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Social / Finances - Accord sur le financement de solidarité des départements : bien, mais insuffisant

Pour tous ceux qui ont manqué un épisode ou qui n'ont pas tout compris au feuilleton de la compensation des transferts de l'Etat aux départements en matière sociale, le rapport de Jacqueline Gourault - sénatrice (UDI) du Loir-et-Cher - sur "Le financement pérenne par les départements des allocations individuelles de solidarité" constituera un précieux viatique. Présenté au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, ce document constitue une synthèse des enjeux, des mesures et des positions des différents acteurs autour de l'accord du 16 juillet 2013 (voir notre article ci-contre du même jour), qui doit permettre aux départements de bénéficier de ressources nouvelles pour financer les trois grandes allocations de solidarité : l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), la prestation de compensation du handicap (PCH) et le revenu de solidarité active (RSA socle).

Un constat partagé, mais une compensation partielle

Le rapport s'ouvre sur un rappel historique consacré à ces trois prestations et à l'évolution de leur nombre de bénéficiaires et des dépenses afférentes. Autant de données essentielles pour bien comprendre la situation actuelle, mais qui ont été déjà maintes fois présentées et commentées.
Plus intéressante est l'analyse de l'accord du 16 juillet dernier. Les réflexions engagées par le groupe de travail Etat-départements, installé par Jean-Marc Ayrault le 28 janvier 2013, ont en effet permis aux deux parties d'aboutir à un "constat partagé" sur le manque à gagner des départements au regard des compensations accordées par l'Etat : 4,6 milliards d'euros par an, à rapporter au coût total annuel de 15 milliards d'euros pour les trois prestations de solidarité évoquées plus haut.
Face à ce constat, l'accord du 16 juillet dernier prévoit d'accorder aux départements une enveloppe annuelle supplémentaire d'environ 2,1 milliards d'euros à compter de 2014, afin de financer les dépenses de solidarité. Cette enveloppe sera abondée par deux sources distinctes : l'une de 827 millions d'euros apportée par l'Etat sous la forme d'un prélèvement sur les frais de gestion pris par le ministère des Finances pour assurer la collecte de la taxe sur le foncier bâti ; l'autre assurée par le contribuable et d'un montant de 1,3 milliard d'euros, potentiellement (l'adverbe est en gras dans le rapport) attendus du relèvement de 3,8 à 4,5% du taux plafond des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Deux dispositions qui figurent dans le projet de loi de finances pour 2014.
Dans le même temps, le Premier ministre a annoncé que la totalité du RSA (socle et activité) devrait relever de la solidarité nationale avant la fin du présent quinquennat, mais il n'a pas présenté de calendrier pour y parvenir. Il a en revanche annoncé un relèvement de 2% par an du RSA (en plus de l'inflation) sur la durée du quinquennat (soit environ 10% au total).

Un élément positif, mais pas LA solution

Au final, Jacqueline Gourault considère que "l'accord du 16 juillet 2013 constitue un élément positif", dans la mesure où il "prend acte de la discordance croissante" entre les dépenses sociales des départements et la compensation par l'Etat et où il "propose des solutions pour atténuer ce décalage". Mais, pour le rapporteur, l'accord est loin d'être LA solution. Tout d'abord, "les sommes potentiellement attendues [...] ne permettront pas de résorber la différence entre dépenses effectuées par les départements et compensations apportées par l'Etat". Si l'on tient compte du passif depuis 2002 (création de l'APA) - soit un cumul de plus de 40 milliards d'euros - le reste à charge pour 2012 atteint 6,3 milliards d'euros, soit près de trois fois les recettes complémentaires à venir en 2014.
En outre, le rapport relève un certain nombre de faiblesses potentielles dans les modalités de mise en œuvre de l'accord : allergie actuelle à la hausse d'impôt ; forte concentration géographique des DMTO (quinze départements concentrent 50% de la recette), incertitudes sur la capacité redistributive du fonds de péréquation actuel... Pour Jacqueline Gourault - qui rejoint ainsi a position de l'Assemblée des départements de France (ADF) -, "le constat est clair : faire reposer la majeure partie de la compensation (partielle) des allocations de solidarité sur le total libre choix des départements et dans le cadre du fonds de péréquation actuel revient à permettre à certains d'entre eux de creuser l'écart avec les plus pauvres, pour autant soumis à des restes à charge importants". D'où, on le sait, la demande portée par l'ADF de voir la hausse des DMTO rendue obligatoire afin qu'elle génère effectivement 1,3 milliard d'euros.
Point important, même s'il ne modifie pas l'équilibre général de la démonstration : le rapport, déposé le 13 novembre, ne prend pas en compte la création - par un amendement gouvernemental au PLF 2014 adopté le 14 novembre - d'un nouveau fonds de péréquation des DMTO, doté de 570 millions d'euros (voir notre article ci-contre du 15 novembre 2013).

Rétablir les recours sur successions en attendant la reprise ?

Conclusion : avec l'accord du 16 juillet 2013, "il ne s'agit pas, ou pas encore, des 'ressources pérennes et suffisantes' annoncées par le président de la République au mois d'octobre 2012". En attendant "la véritable solution [qui] réside dans une sortie de l'actuelle situation économique", le rapport propose aux départements de ne pas rester inactifs. Il leur recommande ainsi de continuer à promouvoir des pratiques plus économes, comme "le développement du maintien à domicile des personnes âgées, une tarification plus stricte des opérateurs de l'action sociale, ou un accompagnement accru des bénéficiaires du RSA vers la seule insertion sociale, abandonnant l'insertion professionnelle, qui relève de Pôle emploi". Plus explosif : le rapport estime que cette recherche d'économies pourrait passer par le rétablissement des recours sur successions pour l'APA et par un contrôle accru des bénéficiaires du RSA, "permettant d'identifier les abus existants".

Jean-Noël Escudié / PCA

Référence : Sénat, rapport d'information n°146 de Jacqueline Gourault, sénatrice du Loir-et-Cher, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.