En pleine colère paysanne, la Commission lance un "dialogue stratégique" sur l'agriculture
Alors que l'exaspération des agriculteurs s'exprime à travers l'Europe, la Commission européenne lance, ce 25 janvier, son "dialogue stratégique" sur l'avenir de l'agriculture. L'objectif : fournir à la future Commission et au futur Parlement européen des recommandations en vue d'une nouvelle politique d'accompagnement de la transition écologique en cours. Un sujet très sensible.
D'aucuns diront que Bruxelles n'a pas vraiment le sens du "timing". Alors qu'un peu partout en Europe, les agriculteurs manifestent leur colère, la Commission lance ce jeudi 25 janvier, son "dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture". L'initiative avait été annoncée par Ursula von der Leyen lors de son dernier discours sur l'état de l'Union. "Nous avons besoin de davantage de dialogue et de moins de polarisation (dans l'élaboration de la politique agricole, ndlr). Je suis et demeure convaincue que l'agriculture et la protection de la nature peuvent aller de pair, nous avons besoin des deux", avait-elle affirmé, alors que la traduction de son Pacte vert, à travers la stratégie "De la ferme à la table", suscite de vives inquiétudes chez les agriculteurs depuis trois ans. Une étude du Centre de recherche de la Commission européenne publiée à l'été 2021 avait indiqué que cette politique, avec ses nouvelles contraintes environnementales, risquait d'engendrer une baisse de 5 à 15% de la production européenne (voir notre article du 15 octobre 2021). Et il n'est pas étonnant de voir dans ce Pacte vert l'une des cibles privilégiées de la contestation actuelle. A la Commission, on explique qu'il y a "beaucoup d'incompréhension" et qu'il est nécessaire "de se remettre autour de la table". C'est le sens de ce "dialogue stratégique" qui a pour but de rouvrir le débat avec l'ensemble des parties prenantes de la chaîne alimentaire. Le groupe va être piloté par le professeur Peter Strohschneider, ancien conseiller pour l'agriculture du gouvernement allemand. Il animera un groupe d'une trentaine de membres représentants de toute la chaîne agricole et agroalimentaire (Copa-Cogeca, Ceja, Ifoam Europe, FoodDrinkEurope, EuroCommerce…), de l'amont (semences, fertilisants…), de l'aval (consommateurs), un universitaire…
Quatre priorités
Le groupe devrait remettre ses conclusions à la fin de l'été pour que la nouvelle Commission et le nouveau Parlement européen issu du scrutin de juin puissent s'en emparer avant la fin de l'année. Quatre grands thèmes seront abordés : le revenu et les conditions de vie des agriculteurs, la transition écologique, l'innovation et la place de l'agriculture dans la compétition mondiale (la Commission rappelle à cet égard que l'UE reste "la première puissance exportatrice mondiale de produits agro-alimentaires avec une balance commerciale positive de 58 milliards d’euros en 2022"). Le "Pacte vert" sera au centre de ses travaux avec l'idée d'accompagner les exploitations vers "plus de résilience, plus de durabilité". Mais au vu du contexte, de nombreux ministres de l'Agriculture, réunis en conseil le 23 janvier, ont exprimé leurs doutes sur le calendrier… "Le dialogue stratégique n’a eu lieu qu’après une série de problèmes, il aurait pu commencer plus tôt", a ainsi fustigé le ministre autrichien, Norbert Totschnig, cité par Euractiv. Que dire alors de la publication il y a quelques jours par le comité scientifique consultatif européen sur le changement climatique d'un rapport invitant à une taxation carbone des exploitations sur le principe du "pollueur-payeur" ? Et ce, alors que la taxation du gazole non routier (GNR) utilisé dans les tracteurs alimente la colère ?
Pendant ce temps, la Commission européenne poursuit une politique de libre-échange qui fait grincer des dents. Deux échéances attendent l'UE : la reconduction de l'accord ATM avec l'Ukraine au mois de juin et l'accord de libre-échange avec le Mercosur dont la présidente de la Commission espérait parvenir à une conclusion avant la fin de son mandat. Lors des questions au gouvernement, mercredi au Sénat, le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau a appelé l'Union européenne à lever le pied sur les normes et à mettre de "la cohérence entre une transition nécessaire et une nécessaire souveraineté qu'il faut réaffirmer". "40 millions de tonnes de céréales ont été importées en 2023", a-t-il indiqué.