Sobriété foncière : le ZAN, plus que jamais "dans le dur"

La 3e édition du "baromètre ZAN" réalisée par la Scet montre que "la mise en projets du ZAN reste à enclencher pleinement sur le terrain", alors que le soutien à cette politique a tendance à s’étioler. Manque de temps, de moyens et d’acculturation des acteurs, acceptation réduite de la population, instabilité et complexité de la règle, tensions politiques sont autant de freins une fois encore mis en avant.

Le ZAN, une corde qui se noue progressivement autour du cou des acteurs de l’aménagement et dont ils redoutent de ne pouvoir s’extraire dans les délais, "alors qu’un changement de modèle d’une telle ampleur demande du temps" ? Si l’image est forte, elle pourrait illustrer la 3e édition du "baromètre ZAN" publiée par la Scet, après une nouvelle enquête, conduite en ligne cet été, auprès de 344 représentants de collectivités (66% du panel), d’EPL, d’agences d’urbanisme et de Caue et de bureaux d’études.

Un moindre soutien

"Le ZAN est moins soutenu qu’il y a un an", constatent les auteurs de l’étude. Une évolution qui s’explique peut-être par la prise de conscience grandissante, par des répondants qui mettent désormais les mains dans le cambouis, des difficultés que le ZAN engendre et du manque de moyens – et de temps – dont ils disposent pour être au rendez-vous. L’étude relève ainsi que si 45% des répondants jugeaient l’an passé suffisantes les actions prévues par leur structure, ce pourcentage tombe cette année à 37% (les territoires urbains et transfrontaliers étaient un peu moins pessimistes). Confirmant que c’est au pied du mur… que l’on voit le mieux le mur. 

Manque d’acculturation, réglementation mouvante

Un pessimisme attisé chez certains répondants par le fait qu’ils jugent que cette prise de conscience des implications du ZAN par les acteurs de l’aménagement et de l’immobilier reste partielle, et "d’autant plus inachevée" par les répondants situés dans des territoires de montagne et ultramarins. Le manque d’acculturation au ZAN est ainsi érigé au rang des principaux freins à la mise œuvre de ce dernier par les répondants. 

Certes, deux tiers d’entre eux considèrent que les collectivités ont bien lancé la déclinaison du ZAN dans leurs documents stratégiques et de planification, dynamique jugée plus fortement engagée par les répondants situés dans les territoires urbains, périurbains, littoraux et ultramarins. Et ce, bien que l’exercice soit malaisé du fait d’une réglementation (et de son interprétation) qui continue d’évoluer (loi de juillet 2023, décrets de novembre 2023, circulaire de janvier 2024), et pas toujours dans le bon sens pour les auteurs de l’étude : "La définition de l’artificialisation [opérée par l’un des décrets de novembre] complexifie très largement la capacité des territoires à la prendre en compte". Pour autant, l’étude estime que "la mise en projets du ZAN reste à enclencher pleinement sur le terrain". 

La neutralité foncière, une "politique coûteuse qu’il reste à financer"

Il est vrai que les freins au déploiement du ZAN restent nombreux, et vont parfois croissants. Le principal identifié par l’étude tient en la difficile soutenabilité financière des opérations d’aménagement. Il dépasse même cette année les tensions politiques dans ou entre les territoires, lesquelles restent toutefois vives. "La neutralité foncière est une politique coûteuse qu’il reste à financer", pointe l’étude. Plus encore, "le modèle économique est à réinventer", estime le directeur général de Territoires Rennes, Antoine Monnerie. Déjà, le foncier manque : "Une majorité de territoires n’arrive plus à répondre aux sollicitations", est-il rappelé, en reprenant les conclusions d’une étude d’Intercommunalités de France. Conséquence, il se renchérit. 

