Réforme territoriale - Yves Krattinger : veiller à ne pas "déstabiliser les collectivités"
Localtis : Quelle est la feuille de route de la mission sénatoriale ?
Yves Krattinger : Il serait inimaginable que le Sénat ne donne pas le ton sur une éventuelle réforme de l'organisation des collectivités territoriales. La mission que préside Claude Belot et dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur avec Jacqueline Gourault travaille essentiellement avec cette idée pour toile de fond. En outre, la réforme concernera beaucoup d'élus. Et si elle est votée et mise en oeuvre au canon, elle aura des difficultés à aboutir. C'est ce que nous souhaitons éviter. Ceci étant, la mission sénatoriale travaille à son rythme en poursuivant ses objectifs propres, donc indépendamment de la réflexion que mènent d'autres types d'instances, y compris le "comité Balladur". Nous nous réunirons jusqu'à fin mars avec pour but de remettre au printemps notre rapport au président du Sénat.
Au fil des auditions, un consensus se dégage-t-il sur un corps de propositions ?
Les membres de la mission sont tous d'accord sur le constat de la grande diversité des territoires. Qu'y a-t-il en effet de commun entre les départements de la première couronne d'Ile-de-France et un département rural comme la Haute-Saône dont la principale agglomération atteint à peine 30.000 habitants ? Peu de choses. L'enseignement qu'on peut en tirer est qu'il ne faudrait pas que la réforme soit uniforme. Les membres de la mission, comme les personnalités auditionnées se rejoignent ensuite sur la nécessité de consolider l'intercommunalité. L'atomisation de la France en 36.000 communes est un handicap aussi bien pour les territoires que pour notre pays. L'intercommunalité a certes été une révolution. Mais elle n'est peut-être pas allée aussi loin qu'on aurait pu le souhaiter. Par conséquent, il faut achever la carte intercommunale dans un délai rapide. Sur les moyens d'approfondir l'intercommunalité, le débat est un peu plus vif. Faut-il accélérer les transferts de compétences des communes vers les communautés ? Faut-il plutôt doter celles-ci de nouvelles compétences obligatoires, en plus de l'aménagement du territoire et du développement économique ? Nous n'avons pas tranché. Ensuite, le consensus n'est pas général, mais il est assez large sur la nécessité d'améliorer la lisibilité de l'intercommunalité au regard de nos concitoyens. L'application des règles de la loi PLM aux communautés urbaines et aux communautés d'agglomération semble assez évidente. Dans ces dernières, leur mise en oeuvre va toutefois se heurter à certaines difficultés du fait de la présence de petites communes. De plus, dans les communautés de communes, il n'existe pour l'heure pas de solution consensuelle. L'option consistant lors des élections municipales à flécher les candidatures sur les listes, reste à confirmer.
Certains, à l'UMP notamment, prônent un rapprochement entre le département et la région. On a même parlé de "fusion". Qu'en pensez-vous ?
Je mets en garde contre une réforme qui déstabiliserait les collectivités, qui représentent aujourd'hui près des trois quarts de l'investissement public de notre pays. La fusion des départements au sein des régions paraît sur le papier assez facile à faire. Dans la réalité, ce serait sans doute autre chose. Les auditions conduites par la mission montrent de plus que l'idée ne répond pas vraiment aux enjeux des territoires. Ce qui se dégage, c'est plutôt l'existence de relations très fortes entre les communes, leurs groupements et les conseils généraux. Au sein de ce trio, le département joue un rôle essentiel en tant qu'outil des solidarités sociales et territoriales. Il s'agit donc de renforcer ces relations, au nom de la cohésion territoriale. En effet, les communes sont loin d'être égales en termes de richesse, les intercommunalités non plus. Or, c'est à l'échelle du département que la redistribution des richesses fonctionne le mieux aujourd'hui. L'échelon régional apparaît quant à lui comme étant plus stratégique, en relation avec l'Etat, sinon avec l'Europe.
Quel est l'avis de la mission sur la suppression de la clause générale de compétence des départements et des régions, qui fait partie des pistes de réforme les plus souvent citées ?
