Archives

Handicap - Accessibilité : ce qui va changer

Présenté en Conseil des ministres le 9 avril et s'inspirant largement du rapport Campion, le projet de loi habilitant le gouvernement à adopter par ordonnance diverses mesures relatives à l'accessibilité est désormais sur le bureau du Sénat, qui l'examinera le 28 avril. Au programme : la mise en oeuvre des agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP) et plusieurs assouplissements au principe de l'accessibilité universelle posé par la loi Handicap du 11 février 2005. Avec un enjeu à plusieurs milliards d'euros...

Présenté lors du premier Conseil des ministres du gouvernement Valls, le projet de loi habilitant le gouvernement à adopter par ordonnance des mesures pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public (ERP), des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées (voir notre article ci-contre du 9 avril 2014) entérine l'impossibilité de respecter l'échéance du 1er janvier 2015 (et du 13 février 2015 pour les transports collectifs) en vue de la mise en oeuvre d'une accessibilité universelle.
Le contenu du projet de loi s'inscrit dans le droit fil du rapport de la sénatrice Claire-Lise Campion (voir notre article ci-contre du 4 mars 2013) - qui devrait logiquement être le rapporteur du texte - et de la concertation animée par cette dernière et conclue par les annonces de Jean-Marc Ayrault (voir notre article ci-contre du 26 février 2014). Le texte donne l'architecture et les grands principes des futures ordonnances. Il précise et adapte les modalités de mise en oeuvre de l'accessibilité et précise les modalités de fonctionnement du principal outil du nouveau calendrier : les agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP).

Un grand flou sur l'avancement des travaux dans les ERP

L'article 1er du projet de loi d'habilitation regroupe les mesures susceptibles d'être prises par les futures ordonnances en vue de prolonger le délai de mise en accessibilité au-delà du 1er janvier 2015. Il précise également les contours de l'agenda d'accessibilité programmée (Ad'AP).
Les Ad'AP vont s'appliquer notamment aux ERP. Or l'étude d'impact rappelle que leur nombre n'est pas connu avec précision, une remarque qui avait déjà été formulée, dès sa création, par l'Observatoire interministériel de l'accessibilité et de la conception universelle (Obiaçu). Elle en évalue néanmoins le nombre à 650.000, dont 189.000 classés dans les quatre premières catégories (susceptibles de recevoir plus de 300 personnes pour les catégories 1 à 3 et moins de 300 personnes pour la catégorie 4). Les établissements de cinquième catégorie accueillent également moins de 300 personnes.
Sur l'avancement des travaux de mise en accessibilité règne également un très grand flou. L'étude d'impact indique ainsi que "près de 330.000 ERP ont fait l'objet de travaux d'ensemble ou partiels, y compris des ERP de catégorie 5 (qui ne sont pas tenus d'effectuer un diagnostic)", ce qui représenterait environ 50% du total. Mais elle reconnaît aussi que l'APF (Association des paralysés de France) estime, au contraire, que seuls 15% des ERP sont aujourd'hui aux normes d'accessibilité.

Encore 74.000 diagnostics à lancer par 23.000 communes

Conclusion pour le moins étonnante sur un sujet que l'on pouvait croire mieux balisé : "En l'absence de données fiables et vérifiables, il est impossible à ce stade de répartir les ERP entre ceux qui sont partiellement accessibles, ceux qui le sont totalement et ceux qui ne le sont pas du tout." Seule certitude : chaque année, près de 46.000 ERP existants font des travaux pour se mettre totalement en accessibilité ou améliorer leur qualité d'accueil. L'étude d'impact se contente donc de citer quelques chiffres ponctuels : 100% des ERP neufs sont accessibles (ce qui est bien le moins puisqu'ils ont été construits après la loi Handicap du 11 février 2005), environ 40% des collèges le sont également et 86% des préfectures délivrent leurs prestations dans au moins un bâtiment accessible.
Du côté des 300.000 ERP relevant de collectivités territoriales, l'étude estime qu'il restait, en 2013, environ 74.000 diagnostics à lancer par près de 23.000 communes. Selon les auteurs, "ces chiffres traduisent bien à la fois la dynamique favorable à l'accessibilité et l'inachèvement du processus"...