"C’est la fin du foncier ‘pas cher’", prévient Pascal Berteaud, directeur général du Cerema. Ce qui, pour Antoine Monnerie, doit conduire la collectivité à maîtriser la propriété de "son" sol, prônant l’extension du bail réel solidaire et le recours aux baux à construction pour "transposer la dissociation entre le foncier et le bâti au foncier économique". En outre, "l’intervention en milieu urbain existant", qui se généralise, "est plus complexe, longue et coûteuse", note Dominique Deshayes, directeur de l’aménagement Sud-Est-Nord de la Société d’équipement du département de La Réunion. Sans compter que "construire plus dense et en renouvellement nécessite un investissement plus important au départ", souligne Pascal Berteaud, même si cela devrait selon lui entraîner dans un second temps "une baisse des coûts de fonctionnement".

Acceptabilité du ZAN par la population, une préoccupation importante et grandissante

Autant d’obstacles d’autant plus rédhibitoires que l’expert souligne qu’"une commune n’a, a priori, pas intérêt financièrement à aller vers le ZAN". Et de rappeler, en citant les travaux du sénateur Jean-Baptiste Blanc, "que les outils et leviers fiscaux dont disposent les collectivités favorisent plutôt l’extension que le renouvellement urbain". Il n’est dès lors pas surprenant qu’"une fiscalité et des outils juridiques inadaptés au ZAN" constituent ainsi un autre frein pointé par les répondants de l’enquête. Un frein qui reste toutefois à leurs yeux moins handicapant que la difficile acceptabilité du ZAN par une population favorable à la sobriété foncière… chez les autres. "Une difficulté déjà importante en 2023, mais beaucoup plus prégnante en 2024", observe l’étude. Pour les répondants membres des collectivités, c’est même le premier défi qu’ils mettent en avant. Le changement de société induit ("renoncer à la maison individuelle, à certains équipements…"), pointé par Pascal Berteaud, passe mal. De même, "la multiplication des interventions sur sites déjà occupés" nécessite "d’avoir un rapport étroit avec les habitants en place", prévient Antoine Monnerie, évoquant l’apparition de nouveaux métiers, "à l’image des chargés de médiation". "Nous constatons à travers nos projets que le ZAN a renforcé les mécanismes de dialogue avec les collectivités territoriales mais aussi avec les riverains ou encore avec les aménageurs locaux, nous poussant à créer des projets de plus en plus concertés et intégrés", positive néanmoins Carole Abbey, directrice du développement urbain et des résidences spécifiques de CDC Habitat.

Changement d’organisation et de stratégie pour les collectivités

"Moins il y a de foncier, plus les risques de conflits d’usage augmentent", soulignent toutefois les auteurs de l’étude, pour lesquels il va dès lors "devenir impossible de réfléchir en silos". Ce qui va selon eux contraindre les collectivités à "reconstruire leurs structurations et leurs gouvernances qui bien souvent cloisonnent les expertises". Et d’aviser : "Plutôt que de partir de la parcelle disponible, il est temps de construire de véritables projets de territoire, puis de les décliner en stratégie foncière". Les sondés invoquent, eux, le besoin d’accompagnement pour y parvenir. Un besoin davantage souligné par les répondants "issus des territoires de montagne, littoraux, transfrontaliers et ultramarins", où "se concentrent les enjeux ainsi que les besoins en ingénierie". 

La France périphérique à l’épreuve de l’arithmétique ?

Cet "urbanisme de projet" ne doit toutefois pas s’opposer à un "urbanisme de calculatrice", soutient toutefois Pascal Berteaud, pour qui "les deux sont nécessaires et complémentaires". Au Sénat, on déplore pour l’heure que seule "la stratégie arithmétique" prévale, et ce, au détriment de la "France périphérique" (voir notre article du 10 octobre). Un sentiment que partagent une majorité des sondés par la Scet, qui anticipent que "le développement des villes petites et moyennes sera fortement bouleversé, davantage que les grandes villes, mais surtout davantage que les métropoles et grandes agglomérations". Ou encore que "l’aménagement des territoires périurbains pourrait être très profondément touché, de même que celui des territoires ruraux et littoraux". "La territorialisation du ZAN est une problématique récurrente", note l’étude.