Agriculture française en 2050 : vers un modèle de marché ou de résilience territoriale ?
À l'heure où s'est tenu le 61e Salon de l'agriculture, du 22 février au 2 mars, une étude de la Scet questionne l'avenir du modèle agricole français et dresse un constat préoccupant : si aucune transformation majeure n'est engagée, le secteur pourrait subir un choc structurel profond, menaçant à la fois la souveraineté alimentaire, l'économie rurale et la résilience des territoires. Entre changement climatique, crises économiques et mutations sociétales, l'étude dessine deux scénarios qui interrogent les choix collectifs à venir.

© SCET et Adobe stock
16 des 24 cultures analysées dans la nouvelle étude prospective du Bureau T, cellule de conseil en stratégie et prospective du Groupe Scet (filiale de la Caisse des Dépôts) publiée le 27 février 2025 sont fortement vulnérables. En particulier l'arboriculture, le maïs et le maraîchage. La transformation de l'agriculture d'ici 2050 risque de toucher de plein fouet 42% de la surface agricole utile (SAU), réparties sur 54 départements, mettant en péril la diversité agricole et alimentaire du pays.
L'étude de la Scet a ratissé large : des grandes cultures (blé, maïs grain et semence, orge et escourgeon, colza, tournesol), au maraîchage (choux, salades, melons, tomates, carottes, oignons, haricots verts, maïs doux, pommes de terre, igname et tubercules) et à l'arboriculture (abricots, pêches, prunes, poires, pommes, kiwi, bananes, clémentines) en passant par la viticulture : elle a passé en revue "tout ce qui fait la production agricole végétale française utilisée en alimentation humaine".
"Tournant critique"
"Le modèle de l'agriculture française se trouve à un tournant critique". Selon l'étude de Bureau T, d'ici 2050, "le secteur sera confronté à une conjonction de crises qui redéfiniront son équilibre". Le réchauffement climatique, avec ses épisodes de sécheresses accrues, de précipitations erratiques et d'aléas extrêmes, impactera rendements et viabilité de nombreuses cultures.
Au-delà du climat, c'est toute la structure économique et sociale du secteur qui est en jeu. La transmission des exploitations devient un défi majeur : 50% des fermes actuelles devront trouver un repreneur d'ici 2030 alors que la population agricole chute de 18% entre 2010 et 2020. Par ailleurs, la volatilité des prix des matières premières, la hausse des coûts de production et une concurrence internationale accrue mettent sous pression la compétitivité des filières françaises.
L'agriculture pourrait perdre jusqu'à 35 à 40% de sa valeur ajoutée
L'étude en conclut qu'à l'horizon 2050, sans adaptation, l'agriculture nationale pourrait perdre jusqu'à 35 voire 40% de sa valeur ajoutée, soit environ 15 milliards d'euros. Elle illustre également "l'impact de ces risques si aucune adaptation n'était engagée, notamment avec une potentielle disparition des productions locales les plus exposées, en particulier dans la zone méditerranéenne qui cumule surexposition aux aléas climatiques, défis fonciers et cultures vulnérables". "Plus qu’une crise ponctuelle, il s’agirait d'un véritable choc structurel menaçant l'équilibre des territoires, la durabilité des filières alimentaires et la souveraineté alimentaire", craignent les auteurs.
Le scénario de marché fondé sur la compétitivité et l'innovation privée
Face à un risque réel d'effondrement agricole, l’étude explore deux scénarios polarisés pour transformer l'agriculture :
- un modèle de marché fondé sur la compétitivité et l'innovation privée ;
- un scénario de résilience territoriale misant sur une régulation accrue et une planification publique.
Dans le premier cas, la production se recentrerait sur les cultures les plus rentables, au prix d'une forte spécialisation et d'une concentration des exploitations. L'exportation deviendrait le principal levier économique, favorisant des "fermes-entreprises" et une agriculture ultramécanisée. Ce modèle accentuerait cependant les fractures territoriales et la dépendance aux importations alimentaires pour certaines filières en déclin. La Scet pointe le fait que ce scénario pourrait par exemple entraîner une accélération de la déprise agricole dans le Nord-Ouest où la combinaison de grande exploitations, d'agriculteurs âgés et d'une pression foncière accrue rend les transmissions particulièrement complexes.
Le scénario de résilience territoriale
À l'inverse, le scénario de résilience territoriale s'appuierait sur une régulation publique renforcée, avec un contrôle accru du foncier agricole et une politique de soutien aux filières locales. Ce modèle mettrait l'accent sur la préservation des ressources naturelles, l'adaptation des cultures au changement climatique et une souveraineté alimentaire renforcée. La diversification des exploitations et le développement de circuits courts permettraient d'amortir les chocs économiques et environnementaux, tout en favorisant une agriculture plus durable. Dans ce scénario, l'irrigation qui devrait augmenter de 30 à 40% pour compenser la raréfaction des précipitations deviendrait un enjeu central pour garantir la viabilité des cultures dans certaines régions comme le bassin versant Rhône Méditerranée.
Un choix politique et sociétal à opérer dès aujourd'hui
Alors que le Salon de l'agriculture s'est tenu jusqu'au 2 mars et qu'il constitue un moment clé pour réfléchir à l'avenir du secteur, cette prospective met en lumière l'urgence d'une action concertée. Les décisions prises aujourd'hui structureront l'agriculture de demain : investir dans l'innovation, réorienter les subventions, revoir les politiques d'aménagement du territoire et renforcer les dispositifs de transmission des exploitations sont autant d'enjeux cruciaux.
L'agriculture française, qui représente encore 680.000 emplois agricoles (hors industrie agroalimentaire), pourrait voir sa balance commerciale - actuellement excédentaire de 5,3 milliards d'euros - se dégrader sous l'effet de la concurrence étrangère et d'une production nationale affaiblie.
L'étude décrit par ailleurs l'impact régional des changements sur les filières clés en France : les melons en Occitanie (46% des melons français), la pomme à cidre de Normandie, les abricots de la vallée du Rhône (46 % de la production nationale), les salades des Pays de la Loire, la viticulture en Bourgogne-Franche-Comté, etc. - toutes ces productions locales sont particulièrement menacées par les variations climatiques et la raréfaction des ressources en eau.
L'étude rappelle pour conclure que la transition ne pourra se faire sans une mobilisation collective. Producteurs, collectivités locales, consommateurs et pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour dessiner un modèle agricole résilient et durable. Entre compétitivité et régulation, entre industrialisation et ancrage territorial, l'équilibre pour garantir, à l'horizon 2050, une agriculture française toujours vivante et en capacité de nourrir ses territoires sera bien délicat à trouver.