Foncier agricole, la brique manquante dans le projet de loi d'orientation
Auditionné mercredi sur le thème de la souveraineté alimentaire, Stéphane Travert a annoncé l'installation prochaine d'une mission parlementaire pour plancher sur la question du foncier agricole, quasi absente du projet de loi d'orientation agricole. Le député Dominique Potier dénonce un manque de courage sur ce sujet et alerte sur une "grande dérégulation à l'oeuvre".
Le foncier est la "brique" manquante au projet de loi d'orientation agricole, a déclaré le député de la Manche Stéphane Travert, le 29 mai, au lendemain du vote de ce texte contesté à droite comme à gauche. Lors d'une audition sur "la perte de la souveraineté alimentaire de la France", le président de la commission des affaires économiques a annoncé le prochain lancement d'une mission parlementaire pour remédier à ce manque et préparer un nouveau texte de loi. "Je détaillerai les contours et le périmètre en discutant avec chacun des représentants des groupes de la Commission (…) la question du foncier, elle est absolument indispensable à traiter", a appuyé l'ancien ministre de l'Agriculture d'Edouard Philippe, qui a longtemps tergiversé sur ce sujet, lors de son passage rue de Varenne.
En défendant son texte la veille, le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau a reconnu qu'il s'agissait d'une première "brique". De fait la question foncière en est quasi absente (voir notre article du 29 mai), alors qu'il fixe pour la première dois l’objectif de compter au moins 400.000 exploitations et 500.000 exploitants à horizon 2035.
Rendez-vous raté
Lors des explications de vote, mardi, le député socialiste de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier – co-auteur d'un rapport sur le foncier agricole en 2018 – s'est livré à une violente charge contre le projet de loi gouvernemental. "Plus d’un tiers des paysans quittera le métier au cours des dix prochaines années ; à cette occasion, un tiers de la surface agricole utile française (SAU), soit 10 millions d’hectares, changera de mains (…) Soit ces terres contribueront à l’agrandissement, accélérant le développement d’une agriculture dite de firme (…) Soit elles contribueront à l’installation de nouveaux agriculteurs", a-t-il exposé, dénonçant le manque de "courage" du ministre sur la question foncière. "Monsieur le ministre, la véritable raison de votre frilosité, c’est qu’il n’y a pas de consensus au sein même de votre majorité", a-t-il enfoncé. Or, selon lui, sans réforme foncière "la promesse de 500.000 paysans restera vaine". "Nous allons tout droit vers une agriculture, plus pauvre, réduite à 200.000 paysans : nous avons raté ce rendez-vous."
Dans son dernier rapport sur le marché des terres agricoles, publié la semaine dernière, la Fédération nationale des Safer (FNsafer) se félicite que l'artificialisation des terres agricoles ait à nouveau reculé en 2023, "dans le prolongement de la réduction prononcée du marché de l’urbanisation enregistrée en 2022, après la reprise de 2021 qui avait succédé au repli lié à la crise sanitaire de 2020". 12.900 hectares ont été destinés à l'urbanisation, soit une baisse de 29% par rapport à 2023. Mais il est probable que cette rétractation "procède davantage d’un contexte macro-économique (inflation, augmentation des coûts de construction, durcissement des conditions d’attribution de prêts, augmentation des taux d’intérêt) que de la mise en œuvre de politiques d’aménagement en faveur de l’environnement, telles que l’objectif zéro artificialisation nette formulé en 2021", concède la fédération.
Entre 15.000 et 20.000 hectares détournés de leur vocation agricole
De plus, derrière cette tendance favorable, le président de la FNSafer Emmanuel Hyest alerte sur un "phénomène pernicieux" :"la consommation masquée du foncier agricole", à savoir l'achat de terres par des non agriculteurs qui en changent l'usage. Disposant pour la première fois de données nationales sur cette consommation masquée, la fédération estime qu'entre 15.000 et 20.000 hectares par an sont détournés de leur vocation agricole.
La fédération dispose également des premiers retours sur la mise en œuvre de la loi Sempastous de 2021 sur le contrôle des cessions de parts sociétaires. Cette réforme entrée en vigueur début 2023 a conduit à une "transparence accrue", assure la FNSafer, qui a ainsi pu contrôler le changement de main de 869.000 hectares de terres.
Un optimisme que ne partage pas Dominique Potier pour qui "non seulement le phénomène sociétaire n’a pas été canalisé, mais il a parfois été amplifié" par cette loi. "Une grande dérégulation est à l’œuvre, ruinant les possibilités d’assurer le renouvellement des générations", alerte-t-il.