Agriculture : les sénateurs actent le retour des néonicotinoïdes

Adoptée le 27 janvier 2025 à une large majorité, la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur revient sur l'interdiction des néonicotinoïdes et de certaines autres réglementations, provoquant la colère de la gauche et des écologistes.

Après de vives discussions, le Sénat a adopté le 27 janvier 2025 la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur du sénateur LR de la Haute-Loire, Laurent Duplomb, et du sénateur UDI de la Meuse, Franck Menonville. Le texte, adopté à une large majorité (233 voix pour, 109 contre), malgré l'opposition des élus écologistes, socialistes et communistes, prévoit un retour en arrière sur l'encadrement de l'usage des produits phytosanitaires, l'interdiction des néonicotinoïdes ou encore la protection de l'eau. Il prévoit notamment le retour de l'usage d'un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, l'acétamipride, pour certaines cultures. Ce produit, autorisé à l'échelle européenne jusqu'en 2033, a été interdit en France en 2018, avec une dérogation accordée par le Conseil constitutionnel pour les exploitations de betteraves sucrières. Initialement, le texte prévoyait de réautoriser un usage global de l'acétamipride, sans distinction entre les filières. Finalement, et face à l'opposition du gouvernement pour sa réintroduction pure et simple, les sénateurs ont acté son utilisation uniquement par voie de dérogation, selon des procédures approuvées au niveau européen. Une dérogation limitée dans le temps peut ainsi être accordée pour une substance active pour des produits pour lesquels il n'existe pas d'alternatives ou insuffisamment et s'il existe un plan de recherche d'alternatives.

Un "non-sens historique"

"Réautoriser les néonicotinoïdes en 2025 est un non-sens historique qui frôle l'obscurantisme, combien de temps allons-nous nier la science ? Ce texte est l'expression la plus sincère d'un populisme rétrograde, en rupture totale avec la transition écologique", s'est exclamé Jean-Claude Tissot, sénateur socialiste de la Loire, durant les débats, rappelant la qualification utilisée par le directeur scientifique agricole de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) pour définir l''acétamipride : le "chlordécone de l'hexagone"… "Quelque 1.200 études ont montré le danger que représentent les néonicotinoïdes, des études indépendantes, en nombre et de qualité, a déclaré pour sa part le sénateur écologiste d'Ille-et-Vilaine, Daniel Salmon, cette montée du déni environnemental, où les faits scientifiques ne sont qu'une opinion comme une autre, nous inquiète particulièrement". Le sénateur avait défendu une motion de rejet du texte dans son ensemble en amont des débats. Les chances de survie de la mesure à l'Assemblée nationale sont toutefois peu élevées.

Les traitements par drones temporairement autorisés

Toujours concernant les pesticides, la proposition de loi comptait revenir sur deux règles en vigueur, la séparation des activités de vente et de conseil aux agriculteurs sur l'achat de produits et l'interdiction des rabais sur leurs prix. Le gouvernement a posé son véto sur ce dernier point, amenant à un amendement de suppression de la disposition. Un compromis a été trouvé pour l'autre point, la séparation des activités de vente et de conseil pour ces produits : les fabricants de pesticides ne pourront toujours pas dispenser des conseils aux agriculteurs, les distributeurs seront quant à eux autorisés à le faire.

Autre changement : les traitements par drones. En théorie interdits, ils pourront être temporairement autorisés par les ministres chargés de l'Environnement, de la Santé et de l'Agriculture, pour lutter contre un danger sanitaire grave et, s'agissant des produits de biocontrôle ou ceux utilisés en agriculture biologique, quand ils présentent des avantages manifestes pour la santé humaine et pour l'environnement par rapport aux applications par voie terrestre. Cette disposition reprend la proposition de loi du camp macroniste adoptée le 27 janvier en première lecture, qui autorise l'épandage de produits phytosanitaires par drone pour traiter certaines cultures contre des maladies. Un texte qui a également provoqué la colère de la gauche, qui craint notamment le retour des pulvérisations aériennes et leurs risques sur la santé des agriculteurs et des riverains.

Les retenues d'eau présumées d'intérêt général majeur

En matière de ressource en eau, les sénateurs ont acté plusieurs dispositions. Les retenues d'eau à vocation agricole seront présumées d'"intérêt général majeur" si elles visent spécifiquement à répondre à un enjeu de stress hydrique pour l'agriculture et si elles ont été décidées localement dans un cadre concerté.

Contrairement à la révision de la définition des zones humides, jugée trop stricte, que prévoyait initialement le texte, le gouvernement a proposé un compromis qui a été adopté. Il prévoit la création d'un régime adapté et simplifié pour les zones humides non fonctionnelles ou zones humides fortement modifiées. "Compte tenu du rôle fondamental des zones humides dans la lutte contre le changement climatique et la résilience des territoires, en particulier vis-à-vis de la ressource en eau, la définition n'a donc pas à être modifiée, explique l'exposé des motifs, toutefois, on constate que, du fait d'activités ou aménagements qui ont altéré durablement leurs fonctionnalités écosystémiques (hydrologique, biogéochimique et biologique), certaines zones humides ne sont plus en mesure, en l'état, de remplir les fonctions spécifiques essentielles caractérisant les zones humides." Grâce à ces changements, qui ne modifient pas la définition de ces zones, les porteurs de projets d'installations, d'ouvrages ou de travaux dans ces zones seront dispensés des études de caractérisation de la zone humide, des impacts et des compensations.

Le projet de loi d'orientation agricole au Sénat à partir du 4 février

La proposition de loi adoptée assouplit aussi l'autorisation environnementale pour la construction ou l'extension de bâtiments destinés à l'élevage. Elle rend facultatives les réunions publiques. Ces réunions sont prévues à l'ouverture et à la clôture de la demande d'autorisation environnementale pour tenir informé le voisinage. Le texte prévoit enfin de créer une mission interservices agricole dans chaque département, sous l'autorité du préfet, pour mettre en œuvre le contrôle administratif unique promis. Les inspecteurs de l'environnement seront habilités au port d'une caméra individuelle.

En ouverture des débats, le gouvernement a signalé qu'il acceptait de faire passer le texte en procédure accélérée. Il devrait donc être rapidement inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Et les débats houleux risquent aussi de se poursuivre dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation agricole à partir du 4 février en séance publique au Sénat.

Référence : proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur.
 

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