Agriculture : entre productivisme et écologie, les régions défendent la terre du milieu

À l'occasion du Salon de l'agriculture, les régions se veulent "force de proposition pour un nouveau modèle de production" qui puisse assurer la souveraineté alimentaire du pays.

En matière d’agriculture, les régions veulent être la voie du juste milieu. "On peut concilier écologie et économie", a martelé la présidente de Régions de France, Carole Delga, mercredi 26 février, en marge du 61e Salon de l’agriculture, renvoyant dos à dos les tenants de la compétitivité, incarnés actuellement par le sénateur de la Haute-Loire Laurent Duplomb, et ceux qu’elle appelle les "décroissants". Un clivage ravivé lors de la récente loi d’orientation agricole, votée en amont de ce 61e salon (voir notre article du 20 février). "Il y a des excès des deux côtés", a abondé Loïg Chesnais-Girard, président de la commission agriculture, alimentation, forêt et pêche de l’association et président de la région Bretagne, lors d’une conférence de presse. Si "de l’Union européenne jusqu’aux régions, tout le monde réaffirme que l’alimentation est un sujet de souveraineté", les régions "affichent une volonté : il faut produire pour nourrir", a-t-il dit. Ce qui est de moins en moins le cas. Comme l'a rappelé le ministre de l'Industrie, Marc Ferracci, sur ce même salon mardi, la dépendance alimentaire de la France a doublé en vingt ans.

"On est arrivés au bout d’un modèle"

Un an après le mouvement de colère qui avait enflammé la précédente édition du salon, les régions se veulent "force de proposition pour un nouveau modèle de production agricole", a poursuivi la présidente de la région Occitanie. "On est arrivés au bout d’un modèle", notamment sur la question du foncier, "il faut qu’on travaille sur ce sujet", a-t-elle dit, la loi d’orientation agricole étant restée quasi muette sur cette question cruciale pour le renouvellement des générations, avec un tiers des exploitants amenés à prendre leur retraite d’ici dix ans. Or "40 à 50% des installations sont le fait de jeunes non issus du milieu agricole", ce qui complique encore l’accès à la terre, a précisé Lydie Bernard, vice-présidente de la région Pays de la Loire et présidente déléguée de la commission agriculture au sein de l'association. "On ne peut plus être sur le one shot, les candidats ont besoin d’un accompagnement sur des années" dans le cadre de "contrats d’installation", a insisté Carole Delga.

Mais pour Loïg Chesnais-Girard, cette "loi est une brique, ce n’est pas le grand soir", même si les régions se montrent "satisfaites" du volet concernant la transmission et l’installation des agriculteurs, "négocié avec l’ancien ministre de l’Agriculture" (Marc Fesneau). La loi a prévu la création d’un nouveau guichet baptisé France services agriculture, piloté par les chambres d’agriculture. "Nous avons eu gain de cause sur la position des régions en matière de renseignement, de conseil, elles ont un rôle de pivot", a salué le président de la région Bretagne. Il soutient l’idée du diagnostic modulaire, "à condition que ce ne soit pas des usines à gaz qui servent à financer les bureaux d’études". 

Reconnaître les marques régionales dans les achats

Montées au créneau lors de ce même salon, l’an dernier, pour dénoncer le manque de cohérence des règles de la commande publique (voir notre article du 27 février 2024), les régions plaident pour que les marques régionales puissent être prises en compte dans les achats locaux. "En parallèle, toutes les régions se mobilisent pour donner l’exemple avec les lois existantes", a affirmé Loïg Chesnais-Girard, renvoyant aux récentes rencontres interrégionales sur la restauration scolaire à Blois (voir notre article du 4 février). "Toutes les régions sont en train de monter en puissance sur l’achat local de qualité, au-delà d’Egalim", a-t-il assuré. Pourtant la marche reste haute. La loi Egalim impose 50% de produits durables et de qualité, dont 20% de bio, dans les repas scolaires depuis 2022. Or, à ce jour, les régions sont à 17,9% des produits durables et 9,2% des produits bio. Même si, il est vrai, la Bretagne montre l’exemple, avec un record de 33,3% de produits bios et labellisés dans ses cantines. Elle a "plus que doublé les achats locaux, en Bretagne et dans les départements limitrophes", a soutenu le président de la région. Aujourd’hui les achats dans l’UE représentent 85% du total contre 60% cinq ou six ans en arrière, a-t-il avancé. Selon lui, la gestion des données permet de "savoir ce qu’on achète à loi constante". La Bretagne est d'ailleurs la première région à s’être dotée d’un observatoire des données de l’achat public. Et en 2024, avec les quatre départements bretons, elle a lancé sa centrale régionale "Breizh Achats", mutualisant les approvisionnements en produits locaux de qualité pour 325 collèges et lycées. Lors d’un colloque organisé le 30 janvier par le think tank Agridées, Simon Uzenat, conseiller régional chargé de l’achat public et des projets alimentaires territoriaux, avait exposé les ambitions de la région dans ce domaine : "Entre 2025 et 2027, nous allons monter en puissance à la faveur du renouvellement des marchés", l’objectif est de "permettre à de plus petites structures de répondre, notamment grâce aux groupements momentanés d’entreprises". Avec 24 millions d’euros d’achat par an, la région apporte "une garantie de juste rémunération des agriculteurs", tout en appliquant "un tarif unique social et solidaire" aux élèves. "C’est un choix politique très clair", avait souligné l’élu.

Aller vers des aides à l’emploi

Les régions veulent aussi mettre à profit une révision possible du PSN (plan stratégique national) de la politique agricole commune (PAC) pour faire passer quelques messages au gouvernement. "Au niveau national, les enveloppes du Feader sont peu consommées", a fustigé Loïg Chesnais-Girard assurant que "les fonds qui sont à la main des régions" sont, eux "bien consommés". Les collectivités se plaignent notamment du calibrage trop important des aides à la conversion en bio alors que les aides au maintien ont été supprimées. "Il aurait été plus judicieux de conserver les aides au maintien", a déploré Carole Delga. La région Île-de-France vient d’ailleurs d’annoncer qu’à compter de l’automne 2025, elle versera une aide à l’hectare pendant cinq ans aux exploitations qui ont achevé leur conversion en bio pour les soutenir "face à un contexte économique difficile (hausse des coûts de production, retournement conjoncturel de la demande, changement des modalités d’intervention de l’État)". Cette aide se montera à 400 euros l’hectare pour le maraîchage et l’arboriculture et 200 euros l’hectare pour les grandes cultures, la viticulture et les cultures légumières de plein champ, avec un plafond de 6.000 euros par exploitation. Près de 450 exploitations bio sont concernées, soit 10% de l’ensemble des exploitations agricoles d’Île-de-France, indique la région.

L’association se prépare aussi pour les débats sur la future politique agricole commune après 2027. Elle entend présenter un "socle commun" au gouvernement. "Il faut limiter les aides à l’hectare pour aller vers des aides à l’emploi ; il est nécessaire d’avoir un rééquilibrage car il y a un problème de rente très fort", a déclaré Carole Delga, invitant aussi à mettre en place des "plafonds" pour éviter les abus. Attention toutefois à la viabilité des exploitations, mettent en garde les deux présidents de régions. "Un élevage de 80 vaches fait vivre 1,5 ETP. (…) La taille est corrélée au revenu de l’exploitation", souligne Loïg Chesnais-Girard. "Ce sujet il faut le regarder en face."

 

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