Développement local - ZRR : du saupoudrage à une stratégie de long terme
La réforme des zones de revitalisation rurale (ZRR) : ce pourrait être l'un des premiers gros chantiers du futur commissariat général à l'égalité des territoires qui devrait enfin voir le jour dans les prochaines semaines. Un sujet sensible sur lequel les gouvernements successifs se sont cassé les dents. Dans un point d'étape, présenté le 25 février, la mission parlementaire qui s'est saisie de ce dossier a présenté ses premières pistes. Le député socialiste du Cantal Alain Calmette, co-rapporteur pour la commission du développement durable, a indiqué à cette occasion que, depuis la réactualisation tumultueuse de 2013, la France compte désormais 14.290 communes en ZRR, soit près de 40% du total, pour une population de plus de 6 millions d'habitants.
Pour la mission parlementaire, la crise a aggravé les difficultés des territoires fragiles. Un cinquième de la population française vit actuellement "dans des territoires en déclin ou en difficulté", a indiqué Jean-Pierre Vigier, l'autre co-rapporteur de la mission. Le député UMP de la Haute-Loire se demande si, du fait de la mondialisation, les métropoles vont être des "locomotives" entraînant les autres territoires ou si, plus probablement, elles vont "concentrer la croissance et les activités d'avenir". Pour la mission il ne fait pas de doute que le maintien d'un dispositif de "discrimination positive" en faveur des territoires en difficulté s'avère plus que jamais utile, d'autant que les ZRR coûteraient beaucoup moins cher que ce que l'on croit. Alors que le chiffre de 511 millions d'euros est généralement avancé, les députés estiment leur coût à 235 millions d'euros par an, soit presque deux fois moins. Ce qui correspond à une enveloppe moyenne de 16.000 euros par commune. "Depuis 2009, on assiste à une baisse sensible et silencieuse des moyens en faveur des ZRR", s'est insurgé Jean-Pierre Vigier. Le dernier épisode en date est la loi de finances de 2014 venue restreindre les exonérations pour les organismes à but non lucratif...
Filet de sécurité
Mais les ZRR ne pourront échapper à un bon toilettage, à la fois du périmètre et du contenu, c'est-à-dire des aides. Car le dispositif créé en 1995 et réformé en 2005 pèche par son manque de lisibilité. Les ZRR sont ainsi visées par pas moins de 35 articles de loi, 3 ordonnances, 25 décrets, 6 arrêtés, 3 décisions et 5 circulaires.
Les ZRR ouvrent droit à des exonérations fiscales et sociales pour les entreprises ou, depuis 2005, pour les organismes d'intérêt général (OIG), c'est-à-dire les associations d'utilité publique. Les députés comptabilisent pas moins de 18 exonérations fiscales et 3 exonérations sociales. Mais comme l'a rappelé Alain Calmette, le classement en ZRR a des effets dans quantité de domaines parfois moins connus. En matière de dotations aux collectivités par exemple, il est prévu une majoration de 30% de la fraction "bourg centre" de la dotation de solidarité rurale (DSR). Dans les communes en ZRR, les enfants bénéficient par ailleurs d'un accueil prioritaire dès l'âge de deux ans en maternelle. Le fait d'intégrer ces enfants en bas âge peut jouer sur les effets de seuil et maintenir une classe, une école… "Dans certaines communes, l'école c'est la vie", a insisté Jean-Pierre Vigier pour qui cette mesure, qui financièrement ne pèse pas lourd, est très importante en termes d'aménagement du territoire. Autre exemple : les emplois d'avenir, puisque, comme pour les quartiers de la politique de la ville, les ZRR donnent une priorité d'accès à ces emplois subventionnés par l'Etat.
