La loi d'orientation agricole adoptée in extremis
A deux jours du 61e Salon de l'agriculture, les sénateurs on apporté un point final, ce jeudi 20 février, au projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, à l'issue d'un parcours de plus de deux ans, longuement interrompu en raison de la dissolution. Les débats ont mis au grand jour les clivages profonds sur l'avenir du modèle agricole et alimentaire.
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© Capture vidéo Sénat/ Annie Genevard
"Heureux dénouement" pour les uns. Simple "laissez-passer" pour les autres. Que le chemin a été long depuis l’annonce par Emmanuel Macron d’un "pacte pour le renouvellement des générations" aux Terres de Jim, le grand rendez-vous annuel des Jeunes agriculteurs, en 2022. Après un an de concertation et autant de débats entrecoupés d’une dissolution, le Parlement a définitivement adopté jeudi, par un ultime vote du Sénat (par 236 voix contre 103), le projet de loi "d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture" dans sa version de compromis issue de la commission mixte paritaire qui s’est tenue pendant six heures mardi soir. Pari tenu pour l’exécutif qui tenait à ce vote obtenu sur le fil avant le 61e Salon de l’agriculture qui s’ouvre ce samedi avec la visite du président de la République. Ce vote à l'arrachée ressemble bien à un sauf-conduit, tant la traditionnelle déambulation du président avait été chahutée l’an dernier, dans le contexte du mouvement de colère des agriculteurs qui couve toujours.
Les débats ont mis au grand jour les clivages profonds sur la nature du modèle agricole et alimentaire. Si la ministre de l’Agriculture Annie Genevard a défendu, devant les députés, mercredi soir, un "texte très attendu par le monde agricole", amorçant "un grand mouvement de renouvellement des générations", l’enthousiasme est loin d’être partagé par toutes les formations politiques, entre la gauche qui s’y est opposée - les écologistes ayant même tenté de faire passer une motion de rejet -, et le Rassemblement national qui a voté à reculons "un petit texte de loi", faute de mieux.
"Intérêt général majeur" et "non-régression de la souveraineté alimentaire"
Dès l’article 1er, le projet de loi érige "la protection, la valorisation et le développement de l'agriculture" au rang d'"intérêt général majeur", comme le réclamait la FNSEA. L’objectif : sécuriser devant le juge administratif des projets tels que les retenues d’eau ou les bâtiments d’élevage hors-sol face au droit de l’environnement. Pour lui donner plus de poids, les sénateurs ont introduit un principe de "non-régression de la souveraineté alimentaire". Un principe jugé "nébuleux" par la présidente de la commission des affaires économiques de l’Assemblée, Aurélie Trouvé (LFI), qui est "là pour attaquer la non-régression environnementale inscrite dans la Charte de l’environnement", et qui sera, selon elle, "censurée par le Conseil constitutionnel".
Le texte dresse ensuite une liste de priorités et finalités qui ressemblent souvent à des vœux pieux, quand elles n’entrent pas en contraction les unes avec les autres. Il définit ainsi la "souveraineté alimentaire" comme "le maintien et le développement des capacités de la Nation à produire, à transformer et à distribuer les produits agricoles et alimentaires nécessaires à l’accès de l’ensemble de la population à une alimentation saine, et le soutien des capacités exportatrices contribuant à la sécurité alimentaire mondiale". Une vision ambivalente contestée par les associations de défense de l’environnement qui y voient une notion calée sur l’équilibre de la balance commerciale agricole et en rien l’amorce d’un changement du modèle productiviste qui ne répond pas au mal-être de bon nombre d’agriculteurs.
"Encourager l’ancrage territorial de la production"
Force est de constater que le texte joue toujours sur les deux tableaux : la reconquête de la souveraineté alimentaire de la France "en protégeant les agriculteurs de la concurrence déloyale de produits importés issus de systèmes de production ne respectant pas les normes imposées par la réglementation européenne", tout en améliorant "la compétitivité et la coopération agricoles sur le plan international", en soutenant "les capacités exportatrices contribuant à la sécurité alimentaire mondiale" et en veillant, "dans tout accord de libre-échange, au respect du principe de réciprocité". Les accords de libre-échange ne sont donc pas remis en cause dans leur principe mais le texte cherche à assurer "un développement des territoires de façon équilibrée et durable, concourant notamment à la qualité des services à la population, en prenant en compte les situations spécifiques à chaque région" et à "encourager l’ancrage territorial de la production, de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles, y compris par la promotion de circuits courts". Par ailleurs, l’objectif de 21% de surface agricole en bio à horizon 2030 a été réintroduit en CMP.
"Nous exportons ce dont nous avons besoin, nous importons ce dont nous avons besoin : l’absurde est érigé en modèle", s’est insurgée la députée écologiste Marie Pochon. "Nous exportons la production de 43% de nos terres et nous importons trois quarts des pâtes et semoules qui nourrissent notre population, alors que l’on pourrait largement satisfaire notre consommation moyenne", a-t-elle argué, reprenant les données du récent rapport de Terre de Liens intitulé "Souveraineté alimentaire : un scandale made in France" (voir notre article du 17 février).