Des progrès sensibles dans les transports

A défaut de respecter l'échéance de 2015, la situation est plus claire pour les transports. Le rapport 2012 de l'Obiaçu relevait ainsi que, tous types d'autorités organisatrices de transport (AOT) confondus, 61% des schémas directeurs d'accessibilité (SDA) ont été adoptés. La situation se dégrade toutefois selon le niveau de collectivité : le taux d'adoption des SDA est ainsi de 100% pour les régions, de 75% pour les départements et de 53% pour les communes ou les intercommunalités. Ces deux derniers chiffres ont cependant pu s'améliorer durant l'année 2013.
En matière de matériel roulant, l'étude d'impact juge les progrès "sensibles", puisqu'en novembre 2012, 90% des autobus étaient à plancher bas, 69% étaient équipés d'une palette rétractable, 65% des véhicules guidés disposaient d'un système d'annonce sonore des arrêts et 72% d'un système d'annonce visuelle des arrêts. Pour la RATP, ces pourcentages sont respectivement de 89%, 97% et 85%, mais l'étude d'impact ne dit rien de l'accessibilité des stations, qui conditionne celle des rames. Au total, 60 à 90% des transports urbains seraient accessibles, et même 95% à Paris (chiffre qui ne manquera pas de surprendre les usagers des transports parisiens). De même, les 168 gares principales seront accessibles d'ici à 2016, dans le cadre du schéma directeur national d'accessibilité ferroviaire.
Du côté de la voirie, la situation n'est pas brillante. Seuls 12% des plans de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics (Pave) - couvrant environ 30% de la population - étaient adoptés à la mi-2012, mais 65% étaient en cours d'élaboration.

Des coûts très incertains

Outre le diagnostic des ERP, l'étude d'impact reconnaît pécher sur un autre point. Si elle donne le prix unitaire de quelques équipements, elle estime le coût de la mise en accessibilité des ERP "important mais difficile à évaluer". Les seuls montants cités proviennent d'une étude réalisée par un cabinet privé - Accèsmétrie -, ce qui est étonnant pour des enjeux financiers de cette ampleur. Ce cabinet évalue le coût de la mise en accessibilité des ERP à 3,6 milliards d'euros pour l'Etat et à 16,8 milliards pour les collectivités territoriales (dont une partie serait déjà réalisée), "dont environ 2,5 milliards d'euros de TVA en large partie susceptibles d'être compensés par du FCTVA, soit environ 15 milliards d'euros".
A défaut d'un chiffrage plus précis, l'étude d'impact fait néanmoins "le constat d'une disproportion entre les travaux à entreprendre et les capacités budgétaires de court terme des collectivités territoriales". Un écart qui a peu de chance de se réduire compte tenu de la nouvelle baisse annoncée des dotations de l'Etat. Si on raisonne par niveau de collectivité, le coût moyen par ERP serait de 73.000 euros pour les communes de plus de 3.000 habitants, de 170.000 euros pour les départements et de 226.000 euros pour les régions.
Les coûts sont tout aussi conséquents pour les transports. Ainsi, l'Assemblée des départements de France (ADF) estime à 15 milliards d'euros le coût de la seule mise en accessibilité de l'ensemble des points d'arrêt des transports relevant de la compétence des conseils généraux (transports interurbains, hors transports scolaires).
Pour les transports ferroviaires - et notamment les TER relevant des régions -, la SNCF estime le coût moyen de mise en accessibilité d'une gare à 10 millions d'euros en Ile-de-France et à 2,8 millions d'euros en province. Pour mémoire, 1.075 gares TER relèvent des régions. En y ajoutant les 424 gares "nationales" incluses dans le schéma directeur national (dont 256 relevant pour partie d'un financement régional), la dépense totale est estimée à 6,5 milliards d'euros.

L'Ad'AP, le couteau suisse de l'accessibilité

Face à cette situation, le projet de loi d'habilitation répond par la mise en place des agendas d'accessibilité programmée. Le principe - tiré du rapport Campion - en a été présenté par Jean-Marc Ayrault à l'issue de la concertation visant à redéfinir le volet accessibilité de la loi Handicap de 2005 (voir notre article ci-contre du 26 février 2014). Le projet de loi en précise certains aspects, même s'il faudra attendre l'ordonnance pour en connaître le détail.
Chaque Ad'AP, d'une durée maximale de trois ans (sauf pour les établissements importants), décrira les travaux pluriannuels de mise en accessibilité pour un ou plusieurs ERP ou installations et en précisera la programmation financière. La durée totale maximale des travaux programmés variera selon les catégories d'ERP et les caractéristiques du patrimoine concerné. L'ordonnance définira aussi les procédures applicables, les modalités de suspension ou de prolongation éventuelles des délais et la procédure de suivi de l'avancement des travaux (avec la transmission d'un bilan à l'autorité administrative).
Contrepartie du report de l'échéance de 2015, la mise en oeuvre des Ad'AP pourra, dans le cadre d'une procédure de carence, donner lieu à des sanctions en cas de manquement aux engagements pris par le signataire. A l'inverse, les propriétaires ou exploitants d'ERP qui mettent en place un Ad'AP échapperont aux sanctions prévues par loi Handicap de 2005 à l'échéance du 1er janvier 2015.

