions - rendre un nouveau point de vente éligible, par exemple - sont prises collectivement par les membres de chacune des quatre caisses locales de l’alimentation (une par territoire). 

S’il a fallu plus de deux ans aux acteurs pour préparer le projet – "se connaître, définir une gouvernance partagée et se mettre d’accord, trouver les sous…", indique Corinne Martinez -, l’expérimentation en elle-même durera un an. "Financièrement, ce n’est pas soutenable au-delà de 12 mois. Nous allons tirer des enseignements de cette expérimentation", explique l’élue. Sur ce volet de recherche, la Gironde est en lien avec les autres SSA qui ont émergé en France, à Montpellier (la première démarche), Marseille ou encore Lyon, dans le cadre d’un collectif qui a vu le jour en 2019.  

ESS et alimentation durable : les collectivités ont des leviers 

Dans une publication d’août 2024 consacrée à l’alimentation durable, le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES) rend compte de l’expérimentation montpellieraine d’une caisse alimentaire commune, mais aussi de plusieurs autres initiatives soutenues par des collectivités et destinées à favoriser l’accès de tous à une alimentation de qualité et soutenable. À l’appui de nombreux exemples, le RTES met l’accent sur les différents leviers d’actions dont disposent les collectivités pour travailler de concert avec l’ESS sur l’alimentation : approvisionnement de la restauration collective, commande publique, mobilisation de foncier et mutualisation, structuration de filières dans le cadre des projets alimentaires territoriaux (PAT), etc. 

Parmi les facteurs de réussite pour de tels projets coopératifs, Chloé Sécher, déléguée générale adjointe du RTES, cite l’intérêt de réaliser des diagnostics territoriaux partagés, en s’appuyant en particulier "sur des regards scientifiques pour prendre du recul et parfois convaincre en interne au sein de la collectivité". 

À Pantin (Seine-Saint-Denis), c’est justement la réalisation d’un diagnostic territorial qui a permis à des acteurs variés, dont la ville, une association d’éducation populaire et un restaurant d’insertion, de "structurer une vision d’ensemble" autour de l’alimentation et de construire La Butinerie, illustre Sandro de Gasparo, administrateur du projet. C’est un lieu de rencontre, d’échange et de formation sur l’alimentation durable. Les acteurs du projet, dont la ville et l’établissement public territorial Est ensemble, sont parties prenantes d’une société coopérative d’intérêt collectif (Scic), ce qui permet, selon Sandro de Gasparo, de "porter un projet entrepreneurial renouvelé au service du territoire". Des actions ont notamment été portées avec la ville au bénéfice des résidents de l’Ehpad public et avec le département pour soutenir des jeunes majeurs de l’aide sociale à l’enfance dans leur manière de s’alimenter. 

› La coopération entre collectivités et ESS pour favoriser une transition écologique juste

Comment les collectivités et les acteurs de l’ESS peuvent-ils "agir ensemble pour une transition écologique juste" ? Cette question a guidé la rencontre du Hub des Territoires du 24 septembre dernier, à partir des travaux du Labo de l’ESS qui a récemment publié une étude intitulée "Vers une société de la coopération". Ces projets très divers qui émergent sur les territoires – pôles territoriaux de coopération économique, territoires zéro chômeur, tiers lieux… - "reposent sur des modèles économiques et juridiques hybrides et complexes et nécessitent d’être accompagnés et financés", a souligné Marc Alphandery, membre du conseil d’orientation du Labo de l’ESS. Les échanges ont porté sur l’alimentation, mais également sur la mobilité – Localtis y reviendra dans un prochain article.