Orientation agricole : un texte contesté mais largement amendé par les députés

Plus de 5.500 amendements ont été passés en revue par les députés lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole. Le texte a été voté mardi soir, après un léger suspens, tant les critiques ont fusé lors des débats. Il doit passer le 24 juin au Sénat mais laisse déjà un goût d'inachevé, notamment en matière de foncier agricole. Le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau a lui-même annoncé "d'autres briques" à venir. Revue de détails des modifications intéressant les collectivités. 

Cela s'est joué à peu. Les députés ont voté en première lecture, mardi 28 mai, le projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture, à une courte majorité (par 272 voix contre 232 et 65 abstentions), le RN et une grande partie de la gauche ayant voté contre, pour des raisons parfois contradictoires mais qui se rejoignent sur le rejet des accords de libre-échange. 

Annoncé par le président de la République en 2022, ce projet de loi a connu quelques vicissitudes. Après un an de préparation, il a dû être en partie réécrit pour tenir compte du mouvement de colère des agriculteurs qui s'est exprimé au premier trimestre, avec l'ajout d'un volet de simplification. Le projet de loi, finalement présenté en conseil des ministres le 3 avril, vise à répondre à un double défi : le remplacement de toute une génération d'agriculteurs qui va partir à la retraite dans les prochaines années et l'adaptation au changement climatique.

Une "brique" qui en appelle d'autres

"Ce texte constitue une brique importante, notamment en matière d’orientation, de formation et d’installation. Il comporte des mesures de simplification et de souveraineté qui répondent à la crise agricole", s'est félicité le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau, à l'issue du vote, annonçant d'autres "briques" à venir en matière de rémunération, de planification écologique ou de gestion de crise.

Pas moins de 5.500 amendements ont été examinés pendant les cinq semaines d'examen à l'Assemblée, d'abord en commission, puis en séance à partir du 15 mai.

De nombreux amendements sont venus enrichir l'article 1er qui consacre l’agriculture, la pêche et l’aquaculture comme étant d’"intérêt général majeur" en vue de garantir la souveraineté alimentaire de la France. Cet article répond à une promesse d'Emmanuel Macron en ouverture du Salon de l'agriculture, le 24 février. Derrière le symbole, l'idée de l'exécutif est de pouvoir défendre les intérêts agricoles lors de projets tels que les retenues d'eau ou la construction de bâtiments industriels, face aux intérêts environnementaux. Il s'agissait du même coup de répondre à une revendication de la FNSEA dénonçant les contraintes imposées aux agriculteurs au nom de l'écologie. Un vrai sujet de division au sein des travées. 

On relèvera que, lors de ces échanges avec les agriculteurs, Gabriel Attal avait, lui, évoqué "l'intérêt fondamental de la nation". Un amendent LR s'est attaché à revenir à cette notion en inscrivant le potentiel agricole dans le champ de protection des intérêts fondamentaux de la nation.

Souveraineté alimentaire

Les députés ont par ailleurs précisé que c'est "la protection, la valorisation et le développement" de ces activités agricoles qui étaient d'intérêt général majeur. Ils y ont ajouté le pastoralisme. Plusieurs amendements sont venus conforter la filière élevage en grande difficulté. Un amendement communiste visant à "préserver la capacité d’assurer le maintien d’un élevage durable en France" prévoit un "plan stratégique pour l’élevage déterminant notamment les objectifs de potentiel de production et de maintien des cheptels, ainsi que le nombre d’exploitations et d’actifs minimum sur le territoire national". L'objectif : "s'attaquer aux mises en concurrence déloyales de l'élevage français poussées par l'extension des traités de libre-échange". Dans le même sens, un amendement LR assigne à la politique agricole l’objectif de "préserver la surface agricole utile et de lutter contre la décapitalisation de l’élevage".