Logement : "visitabilité" plutôt qu'accessibilité

Au-delà des Ad'AP, le projet de loi d'habilitation prévoit aussi que l'ordonnance autorisera un certain nombre de dérogations aux règles d'accessibilité. S'il faut attendre l'ordonnance pour en connaître le détail - tout l'enjeu étant souvent dans le placement du curseur -, le projet de loi en donne les grandes orientations.
Pour les ERP, l'ordonnance devrait ainsi "clarifier la réglementation technique en matière d'accessibilité", éclaircir la situation des ERP situés dans des copropriétés, mais aussi "préciser la notion de dérogation pour disproportion manifeste entre les améliorations apportées et leurs conséquences". De la définition de cette notion dépendra le sort de nombreuses situations, qui ne se limitent pas aux seuls exemples - déjà maintes fois cités - des refuges du Mont blanc ou de l'aiguille du Midi... D'autres cas de dérogations seront également abordés, comme la procédure de dérogation pour raisons financières ou celle de la "disproportion manifeste en cas de rupture de la chaîne de déplacement".
En matière de logement - sujet éminemment sensible -, le projet de loi habilite le gouvernement à autoriser des travaux modificatifs de l'acquéreur (pour les achats en Vefa), réalisés dans des maisons individuelles et des logements de bâtiments collectifs d'habitation, "pour autant que ces derniers garantissent une 'visitabilité', à savoir une accessibilité de l'entrée, du séjour et de la circulation qui dessert ce dernier, et une adaptabilité des cabinets d'aisance".

Transports routiers : assouplissements pour l'accessibilité des points d'arrêt

En matière de transports publics de voyageurs, le nouvel instrument, entièrement calqué sur l'Ad'AP, sera le "schéma directeur d'accessibilité - agenda d'accessibilité programmée". L'ordonnance redéfinira également les obligations en matière de points d'arrêt et d'accessibilité du matériel roulant pour les services de transport public de voyageurs, ainsi que les modalités de transports de substitution. Les points d'arrêt à aménager seront ainsi "ceux qui revêtent un caractère prioritaire au regard de critères déterminés". De même, l'ordonnance précisera les impossibilités techniques pouvant justifier le renoncement à la mise en accessibilité. Cette notion de points d'arrêt prioritaires vaudra également pour les transports scolaires, pour lesquels les obligations seront "recentrées sur les demandes individuelles d'aménagement formulées par les représentants légaux des enfants handicapés scolarisés à temps plein, compte tenu des préconisations du projet personnalisé de scolarisation".
Pour sa part, le périmètre d'application des obligations posées par la loi de 2005 sur le matériel roulant sera "clarifié", avec l'institution d'une nouvelle obligation, relative à la proportion du parc de matériel roulant routier qui doit être accessible quand il est utilisé dans le cadre d'un service de transport public routier de voyageurs. La même notion de points d'arrêt prioritaires s'appliquera au transport ferroviaire.

Voirie : suppression ou allègement du Pave pour les communes de moins de mille habitants

L'article 3 du projet de loi d'habilitation autorise le gouvernement à mettre en oeuvre une série de dispositions ponctuelles. Outre les adaptations propres aux DOM, à Mayotte et aux collectivités d'outre-mer de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon, il prévoit de dispenser de l'élaboration d'un Pave les communes "situées en dessous d'un seuil démographique que fixera l'ordonnance". Si l'ordonnance suit les préconisations du groupe de travail animé par Claire-Lise Campion, le Pave deviendrait facultatif pour les communes de moins de 500 habitants et il serait "limité aux sections reliant les pôles générateurs de déplacement de la commune" pour celles de 500 à 1.000 habitants.
Une mesure devrait faire l'unanimité : celle qui autorisera plus largement les chiens guides d'aveugle et les chiens d'assistance des personnes handicapées dans les transports et les lieux publics. Il devrait en aller de même pour l'élargissement de la composition et des missions - et le probable changement de nom - de la commission communale ou intercommunale pour l'accessibilité aux personnes handicapées. Cette commission devrait notamment s'ouvrir aux représentants des personnes âgées et à "des représentants des acteurs économiques".
Cet article-balai prévoit aussi la création d'un fonds dédié à l'accompagnement de l'accessibilité universelle, dont les ressources proviendront des sanctions financières prononcées pour le non-respect des Ad'AP (un principe qui rappelle celui mis en oeuvre pour le droit au logement opposable).
Enfin, l'article 4 du projet de loi d'habilitation laisse au gouvernement un délai de cinq moins, à compter de sa publication, pour adopter les ordonnances. Il fixe également à cinq mois, à compter de la publication de chaque ordonnance, le délai de dépôt du projet de loi de ratification correspondant.

Jean-Noël Escudié / PCA

Référence : projet de loi habilitant le gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées (examiné en première lecture au Sénat le 28 avril 2014).

 

Pour aller plus loin

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis