Zéro artificialisation nette : le Sénat remet l’ouvrage sur le métier à travers un nouveau texte
Directement inspirée du rapport d’étape sur la mise en œuvre des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols remis au Sénat début octobre, une nouvelle proposition de loi propose des assouplissements ciblés visant à "donner de l’air aux collectivités". Exit le terme de "ZAN", synonyme de "repoussoir", au profit de celui de "trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux" (Trace).
"Ne parlons plus du ZAN mais de la Trace, la trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux" a déclaré ce 14 novembre, par le biais du réseau X, le sénateur Guislain Cambier (UC-Nord) pour annoncer le dépôt la veille d’une proposition de loi (PPL) "plus pragmatique", co-signée par Jean-Baptiste Blanc (LR-Vaucluse), fruit de leurs travaux dans le cadre du groupe de suivi du ZAN, dont le rapport d’étape a été présenté début octobre (lire notre article). À moins d’une semaine de l’ouverture du Congrès des maires, le timing n’est sans doute pas le fuit du hasard. Cette PPL était attendue, un peu plus tard, pour le premier semestre 2025, après la remise du rapport d’un autre groupe de travail dédié quant à lui au financement du ZAN. Fin juillet, l'Association des maires de France a demandé l'arrêt d'obligations "inapplicables" et un changement de méthode dans la mise en œuvre de l'objectif ZAN en 2050 (lire notre article). Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre, Michel Barnier, s'est également dit favorable à une nouvelle évolution de la réglementation. Plusieurs textes sont déjà venus modifier ce dispositif jugé trop contraignant et complexe, dont la loi du 20 juillet 2023, qui a notamment introduit une garantie de développement communal de 1 hectare, et les trois décrets du 27 novembre 2023.
Relayant des difficultés et blocages persistants dans de nombreux territoires, notamment ruraux, ce nouveau texte d’initiative sénatoriale propose d’abroger l'objectif intermédiaire de réduction de moitié de l'artificialisation à l'échelle nationale sur la décennie 2021-2031 par rapport à la décennie précédente, sans toutefois toucher à l'objectif final fixé par la loi Climat et Résilience à l'horizon 2050. "Les solutions que nous proposons (...) visent à 'désasphyxier' les collectivités sans jeter le bébé avec l'eau du bain", a appuyé dans un communiqué Guislain Cambier. Il s’agit donc d’inverser la logique de territorialisation des objectifs, en partant des besoins et projets des collectivités locales. Les élus ont déjà intégré "la nécessité de la sobriété foncière", mais "la mise en oeuvre arithmétique et descendante des objectifs fixés par la loi Climat et Résilience et les fortes contraintes de délais ont créé des crispations autour d'un sujet qui devrait être consensuel", poursuit Jean-Baptiste Blanc.
Un calendrier de modification des documents d’urbanisme revu
Le texte entend uniformiser la mesure des hectares artificialisés en conservant au-delà de 2031 le décompte de la consommation d'espaces agricoles, naturels et forestiers (Enaf) qui doit être abandonnée à cette date. "Un mode de comptabilité avec lequel les élus sont familiers et qui permet, en outre, de ne pas inclure l’artificialisation induite par les bâtiments agricoles actuels et futurs", s’en explique Jean-Baptiste Blanc.
La fixation d'objectifs de réduction de l'artificialisation continuerait à relever des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) et autres documents de planification régionaux, "à qui il serait loisible de fixer des objectifs plus ou moins ambitieux de réduction de la consommation d'Enaf, sans horizon temporel prédéfini", précise l’exposé des motifs.
Un autre assouplissement concerne le calendrier de modification des documents d’urbanisme pour y intégrer les objectifs de réduction de l’artificialisation fixés par la loi Climat et Résilience. La PPL repousse ainsi les dates butoirs de 2027 et 2028 à respectivement 2031 pour les Scot et 2036 pour les PLUi et cartes communales. De même, les régions pourraient procéder à une nouvelle modification de leur Sraddet afin d'adopter un objectif régional de trajectoire foncière tirant parti des nouvelles souplesses apportées par le texte jusqu'au 22 août 2026, et donc au-delà de la date butoir du 22 novembre 2024 actuellement fixée.
Exclusion du décompte des projets d’envergure nationale ou européenne (PENE)
Autre simplification attendue, le texte acte l'exclusion et la non-mutualisation des projets d'envergure nationale et européenne (Pene) au sein des enveloppes de consommation d'Enaf fixées aux niveaux régionaux et locaux pour ne pas les "gréver" par des projets ne relevant pas de l'initiative de la région ou des collectivités. "Le principe même du double filtre de l’éligibilité des projets par rapport à une liste fixée dans la loi, et de l’inscription de chaque projet individuellement sur un arrêté ministériel, est source de complexité, d’allongement des délais et d’insécurité juridique, pour les collectivités comme pour les porteurs de projets et rassemble tous les ingrédients d’une compétition malsaine entre les territoires quant à leur capacité à défendre leur cause auprès des administrations centrales", relèvent les co-auteurs de la PPL dans leurs travaux.
Enfin, le texte modifie le fonctionnement de la conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l'artificialisation des sols, rebaptisée conférence régionale de gouvernance de la politique de la "sobriété foncière", pour lui conférer un pouvoir décisionnel. Il lui reviendrait entre autres de répartir en concertation avec l'ensemble des collectivités et de leurs groupements, et sur la base des remontées de besoins et projets faites par ces derniers, l’enveloppe foncière régionale, lorsque la région a déterminé un objectif chiffré de réduction de consommation d’Enaf dans son document de planification. Lorsque la région engage une évolution de son Sraddet pour modifier les objectifs de sobriété foncière, les formations départementales de la conférence seraient en outre obligatoirement consultées sur la détermination de l’enveloppe foncière.
Pour ce faire, les communes et EPCI compétents en matière d'élaboration des documents d’urbanisme (dès lors qu’ils disposent d’un tel document ou en ont prescrit l’élaboration) ou leurs représentants au niveau des Scot dont ils sont membres, seraient représentés au sein de la conférence, qui deviendrait l'instance de territorialisation de la sobriété foncière.