Cet article 1er attribue à la politique agricole toute une série d'objectifs pour assurer l'impératif de souveraineté alimentaire. Les députés s'en sont donné à cœur joie pour compléter la liste : prévoir les leviers fiscaux et bancaires en faveur de la reprise d’exploitation, préserver le modèle de l’exploitation familiale d’assurer la juste répartition de la valeur, faciliter le renouvellement des générations, faciliter l’installation d’exploitants agricoles renforcer l’égalité de genre en agriculture… Un amendement rappelle l’importance du développement de systèmes alimentaires territorialisés et des circuits courts dans les actions à mettre en œuvre pour préserver la souveraineté alimentaire

Objectifs chiffrés

Après cette longue énumération, le texte s'attaque au problème numéro 1 qui avait justifié cette loi d'orientation : le renouvellement des générations. Il rappelle qu'un tiers des quelque 500.000 agriculteurs seront en âge de partir à la retraite d'ici dix ans. Pour la première fois, il fixe des objectifs chiffrés : le pays devra compter au moins 400.000 exploitations agricoles et 500.000 exploitants agricoles d'ici à 2035 (article 8). Les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles (SDREA), "dans leurs déclinaisons territoriales et de filières, s’inscrivent en cohérence avec cet objectif", vient préciser un amendement socialiste.  Par ailleurs, "d'ici au 1er juillet 2025, puis tous les dix ans", une "programmation pluriannuelle de l'agriculture" devra être arrêtée.

Les députés ont aussi fixé une nouvelle trajectoire de développement de l'agriculture biologique actuellement à la peine : avant le 1er janvier 2030, 21% de la surface agricole utile devra être en agriculture biologique et 10% en légumineuses.

Foncier, installation, transmission

En termes de foncier, le projet de loi est un peu maigre et renvoie même à un futur texte. "La réalisation de cet objectif [400.000 exploitations] suppose de préserver les terres agricoles, de rendre le foncier accessible aux candidats à l’installation et de faciliter la transmission de l’exploitation agricole. À cette fin, une réforme de l’ensemble des instruments juridiques et financiers doit permettre à la politique foncière de s’adapter aux enjeux contemporains", prévoit-il. Afin de favoriser les installations, l'Etat et les collectivités "volontaires" s'accordent pour "accroître progressivement la mobilisation de fonds publics au soutien du portage des biens fonciers agricoles, d’une part, et des investissements nécessaires à la transition agroécologique, d’autre part, en s’appuyant sur les banques publiques du groupe Caisse des Dépôts et consignations".

On notera au passage la disparition du très controversé "groupement foncier agricole d’investissement". Ce dispositif avait été supprimé en Commission. Afin d'obtenir les votes LR, le gouvernement n'a pas cherché à le réintroduire en séance. Cet instrument devait, selon l'exécutif, permettre de lever de l'argent auprès d'investisseurs publics ou privés afin d'acheter des terres et de les louer à de nouveaux agriculteurs. Mais l'opposition a fait valoir le risque d'un renchérissement du coût du foncier et d'une financiarisation de l'agriculture. 

Diagnostics modulaires

L'une des grandes nouveautés du texte est la création de France services agriculture, porte d'entrée départementale pour l'accueil et l'orientation de tous les actifs agricoles, placée sous l'égide des chambres d'agriculture. "La gouvernance et la mise en œuvre du dispositif associent l’État et les régions", sont venus préciser les députés socialistes.

Cinq ans au moins avant leur départ, les candidats à la retraite devront le faire savoir à France services agriculture. Les informations (projet de cession, repreneur potentiel…) seront consignées dans un répertoire départemental. FSA "présente aux personnes qu’il oriente, de manière exhaustive, les structures de conseil et d’accompagnement" et "veille à l’équité entre ces dernières et au respect du pluralisme".

Les députés ont validé la création d'un "diagnostic modulaire" destiné à "fournir des informations utiles aux exploitants agricoles pour les orienter et les accompagner lors des différentes étapes de la vie de l’exploitation". Ce nouvel outil d'évaluation des enjeux climatiques doit aussi permettre d'éclairer les candidats à l'installation dans leur choix et de consolider la viabilité "économique, sociale, environnementale et climatique" de leur future exploitation. Piloté par l'Etat et les régions et mis en œuvre par France services agriculture, il comporte trois modules (dont un stress-test climatique). Alors que le projet de loi prévoyait de conditionner le versement des aides publiques à l'installation à la réalisation de ce diagnostic, les députés y ont renoncé en commission. 

Aide au passage de relai

Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, le gouvernement devra remettre au Parlement un rapport étudiant la possibilité d’instaurer une "aide au passage de relais". C'est ce que prévoit un nouvel article ajouté à la fin du texte. Cette aide s'adresserait aux chefs d’exploitation agricole âgés de cinquante-neuf ans au moins qui "cessent définitivement leur activité agricole et rendent disponibles leurs terres et les bâtiments d’exploitation pour une installation aidée ou pour la consolidation d’une installation aidée". "Cette aide au passage de relais est servie à l’intéressé jusqu’à l’âge légal de la retraite", précise cet amendement.

