Archives

Web 2.0 - Villes, départements et régions cherchent leur modèle de réseau social

A la faveur de la refonte de leur site internet, les collectivités se posent la question de l'usage des réseaux sociaux. Certaines adoptent le standard du marché. D'autres cherchent des solutions alternatives, proposées par des associations ou des sociétés innovantes.

"Tout le monde connaît Facebook, cette idée hors sol, ce produit de la mondialisation… Et bien utilisons-le pour faire se parler les habitants de l'Oise, avec notre Facebook pour les Isariens !", lance Yves Rome, président du conseil général de l'Oise, en présentant la nouvelle mouture du portail de son département. Déjà pionnier du déploiement des réseaux très haut débit ou de l'équipement de 60.000 collégiens en ordinateurs portables, le département a confié la mission à la société Les Argonautes qui a réalisé là un site web d'un nouveau type regroupant un réseau social de proximité, des services personnalisés en ligne et une web TV territoriale. L'initiative a été détaillée le 23 mars dernier, dans le cadre de la fête de l'internet, lors d’une table ronde consacrée aux usages de l’internet par les collectivités : "A l'heure des réseaux sociaux, comment les collectivités territoriales doivent-elles occuper le territoire numérique de proximité ?"

"Les collectivités territoriales sont confrontées au défi d'organiser leur territoire numérique au même titre qu'elles organisent leur espace réel", assure Alain Assouline, fondateur des Argonautes. "Les élus ont un vrai rôle sinon les fractures, numériques, géographiques, s'installent et le lien social se délite", poursuit-il. D'où cette proposition - encore peu courante pour un site institutionnel - d'un projet de réseau social qui cible le triptyque élus, associatifs et acteurs culturels. Développée sur des logiciels libres, cette plateforme - "agora des temps modernes", selon Yves Rome, également président de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca) - offre un lieu ouvert de partage d'information, de liens, de photos et de vidéos. Son ambition est surtout de faciliter le dialogue et l'échange de services entre les habitants et le conseil général grâce à la création de groupes et d'événements. Le réseau met notamment en relation les élus des 693 communes avec les agents du département et leur propose des échanges virtuels avec des experts sur les thématiques territoriales. Il incite également mairies, associations et lieux de culture à inscrire leurs manifestations dans un agenda commun, baptisé "Oisocope".

Réseau public, associatif ou privé

Mais quel peut être le rôle des institutions dans le déploiement et l'appropriation des réseaux sociaux par les habitants d'un territoire ? La collectivité doit-elle mettre à disposition ce type d'outil sur son propre portail internet, comme l'Oise, l'Auvergne (dès avril 2009) ou la ville de Toulouse ? Ou bien doit-elle apporter sa caution, sa dynamique à des initiatives associatives à l'exemple de la Ruche à Rennes ? "A ma-résidence.fr, nous misons plutôt sur ce soutien de l'institution", défend, toujours lors de cette rencontre, Gilles Feingold, directeur général de ce site privé désormais bien connu. Née il y a déjà cinq ans – mais expérimentée depuis trois – l'entreprise vise à retisser du lien social à partir des immeubles, des logements et de leurs habitants. Lancé sur une grande échelle à Evry (50.000 habitants, Essonne), le 22 janvier dernier, le site a enregistré des résultats exponentiels en à peine deux mois. 3.500 Evryens y sont inscrits, soit plus de 15% des foyers (à comparer aux 4.000 présents sur Facebook pour la même zone géographique). Plus de 2.000 services et annonces y ont été échangés, 3.512 messages entre voisins et 182.634 pages vues (soit, à terme, un potentiel de 400.000 pages vues/mois sur la seule ville d’Evry). 250 commerces sont partenaires, soit 40% de ceux présents sur la ville. 145 associations se sont identifiées et plus de 1.300 membres de ces associations sont déjà actives, soit 15% du monde associatif déjà fédéré. 73 classes ont été créées par des parents pour discuter et s'échanger des services autour de l'école de leurs enfants. "Ce cercle vertueux ne peut fonctionner que si chaque acteur y trouve son intérêt. Il ne faut pas compter sur la seule bonne volonté. C'est l'agrégation des intérêts collectifs des voisins, du monde associatif, des petits commerces, des acteurs du logement – bailleurs sociaux et syndics de copropriété – et, bien sûr, de la mairie qui fait émerger des services intéressants pour les habitants", précise Gilles Feingold. Et pour lancer ce projet, la ville s'est impliquée : campagne d'affichage, réunions publiques de 300 professionnels, associatifs, commerçants, bailleurs, et stand au cœur du centre commercial. Fort de ce succès à Evry, ma-résidence.fr va dupliquer prochainement son modèle dans le onzième arrondissement de Paris. La société serait aussi en contact avec une vingtaine d'autres villes.

Où se trouve l'usager ?

"Avec les réseaux sociaux, nous parlons enfin d'usages et plus seulement de technique. Cependant, il n'y aura pas de réseau numérique ou virtuel sans réseau humain. C'est bien de la responsabilité des élus de faire ces réseaux sur le territoire et de résonner, si j'ose dire, sur ces réseaux. Le bon sens : faire le lien avec ce que les habitants produisent et construisent eux-mêmes pour ramener l'humain au centre de la territorialisation", soutient pour sa part Florence Durand-Tornare, cofondatrice de la Fête de l'internet et déléguée de Villes internet. A Rennes, la ville finance l'initiative de la Ruche, portée par l'association Bug. Environ 1.600 Rennais sont inscrits sur ce réseau social associatif. La "27e région", le laboratoire de recherche de l'innovation sociale de l'Association des régions de France (ARF), y a conduit une expérience en résidence dont les résultats ont été publiés mi-janvier. "La question centrale, c'est bien à quoi ça sert ? Et pour y répondre, il faut se placer du point de vue de l'usager. Pour lui, l'important est probablement de comprendre où il se trouve : est-il dans un espace d'expression associatif, sur un réseau d'entreprise, au guichet virtuel de sa mairie ?", s'interroge Stéphane Vincent, à l'origine de ce "laboratoire des nouvelles politiques publiques à l’âge numérique". S'il est bien du domaine de compétence des collectivités de se saisir de ces nouveaux outils à l'usage des services ou des élus (comme une évolution des extranets du siècle dernier) ou encore pour des opérations de communication ciblées (notamment en direction des jeunes), il semble moins évident que villes, départements ou régions aient une légitimité à prescrire le choix de tel ou tel réseau social à destination de leurs habitants. Il y a deux ans, personne ne pressentait le succès de Facebook. "Finalement, les innovations ne sont souvent pas aussi innovantes qu'il y paraît C'est quand elles sont moins prescrites, moins fermées - donc plus ouvertes -, que l'usager peut exprimer sa créativité", croit Pascal Plantard, directeur de recherche au GIS Marsouin. L'invitation pour "l'apéro géant" qui a rassemblé environ 5.000 personnes à Rennes, dans la nuit du 25 au 26 mars, a d'ailleurs été lancé sur Facebook par "on ne sait pas qui"…

 

Luc Derriano / EVS