ZAN : François Rebsamen favorable à plus de liberté pour les élus locaux
Auditionné par le Sénat ce 29 janvier sur l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050, François Rebsamen a plaidé pour reporter de 2031 à 2034 l’objectif intermédiaire de réduction de moitié du rythme d’artificialisation des sols par rapport à la décennie précédente. Le ministre de l'Aménagement du territoire propose également que la conférence régionale de gouvernance puisse s’affranchir du caractère prescriptif des Sraddet, que le 1ha de la "garantie rurale" puisse être volontairement mutualisé et que le "décompte en Enaf" puisse être conservé comme unité de mesure de l’artificialisation des terres. Des dispositions qui seront discutées les 12 et 13 mars prochains en séance publique au Sénat, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi "Trace" qui remet une nouvelle fois l’ouvrage sur le métier.
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© Capture vidéo Sénat/ Audition de François Rebsamen devant la commission des affaires économiques du Sénat
Auditionné ce 29 janvier par la commission des affaires économiques du Sénat sur l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols en 2050, François Rebsamen, ministre de l'Aménagement du territoire, s’est employé à "montrer la volonté, la mienne mais aussi celle du gouvernement, de trouver un dialogue nouveau" sur cette législation qui continue plus que jamais de susciter des levées de boucliers. Y compris chez ses promoteurs, d’ailleurs : "Comment [a-t-on] pu arriver à une telle aberration avec un si bel objectif ?", a ainsi déploré le sénateur Philippe Grosvalet (Loire-Atlantique, RDSE).
Les difficultés sont telles que le dispositif pourrait bien, une nouvelle fois, être assoupli, via la proposition de loi "Trace", qui vise à instaurer "une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus" (voir notre article du 14 novembre 2024). Cette dernière sera examinée par la Chambre Haute les 12 et 13 mars prochains, en séance publique. Pour Amel Gacquerre (Pas-de-Calais, UC), co-rapportrice du texte au Sénat, pas d’autre choix, "car les objectifs fixés par la loi dans leurs modalités d’application ne sont tout simplement pas soutenables".
Report et non suppression de l’étape intermédiaire
Un avis que François Rebsamen semble partager en partie. Et alors que la sénatrice évoquait "des élus qui ont l’impression qu’on les a menés en bateau en leur promettant des assouplissements qui n’ont jamais été mis en œuvre", le ministre s’est efforcé de donner des gages.
• S’il ne soutient pas la suppression, portée par ce texte, de l’objectif intermédiaire de réduction de moitié de l'artificialisation sur la décennie 2021-2031 par rapport à la décennie précédente, il se déclare ainsi "favorable à décaler [c]e jalon intermédiaire prévu sur 2021-2031 à 2024-2034. Les collectivités étaient, de 2021 à 2024, dans l’incapacité de maîtriser leur trajectoire de consommation foncière en l’absence de législation ou de dispositions législatives claires", justifie-t-il. Un report qui se traduirait selon lui par l’octroi de 37.500 hectares supplémentaires pouvant être artificialisés.
• Le ministre se dit également disposé à conserver le décompte de la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers (Enaf) comme mesure de l’artificialisation des sols, plutôt que de le remplacer, en 2031, par le décompte des surfaces effectivement artificialisées comme prévu pour l’heure. "Deux méthodes qui n’aboutissent pas, à territoire équivalent, aux mêmes surfaces consommées", dénonce le sénateur Daniel Gueret (Eure-et-Loir, ratt. LR). "Simplifions ! Les élus sont habitués à des calculs avec les Enaf, gardons les Enaf", plaide François Rebsamen, en observant là encore que cela permettrait de "redonner quelque chose comme 37.500" hectares.
• Il se prononce de même pour que les communes bénéficiaires de la "garantie rurale" (droit à un hectare d’artificialisation sans condition) "qui ne savent pas quoi faire de cet hectare" puissent, "sur la base du volontariat, mutualiser ces hectares". Et ce, "à l’échelle des EPCI, voire à l’échelle des SCoT".