C'est un sujet qui fait débat. Mais aussi bien du côté des membres de la mission que de celui des personnalités auditionnées, il y a une majorité contre sa suppression. En effet, la clause générale de compétence permet à une collectivité de répondre de manière originale à un grand nombre de questions de nos concitoyens. Les départements s'en servent par exemple pour intervenir dans des domaines essentiels comme la téléphonie mobile et le haut débit. Donc en dehors du champ de leurs compétences. Mais la carte de France de la téléphonie mobile et celle du haut débit seraient loin d'être aussi avancées s'il ne fallait compter que sur l'Etat. Certains souhaitent quand même la suppression de la clause générale de compétence. Il y a en revanche un quasi consensus sur la nécessité de mieux préciser les compétences des collectivités et d'effectuer dans ce domaine un certain remembrement. On pourrait ainsi constituer des blocs de compétences très homogènes. Ensuite, dans le champ de la clause générale de compétence, il s'agirait de faire jouer la subsidiarité - il revient au mieux placé d'agir - en particulier quand il existe des vides. En parallèle, il faudra que l'Etat cesse de conserver des services locaux dans les champs des compétences qui ont été décentralisées. S'il y a des redondances, elles sont en effet plutôt du côté de l'Etat. Certaines des personnalités que nous avons auditionnées demandent même que celui-ci aille jusqu'à déléguer le pouvoir réglementaire. En tout cas, l'Etat doit aller jusqu'au bout de la logique de la décentralisation et passer un véritable pacte avec les territoires.
En tant que président du conseil général de la Haute-Saône, quelles évolutions vous semblent nécessaires à l'échelon départemental ?
Le département est une réalité différente selon que l'on se situe en Haute-Saône, en Haute-Marne, dans le Rhône, l'Essonne, ou les Hauts-de-Seine ! Toute réforme devra partir de ce constat. Il faudrait d'abord redécouper les cantons pour améliorer de manière significative la représentation des zones urbaines. Je ne dis pas que tous les cantons doivent être égaux par leur population. Mais en tout cas, on ne peut plus continuer avec des cantons de 500 ou 1.000 habitants. Ensuite, il faudrait compléter les compétences des départements selon une logique de blocs, en particulier dans le secteur social. Sur le plan électoral, les départements ne doivent plus être renouvelés tous les trois ans, mais seulement au bout de six ans. Enfin, on pourrait changer l'appellation "conseiller général" par celle de "conseiller départemental" qui serait plus claire pour nos concitoyens.
Sur la modernisation de l'organisation des collectivités territoriales, quelles sont vos préconisations personnelles ?
En qualité de rapporteur, je me suis abstenu jusque-là de mettre en avant mes positions personnelles. Je livrerai donc seulement quelques angles d'approche. Je pense qu'il faut une loi relativement offensive qui établisse un contrat entre les territoires et un Etat garant de la cohésion nationale. Ce contrat ne peut reposer que sur la confiance, alors que depuis plusieurs années s'est instauré un climat de défiance. Les compétences fondamentales devront être mieux partagées pour éviter au maximum les doublons. Cela nous amènera certainement à signer l'acte de décès des pays, ce qui n'empêchera pas à certains d'entre eux, en particulier les plus anciens, de poursuivre leur vie. Enfin, il faut que la loi rende possible l'expérimentation de la fusion entre départements ou régions. De plus, si quelques départements urbains veulent se fondre dans une intercommunalité parce que leurs périmètres se recouvrent, il faut aussi que la loi le permette.
Propos recueillis par Thomas Beurey
La mission sénatoriale poursuit ses travaux
La "mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales", mission pluraliste créée par le président du Sénat en octobre dernier, lançait ce lundi 26 janvier son premier "débat décentralisé" avec un déplacement à Bordeaux. Surtout, depuis octobre, les auditions menées ont été nombreuses avec, entre autres, celles de plusieurs universitaires, de Pierre Dartout (Diact), de Claudy Lebreton (ADF), de Daniel Delaveau (ADCF), d'Alain Rousset (ARF), de Jean-Pierre Chevènement, de Jean-Pierre Raffarin, d'Edward Jossa (DGCL)... et, dernier en date, de Pierre Mauroy, membre du comité Balladur sur la réforme des collectivités.
L'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a marqué son attachement à la clause de compétence générale, a estimé que mettre fin aux financements croisés ne serait ni efficace ni réaliste et a considéré que l'intercommunalité doit continuer à fonctionner sur un mode "collégial". Son scénario de prédilection consisterait en fait à poursuivre la voie tracée par son Acte II de 2003 afin de "conjuguer le renforcement de la vocation de proximité du département et celui de la puissance économique de la région".
Pour sa part, Pierre Mauroy a profité de son audition, le 20 janvier, pour indiquer que le comité Balladur entrait maintenant dans une phase de synthèse et allait commencer à "recenser les points d'accord entre ses membres". L'artisan de l'Acte I de la décentralisation a évoqué l'idée d'une réforme des grandes métropoles avec la constitution d'une quinzaine de "communautés territoriales", ainsi que la constitution d'une collectivité du Grand Paris fusionnant les quatre départements de la petite couronne. Pour Pierre Mauroy aussi, le fameux rapprochement des conseils généraux et des conseils régionaux semble hasardeux et peu souhaitable, de même que la suppression de tout financement croisé ou l'abandon de la clause générale de compétences.
C.M.