Quelques mesures visent à préserver le modèle familial lors des cessions. Dès 2025, l'Etat devra conduire une réforme de la "fiscalité applicable à l’installation d’exploitants et à la transmission des biens agricoles, notamment des biens fonciers agricoles" et assurer "la transparence des cessions d’usufruit ou de nue-propriété". Les Safer voient leur droit de préemption une nouvelle fois renforcé. Elles seront "informées de la durée et du sort de l’usufruit" et pourront "demander au tribunal judiciaire d’annuler une cession de droits démembrés". L’État se donne aussi comme objectif de "bâtir une stratégie de lutte contre la concentration excessive des terres et leur accaparement, notamment lorsque celles-ci résultent d’investissements étrangers en France".

Orientation, formation

L’article 2 définit, pour la première fois, des objectifs programmatiques pour les formations agricoles à horizon 2030 : +30% d'apprenants dans l'enseignement agricole par rapport à 2022, +75% de vétérinaires formés par rapport à 2017, +30% d'ingénieurs agronomes par rapport à 2017. Etat et régions seront chargés de prendre les mesures nécessaires. Ils "s’appuient sur un schéma de communication pluriannuel axé sur la valorisation de l’enseignement agricole et le renforcement des effectifs d’élèves et d’apprentis" et "établissent un programme national d’orientation et de découverte de ces métiers et des autres métiers du vivant".

Un amendement Modem vise à lancer une expérimentation dans trois régions pour que des élèves de seconde puissent suivre une option Écologie agronomie territoire et développement durable (EATDD) afin de rejoindre un lycée agricole dès la première. "Cette expérimentation permettrait de toucher ce large public qui, de prime abord, ne se serait pas intéressé à ce genre de thématique", soulignent les auteurs de l'amendement. A noter que le projet de loi vise aussi à créer un nouveau diplôme de niveau Bac+3 (Bachelor Agro).

L’article 4, adopté sans modification, vise par ailleurs à intégrer la dimension agricole dans le contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelles (CPRDFOP). Ce contrat définit "un plan d’action pluriannuel et prévoit le rôle des différentes parties ainsi que les engagements de l’État en termes de moyens". Les autres collectivités peuvent y participer.

Simplification

Le projet de loi traduit aussi plusieurs annonces de Gabriel Attal pendant la crise agricole en termes de simplification. Il en va notamment de la règlementation unique sur les haies (en lieu et place des 14 règlementations dénoncées par la FNSEA), des nouvelles règles de contentieux autour de la construction des réserves d'eau pour l'irrigation ou les bâtiments d'élevage, de la possibilité pour les départements d'intervenir en matière de gestion de l’approvisionnement en eau destinée à la consommation humaine ou encore des règles applicables aux détenteurs des chiens de protection de troupeaux. S'agissant des chiens de troupeaux, alors que le texte initial renvoyait à une ordonnance, les députés ont décidé d'écrire noir sur blanc une "présomption simple d’absence d’engagement de la responsabilité pénale du détenteur ou du propriétaire de l’animal dans le cas d’un dommage causé par celui-ci ayant entraîné une incapacité totale de travail, lorsque les prescriptions imposées par les différentes règlementations applicables à ces animaux ont été respectées". "Cet encadrement permettra d’assurer une plus grande sécurité juridique aux détenteurs ou aux propriétaires des chiens de protection de troupeau, sans exonérer ceux-ci de toute responsabilité pénale, ni remettre en cause les droits de la victime en matière de responsabilité civile", justifient les auteurs de cet amendement.

Les députés ont enfin introduit une présomption de non intentionnalité pour des atteintes à l’environnement "lorsque la personne concernée se conforme aux prescriptions assortissant une autorisation administrative". Cette personne devra toutefois accomplir un "stage de sensibilisation aux enjeux de l’environnement". Cet amendement encourage également le recours à la transaction pénale, "notamment lorsque l’atteinte à la conservation des espèces animales et végétales, des habitats naturels et des sites géologiques résulte de l’entretien d’une haie en dehors des périodes autorisées" (article 13).

Le projet de loi est à présent renvoyé au Sénat qui l'examinera en commission des affaires économiques à partir du 12 juin, puis le 24 juin 2024 en séance publique.

 

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