La Commission européenne invitée à un verdissement marqué de la PAC

Le groupe de dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture de l’UE mis en place par Ursula von der Leyen a remis son rapport ce 4 septembre. Destiné à guider les travaux de la future Commission européenne, il plaide pour une "nouvelle culture de coopération, de confiance et de participation multipartite". Il assume un verdissement marqué de l’agriculture européenne et de la PAC.

Annoncé par la présidente de la Commission européenne lors de son discours sur l’état de l’Union du 13 septembre 2023 (voir notre article du 13 septembre 2023), puis lancé au moment même où la colère paysanne commençait à gronder un peu partout en Europe (voir notre article du 24 janvier), le groupe de "dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture de l’UE" – piloté par l'universitaire allemand Peter Strohschneider et dans lequel figure notamment Thibaut Guignard, président d’Elard – vient de remettre ce 4 septembre son rapport final (en anglais). L’objet a vocation à guider les travaux de la nouvelle Commission européenne, laquelle doit présenter dans les 100 premiers jours de son mandat sa "vision pour l’agriculture et l’alimentation".

Éloge du consensus

Prônant singulièrement l’apaisement dans un "climat de conflits sociétaux croissants qui s’accompagnent d’une fracture de plus en plus grande entre les zones urbaines et rurales" (voir notre article du 5 février), le rapport se veut consensuel. Il a d’ailleurs été adopté à l’unanimité par les 29 membres composant le groupe de travail. "La confiance et la coopération entre toutes les parties prenantes sont plus importantes que jamais", est-il souligné. Chacun pourra donc trouver plus ou moins son compte dans les "dix principes politiques directeurs" arrêtés et les recommandations émises par le groupe de travail : tant ceux pour qui "la production alimentaire et agricole est un élément essentiel de la sécurité européenne" que ceux pour qui "la transition vers des régimes alimentaires plus équilibrés, plus sains et plus durables est essentielle à la réussite de la transition".

Verdissement de l’agriculture et de la PAC 

Pour autant, dans la droite ligne de la stratégie "De la ferme à la fourchette", la balance semble globalement pencher fortement du côté des partisans d’un verdissement de l’agriculture et de la PAC. Pour le groupe de travail, cette dernière devrait ainsi être modifiée pour "promouvoir des résultats positifs en matière environnementale, sociale et de bien-être animal" – un label en la matière est préconisé – ou "encourager les agriculteurs à fournir des services écosystémiques". Le groupe de travail plaide singulièrement pour que le soutien financier à ces actions en faveur de l’environnement et du climat soit augmenté "considérablement chaque année au cours des deux périodes suivantes de la PAC, à commencer par la part actuelle du budget consacré aux éco-régimes et aux [mesures agroenvironnementales et climatiques]", en préconisant "un budget spécifique et approprié". Il promeut par ailleurs l’agrobiodiversité et le soutien à la production biologique, préconise la réduction des intrants, le développement du biocontrôle, la transition vers un "élevage durable" ou plaide pour réorienter les consommateurs "vers des options végétales". Un élevage décidément pas à la noce (voir notre article du 14 septembre 2023). Il préconise encore la création d’un observatoire européen des terres agricoles et l’introduction d’un objectif juridiquement contraignant visant le zéro artificialisation nette des terres d’ici 2050.

Fonds agricole pour une transition juste et fonds pour la restauration de la nature, avec un nouveau Seqe ?

Peu avare, le groupe se prononce en outre pour l’institution d’un "fonds agricole pour une transition juste", en dehors de la PAC, pour renforcer "la transition rapide du secteur vers la durabilité". Un fonds calqué sur le "fonds pour une transition juste" mis en place pour atténuer les effets de la transition énergétique des territoires les plus dépendants des énergies fossiles ou émetteurs de CO2.

Il suggère de même la création d’un autre fonds, "pour la restauration de la nature" cette fois, toujours en dehors de la PAC, "afin d’aider les agriculteurs et les autres gestionnaires de terres à restaurer et à gérer les habitats naturels".

Reste à connaître les modalités précises de leur financement. À terme, nul doute que les agriculteurs seront invités à y contribuer. Si le groupe de travail juge "prématuré de tirer des conclusions définitives sur un éventuel futur système d’échange de quotas d’émission [Seqe] pour l’agriculture" – alors que les conséquences concrètes de la mise en place du Seqe 2 ne se font pas encore ressentir –, il préconise la mise en place d’un "système de comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre et d’objectifs spécifiques pour les différents types d’agriculture" – sans doute une préconfiguration nécessaire –, en estimant par ailleurs que "les approches technologiques ne suffiront pas à atteindre les objectifs climatiques".

Une aide aux revenus plus ciblée

Dans la même veine que le Comité européen des régions (voir notre article du 21 juin) ou le Comité économique et social européen (voir notre article du 22 juillet), le groupe estime que la PAC ne devrait désormais accorder une aide aux revenus qu’ "à certains agriculteurs actifs, d’une manière beaucoup plus ciblée". Et ce, notamment afin d’empêcher l’abandon des exploitations. Pour rendre le secteur plus attractif pour les jeunes, le groupe juge par ailleurs "essentiel de faciliter la mobilité foncière", d’améliorer la qualité de la formation et des conditions de travail. Le renforcement de la lutte contre les inégalités entre les hommes et les femmes et contre le "manque de diversité" est également promu, alors que "la vitalité et l’attractivité des zones rurales doivent être considérablement renforcées par la mise en œuvre de la vision à long terme pour les zones rurales" (voir notre article du 2 avril).

Lutter contre les pratiques et la concurrence commerciales déloyales

Le groupe de travail rejoint de même le concert pour "mieux lutter contre les pratiques commerciales déloyales", en "renforçant la position des agriculteurs dans la chaine de valeur alimentaire". Accroître la transparence, soutenir la coopération sont des pistes avancées, qui ne sont pas sans renvoyer à "l’Égalim européen" préconisé en février dernier par Emmanuel Macron (voir notre article du 2 février).

Dans la même logique – et au moment même où l’accord commercial de libre-échange avec le Mercosur est relancé –, la Commission européenne est invitée à "veiller à une plus grande cohérence entre sa politique commerciale et sa politique de durabilité" – même si les fameuses "clauses miroirs" promues par la France ne sont pas explicitement évoquées –, notamment en reconnaissant davantage "l’importance stratégique de l’agriculture et des produits alimentaires dans les négociations commerciales". 

Quel devenir ?

Commanditaire de ce "rapport indépendant", la Commission européenne souligne que ce dernier ne l’engage nullement. Mais l’on devine qu’elle ne restera pas insensible à ses préconisations, dont nombre d’entre elles s’inscrivent dans la droite ligne du pacte vert, auquel Ursula von der Leyen ne semble guère prête à renoncer (voir notre article du 7 février), même si elle a dû naguère faire quelques concessions (voir notre article du 19 mars). En témoigne le fait que Greenpeace ait apporté son soutien au dit rapport, comme l'a relevé l’AFP. Il en ira sûrement autrement dans d’autres cénacles, et notamment au Conseil, où l’unanimité n’est pour l’heure pas de mise. Lors du Conseil Agripêche du 24 juin dernier, les Vingt-Sept n’étaient ainsi pas parvenus à se rejoindre sur les conclusions sur l’avenir de l’agriculture dans l’UE proposées par la présidence belge, pourtant bien moins innovantes.

 

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