Protection de l'enfance - Versement des allocations familiales à l'ASE : le Sénat avait adopté, l'Assemblée rejette
Nouvel épisode dans le feuilleton du versement des allocations familiales entre les mains du service de l'aide sociale à l'enfance (ASE) lorsque l'enfant a été confié à ce service par une décision du juge. L'Assemblée nationale a en effet rejeté, le 12 juin, la proposition de loi correspondante.
Déposée en juillet 2012 par Christophe Béchu (maire d'Angers depuis le 4 avril 2014) - sénateur UMP et alors président du conseil général du Maine-et-Loire (Christian Gillet est l'actuel président du CG49) - et Catherine Deroche - également sénatrice UMP du Maine-et-loire -, la proposition de loi visait à rendre plus fréquent le versement des allocations familiales à l'ASE lorsque l'enfant a été confié sur décision d'un juge et est entièrement pris en charge par le service.
Cette possibilité existe déjà (article L.521-2 du Code de la sécurité sociale), mais elle n'est que peu utilisée par les juges. En faisant de l'exception la règle, la proposition de loi prévoyait néanmoins trois garde-fous. D'une part, le maintien de la possibilité, pour le juge, de poursuivre le versement des allocations familiales à la famille si celle-ci continue à participer de façon effective à la prise en charge morale ou matérielle de l'enfant ou pour faciliter le retour de celui-ci dans son foyer. D'autre part, bien sûr, le maintien de la part des prestations familiales revenant aux éventuels autres enfants restés au foyer. Enfin, la possibilité de modifier la mesure en fonction de l'évolution de la situation.
4.536 familles ne maintiennent pas de liens affectifs et ne perçoivent plus les allocations
La proposition de loi avait séduit le Sénat - traditionnellement sensible à la cause des départements - qui a adopté ce texte en commission des affaires sociales puis en séance, en mars 2013 (voir notre article ci-contre du 21 mars 2013). Recevant une délégation de l'Assemblée des départements de France (ADF) quelques mois plus tôt, François Hollande s'était d'ailleurs dit "attentif" à cette proposition (voir notre article ci-contre du 22 octobre 2012), ouvrant la voie à son adoption.
Changement de décor à l'Assemblée nationale. Déjà rejetée le 4 juin par la commission des affaires sociales - "à l'issue d'un débat animé, voire houleux", selon l'expression du rapporteur (UMP) -, la proposition de loi l'a été également en séance, le 12 juin.
Lors de la discussion générale, Laurence Rossignol - la secrétaire d'Etat chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie - a d'emblée indiqué que "le raisonnement poursuivi par les auteurs [de la proposition de loi, ndlr] en première lecture peut paraître, à première vue, relever du bon sens", mais qu'"il ne résiste cependant pas à la confrontation à la réalité, celle de l'état du droit, du quotidien de l'enfant confié à l'aide sociale à l'enfance et, enfin, de l'intérêt de l'enfant".
A l'appui de sa démonstration, la secrétaire d'Etat a cité des chiffres - d'une précision étonnante - fournis par la Cnaf. Ainsi, la Cnaf dénombre 50.941 familles dont l'un des enfants au moins est confié à l'ASE. Parmi elles, 27.945 maintiennent des liens affectifs avec les enfants et continuent de percevoir pour eux la totalité des prestations, y compris les allocations familiales, sur décision du juge des enfants ; 18.460 maintiennent des liens affectifs avec ces enfants et ne perçoivent plus les allocations familiales ; 4.536 ne maintiennent pas de liens affectifs et ne perçoivent plus les allocations familiales.
Vers un nouveau texte ?
Pour défendre le texte, Gilles Lurton - député (UMP) d'Ille-et-Vilaine et rapporteur du texte - a fait valoir que "les allocations familiales, et c'est bien leur objet, doivent permettre de subvenir aux besoins des enfants pour qui elles sont versées, et elles ne sauraient avoir d'autre vocation". Elles doivent donc être versées à la personne ou l'institution qui a la charge effective de l'enfant. Il a également rappelé que l'article L.521-2 du Code de la sécurité sociale - autorisant le juge à verser les allocations familiales entre les mains de l'ASE - est issu d'une loi votée en 1986 à l'initiative du gouvernement de Laurent Fabius, alors Premier ministre. Ces arguments - et ceux échangés au cours du débat - n'ont toutefois pas convaincu les députés, qui ont rejeté le texte.
Ce n'est pas la première fois qu'un texte de ce type arrive devant le Parlement. Outre une proposition de loi du sénateur (PS) Yves Daudigny, il y a quelques années, un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2011 avait également tenté d'introduire une réforme similaire, avant d'être finalement écarté (voir notre article ci-contre du 25 octobre 2010). Il n'est donc pas exclu que cette mesure fasse l'objet d'une nouvelle proposition de loi ou d'un amendement dans les prochains mois, en particulier si l'opposition reprend le contrôle du Sénat à l'automne.
Jean-Noël Escudié / PCA
Référence : proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l'allocation de rentrée scolaire au service d'aide à l'enfance lorsque l'enfant a été confié à ce service par décision du juge (adoptée en première lecture au Sénat le 27 mars 2013 ; rejetée par l'Assemblée nationale le 12 juin 2014).