• Autre possibilité évoquée par le ministre, que les PENE – projets d’envergure nationale ou européenne –, "qui représentent 12.500 hectares, [puissent] à raison de 4,5%, être mis à disposition des régions […], ce qui permettrait de débloquer des projets qui sont aujourd’hui bloqués par le manque d’hectares".
• Plus encore, François Rebsamen suggère que "la conférence régionale de gouvernance puisse décider de s'affranchir, si elle le souhaite, du caractère prescriptif des Sraddet". Ce qui permettrait peut-être "une analyse plus fine des territoires" réclamée par Amel Gacquerre, que le ministre juge aujourd’hui empêchée par le fait "qu’on arrive à un moment où les Sraddet ont déjà ajouté une couche de complexité" à l’édifice.
Autant de mesures qui pourraient en outre, relève le ministre, être enrichies "par les conclusions de plusieurs travaux en cours", évoquant ici ceux de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les outils et la mise en œuvre du ZAN et ceux de la mission d’inspection sur la fiscalité du ZAN. "Un sujet dont nous devons nous occuper si nous voulons réussir la sobriété foncière, la fiscalité locale [étant] puissamment artificialisante", pointe le sénateur Gueret.
Pour un État accompagnateur plutôt que censeur
"Une question reste entière : celle de l’ingénierie", estime pour sa part Sébastien Fagnen (Manche, SER), qui suggère de "renforcer les services déconcentrés de l’État" – "Les référents ZAN au sein des préfectures sont méconnus et constituent un dispositif qui n’est manifestement pas à la hauteur des enjeux", appuie Daniel Gueret. Une idée à laquelle l’ancien maire de Dijon, et toujours élu local dans l’âme, pourrait souscrire "si on ne donne pas aux fonctionnaires de la République comme seule mission de contrôler les élus". "Prenez les Dreal aujourd’hui. Qu’est-ce qu’elles sont chargées de faire ? Uniquement de contrôler", prend-il exemple. Et de considérer que "si le fonds vert était géré par les Dreal, je suis sûr qu’elles feraient moins de contrôle tatillon et qu’elles auraient plus de contacts avec les élus". Il confesse d’ailleurs être entré au ministère avec l’idée de "supprimer le contrôle de légalité" : "Ces agents de l’État seraient sûrement beaucoup plus utiles à accompagner les collectivités". Tout au long de son intervention, le ministre a par ailleurs dénoncé une "suradministration" – "européenne, française et régionale", et à laquelle se "surajoute le poids des agences" – "qui nous complexifie encore un peu plus la vie en laissant moins de marges d’initiative et même de réflexion aux élus des territoires". Et de confesser qu’il est pour que l’action de l’État "passe le plus possible par les préfectures, donc en lien direct avec les élus", déplorant au passage le fait "qu’il y a des directeurs et directrices d’agences qui sont beaucoup plus connus que les élus sur le terrain parce qu’ils distribuent des crédits".
Pas de remise en cause de l’objectif
Enfin, relevons qu’en préambule le ministre avait insisté sur le fait que l’objectif final du ZAN ne serait dans tous les cas pas remis en cause. Il a rappelé les raisons pour lesquelles il ne devait pas l’être – urgence climatique, préservation de la biodiversité, etc. –, en soulignant au passage que "l'ensemble des élus locaux porte depuis longtemps cette nécessité de la sobriété foncière". Il a en outre estimé qu’il ne pouvait pas l’être : "C’est difficile aujourd’hui de repartir de zéro. C’est même quasi-impossible, il faut dire la vérité, parce que des tas de décisions ont été prises, se sont empilées", explique-t-il, non sans déclarer par ailleurs que "rien n’est immuable". "Changer les règles du jeu en cours de route présente l'avantage de remédier à des malfaçons et de répondre à certaines attentes, mais est également susceptible de créer de l'insécurité juridique pour les collectivités", prévient pour sa part Daniel Gueret, "attentif ce que l'instabilité normative du cadre législatif issu de la loi Climat et Résilience ne pénalise pas ceux qui ont pris de l'avance". Et de résumer le défi à court terme : "Trouver une méthode qui ne désespère pas les territoires et évite de remettre sans cesse les documents d'urbanisme sur le métier".