Avec sa "vision pour l'agriculture et alimentation", Bruxelles promet une "approche territoriale"

Retenant les leçons du passé, la "vision pour l’agriculture et l’alimentation" présentée par la Commission européenne ce 19 février, un an après le mouvement de colère agricole, s’appuie sur une "nouvelle approche" de concertation. La Commission promet aussi une "approche territoriale". Sur le fond, elle va devoir concilier simplification, compétitivité et normes environnementales, dans un contexte de tensions géopolitiques exacerbées. La quadrature du cercle. On notera la volonté chère aux collectivités de promouvoir les circuits courts dans les marchés publics.

Exit la "stratégie de la ferme à la fourchette" issue du Green Deal qui avait tant cristallisé la colère agricole en Europe l’an dernier. Place à la "vision pour l’agriculture et l’alimentation" présentée par les commissaires Raffaele Fitto (Cohésion et Réformes) et Christophe Hansen (Agriculture), ce mercredi 19 février. La direction reste la même mais la méthode change, assure-t-on à la DG Agri. De fait, cette vision s’appuie sur le "dialogue stratégique" mis en place  par Ursula von der Leyen pour sortir de la crise, dont le rapport remis le 4 septembre appelait à une "nouvelle culture de coopération, de confiance et de participation multipartite" (voir notre article). 

Depuis lors, les tensions commerciales sont montées d’un cran, notamment avec les États-Unis, et cette "vision" qui veut inscrire l’agriculture européenne à horizon 2040 cherche avant tout à rassurer un secteur en proie aux doutes, à quelques jours de l’ouverture du Salon de l’agriculture en France, caisse de résonnance de toutes les revendications. "Nous allons corriger le tir, en incitant plutôt que d’imposer", a assuré Christophe Hansen lors d’une conférence de presse, promettant que toutes les réformes à venir seront échafaudées avec les principaux intéressés : les agriculteurs et les filières agro-alimentaires. "C’est une réponse très claire à cet appel à l’aide. (…) Les agriculteurs font partie de la solution et non du problème", a pour sa part martelé son collègue Raffaele Fitto. Celui-ci a aussi promis une "approche territoriale" et "le rétablissement du lien vital entre l’alimentation, le territoire, la saisonnalité, les cultures et les traditions".

Quatre piliers

Annoncée par Ursula von der Leyen cet été comme une priorité de ses "cent jours", la vision se résume pour le moment à un document de 28 pages reposant sur quatre piliers : rendre le secteur "plus attractif" (avec des revenus équitables), "compétitif et résilient", concilier l'action pour le climat et les questions environnementales avec la sécurité alimentaire, et travailler à des "conditions de vie et de travail équitables dans les zones rurales", avec la question sous-jacente du renouvellement des générations. Sachant, comme l’a rappelé Christophe Hansen, que "12% seulement des agriculteurs en Europe ont moins de 40 ans et 57% ont plus de cinquante ans". Un défi "difficile à relever", a-t-il concédé, indiquant toutefois qu’un pays comme l’Autriche pouvait montrer la voie avec un taux des moins de 40 ans de 24%. Une stratégie sur le renouvellement des générations sera proposée.

Alors que la question du traité avec le Mercosur n’est pas scellée malgré l’accord trouvé en décembre (la présidente du groupe RN à l’Assemblée, Marine Le Pen, a exhorté le Premier ministre, mardi, à s’opposer à toute forme de scission de l’accord), Bruxelles s’engage sur le terrain de la "réciprocité des normes". 

Réciprocité des normes et simplification

Face à la "concurrence déloyale de pays tiers", le document promet ainsi "un alignement plus fort des normes de production appliquées aux produits importés, notamment en matière de pesticides et bien-être animal". Le sujet est très sensible en France où les sénateurs viennent de décider le retour des néocotinoïdes interdits depuis 2018 (mais autorisés à l’échelle européenne jusqu’en 2033), sous prétexte d’un manque d’équité (voir notre article du 28 janvier). La Commission indique qu’elle "commencera à prendre des mesures en 2025 pour évaluer l'incidence d'une plus grande cohérence des normes" et  insiste sur le fait que "l'application rigoureuse et les contrôles des normes de sécurité alimentaire restent une priorité non négociable", avec une attention particulière sur l’élevage qui fera l’objet d’une "stratégie de long terme" spécifique. Elle examinera "attentivement toute nouvelle interdiction de l'utilisation des pesticides si des solutions de remplacement ne sont pas disponibles dans un délai raisonnable et rationalisera l'accès aux biopesticides sur le marché de l'UE". Elle entend aussi proposer une "boussole de durabilité de la ferme", censée aider les agriculteurs, sur la base du volontariat, à mieux se situer sur ces enjeux. Les agriculteurs devraient être "mieux récompensés" pour leurs pratiques respectueuses de la nature.

La Commission veut s’attaquer à la "bureaucratie", avec deux paquets de simplification attendus "au printemps" dans le cadre de la future politique agricole commune (PAC). Celle-ci s’inscrira dans le futur cadre financier pluriannuel dont les discussions viennent de commencer (voir notre article du 17 février) et qui devrait être présenté cet été. "Une PAC plus simple avec plus de flexibilité laissée aux États membres" et des soutiens "mieux ciblés" vers les agriculteurs qui en ont le plus besoin, précise-t-on à la DG Regio. Raffaele Fitto entend par ailleurs "garantir la complémentarité entre la PAC et les autres fonds européens et nationaux".

Durabilité et qualité dans les marchés publics

Pour ce qui est du quatrième pilier relatif aux zones rurales, la Commission souhaite renforcer le Pacte rural lancé en 2021 et lancera un "dialogue annuel sur l’alimentation" associant toutes les parties prenantes : consommateurs, agriculture, filières amont et aval et pouvoirs publics. Elle table par ailleurs sur la révision de la directive sur les marchés publics qui accordera plus de place à la "durabilité" et au "qualité-prix". Alors qu’à l’occasion du dernier Salon de l’agriculture, départements et régions étaient montés au créneau pour demander l’instauration d’un critère de proximité (voir notre article du 27 février 2024), on semble s’en approcher, bien que le mot ne soit toujours pas prononcé. "Plusieurs éléments permettront de caractériser la durabilité : l’agriculture bio mais aussi l’alimentation avec la place des circuits courts", assure-t-on à la DG Regio. Selon le document, il s’agit de "promouvoir la consommation de produits locaux, saisonniers, et les aliments produits avec des normes environnementales et sociales élevées, y compris les produits biologiques et les denrées alimentaires provenant de chaînes d’approvisionnement plus courtes". Ces dernières étant considérées comme stratégiques. La vision entend aussi promouvoir des "outils de développement local participatif" comme Leader ou les Smart Villages "qui ont prouvé leur efficacité".

Place à présent à la concertation qui associera notamment le Comité des régions. "Ce n’est pas la fin du voyage, c’est le début, la première étape", insiste Christophe Hansen.