Du développement économique aux services publics, en passant par les personnes âgées, le logement, l'agriculture, l'installation de médecins : les ZRR touchent à tout. Seulement, elles n'ont jamais réellement fait l'objet d'évaluation quant à leur efficacité. Ou plutôt si : un rapport d'inspection a été remis en 2009… il n'a pas été suivi d'effets. Or au fil des auditions de la mission, "aucun de ces dispositifs n'a été cité comme contribuant spécifiquement au développement économique des ZRR", a fait savoir Jean-Pierre Vigier. On a plutôt affaire à une sédimentation de mesures ponctuelles "qui ne s'inscrivent pas dans une politique spécifique". "Elles sont surtout insuffisantes sur les territoires ruraux les plus fragiles confrontés à des problématiques de désertification médicale, de disparition des services publics et de recul économique", a déploré le député. Au mieux, les aides des ZRR sont vécues comme un "filet de sécurité", mais certainement pas comme un véritable outil de développement territorial. Pourtant ce filet de sécurité s'avère parfois vital, d'où l'attachement très fort des élus qui s'est manifesté à l'été 2013. Une révision du critère démographique avait conduit à l'intégration de 1.213 communes dans la carte des ZRR, mais aussi au retrait brutal de 1.891 autres. Ce qui avait provoqué une levée de boucliers des élus concernés, emmenés par le président du Sénat Jean-Pierre Bel (l'Ariège était fortement impacté). Le gouvernement avait alors fait volte-face et décidé de les réintégrer. "Les textes réglementaires ne sont plus appliqués pour déterminer la sortie du dispositif, cette situation présente de forts risques au plan juridique", en cas de contestation des aides par exemple, a prévenu Alain Calmette.
Entre 7.000 et 9.000 communes
Alors que ce zonage "en peau de léopard" est de plus en plus dilué - 47% des communes rurales sont en ZRR et 55% d'entre elles ont moins de 250 habitants -, les députés proposent une révision des critères d'éligibilité, sachant que le premier d'entre eux, l'appartenance à une intercommunalité, n'a plus lieu d'être avec l'achèvement de la carte intercommunale. Restent les deux autres critères : la densité démographique (moins de 35 habitants au km2) qui n'est, de fait, plus appliqué depuis 2005, et le critère socio-économique, calculé sur la base du déclin de la population active et de la part de la population agricole. Sans remettre en cause la densité "pour préserver la spécificité des territoires ruraux", les rapporteurs penchent pour un indicateur "très simple" basé sur la richesse (revenu par habitant), sur le modèle de la réforme de la politique de la ville. Des hypothèses de travail vont être testées par les services de la Datar d'ici au mois d'avril, a annoncé Alain Calmette.
Les députés sont favorables à un dispositif plus resserré pour les territoires les plus fragiles, avec plus de moyens : entre 7.000 et 9.000 communes "pour lesquelles les aides agiraient véritablement comme un levier pour le développement local". Le tout serait assorti d'un mécanisme de sortie progressive pour éviter l'effet couperet de l'été dernier.
Sur la question de savoir si l'entrée doit se faire au niveau communal ou intercommunal, "les deux options ont leurs avantages", a déclaré Alain Calmette : la commune, pour permettre un zonage plus fin, l'intercommunalité pour épouser sa compétence de développement économique. Enfin, la réforme ne pourra faire l'économie d'une véritable évaluation de l'efficacité des aides, notamment en termes de créations d'emplois. Pour Jean-Pierre Vigier, "il est urgent de définir une stratégie de long terme" et de mettre fin au saupoudrage.
Pour l'heure, la ministre de l'Egalité des territoires, Cécile Duflot, est restée discrète sur le sujet. Lors d'un débat "sur la qualité et l'accessibilité des services au public dans les territoires fragiles", mercredi 26 février à l'Assemblée, la ministre de la Décentralisation Marylise Lebranchu a cependant assuré que le gouvernement était "très attentif aux conclusions" de la mission, qui remettra son rapport d'ici l'été. "Sur cette base, des propositions seront faites pour faire évoluer ce dispositif, plus précisément pour améliorer les critères de classement ou les mesures incitatives. Cela vaudrait peut-être le coup de débattre, en commission, de l'ensemble de ces sujets."