En réponse aux critiques, les défenseurs du texte mettent en avant l’organisation à partir de 2026 de "conférences de la souveraineté alimentaire" réunissant les représentants des filières et des organisations interprofessionnelles sous l’égide de FranceAgriMer. "Il s’agira de définir une stratégie assortie d’objectifs, notamment de production, à horizon de dix ans, en vue de l’amélioration de la souveraineté alimentaire de la Nation", a expliqué Nicole Le Peih (Ensemble pour la République), rapporteure de la CMP.
500.000 exploitants agricoles d’ici 2035
Sur le cœur du texte – à savoir le renouvellement des générations, sachant qu’un tiers des chefs d’exploitation seront en âge de partir à la retraite d’ici 10 ans – un objectif de 400.000 exploitations et 500.000 exploitants agricoles d’ici 2035 est fixé. Pour y parvenir, des schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles, déclinés par territoires et par filières seront mis en place. Le Parlement a conservé le nom de France Services Agriculture pour désigner le nouveau guichet unique pour la transmission et l’installation des agriculteurs. Piloté par les chambres d’agriculture, il associera les régions à sa gouvernance. Il s’adressera à "l’ensemble des personnes projetant de cesser leur activité et des personnes ayant un projet d’installation, issues ou non du milieu agricole". Un dispositif d'"aide relais" sera mis en place pour mettre en relation cédants et repreneurs. Les agriculteurs pourront bénéficier d’un "diagnostic modulaire" pour évaluer "le caractère vivable des projets d’installation et de cession d’exploitations agricoles". Les parlementaires ont réintroduit le "Bachelor agro" (Bac+3). Le texte prévoit de renforcer de 30% les effectifs en enseignement agricole d’ici 2030 et définit une 6e mission de l’enseignement agricole, pour mieux préparer aux enjeux de renouvellement des générations et de transitions alimentaires.
En matière d’accès à la terre, on notera simplement que "l’État se donne comme objectif, aux côtés des collectivités territoriales volontaires, d’accroître progressivement la mobilisation de fonds publics et de fonds publics associés à des fonds privés au soutien du portage des biens fonciers agricoles, d’une part, et des investissements nécessaires aux transitions climatique et environnementale, d’autre part, en s’appuyant sur les banques publiques du groupe Caisse des Dépôts". En revanche, la création de "groupements fonciers agricoles d'investissement" (GFAI) initialement proposée par le gouvernement n’a pas été retenue.
Simplification
Le texte contient par ailleurs bon nombre d’engagements pris par le gouvernement en matière de simplification, en réponse à la crise agricole. Des mesures qui ont suscité de vives critiques à gauche où l’on dénonce la mainmise de la FNSEA et du sénateur LR de la Haute-Loire Laurent Duplomb (ancien responsable local de la FNSEA), grand pourfendeur de la surcharge normative.
Le texte introduit une présomption d’urgence pour le traitement des recours contentieux à l’encontre des projets d’élevage et des ouvrages agricoles et hydrauliques. "Nous ne touchons pas aux règles de fond. Il ne s’agit que d’une accélération", a martelé Nicole Le Peih. "C’est un gage de sérénité pour le monde paysan", a abondé Annie Genevard, jeudi, devant les sénateurs. Le projet de loi prévoit aussi une simplification de la règlementation sur les haies, avec un régime unique. Les parlementaires ont également introduit un article 14bis A qui reprend les termes d’une proposition de loi écologiste visant à renforcer la protection des haies, adoptée par la Haute Assemblée le 30 janvier (voir notre article du 31 janvier). Ils ont instauré un "droit à l'erreur" pour les agriculteurs, en inscrivant dans la loi une présomption de "bonne foi" d’un exploitant lors d'un contrôle administratif. Les atteintes environnementales "non intentionnelles" ont été largement dépénalisées au profit d'amendes forfaitaires de 450 euros. Le Parlement a introduit le précepte du "pas d’interdiction sans solution économiquement viable et techniquement efficace" au sujet des pesticides. Les constructions, ouvrages, installations ou aménagements agricoles seront sortis du décompte du zéro artificialisation nette (ZAN). A noter enfin que les tirs de défense seront facilités pour lutter contre la prédation du loup.
Les chambres d’agriculture ont salué, mercredi, la création de "France Services Agriculture" tout en espérant que sa mise en œuvre soit "rapide" et les engagements financiers "à la hauteur de l’ambition portée".
Au-delà des empoignades sur les questions environnementales, le projet de loi qui pourrait être promulgué avant le Salon de l'agriculture laisse un goût d'inachevé sur le foncier agricole et la question des revenus. Les sénateurs, eux, ont déjà le regard tourné vers la proposition de loi Trace (Trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux) qui sera discutée en séance les 12 , 13 et 18 mars prochains (voir notre article du jour).