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Asile - Vers un statut pour les personnes ni régularisables, ni expulsables ?

Alors que le Parlement achève l'examen du projet de loi de réforme de l'asile (voir notre article ci-contre du 29 juin 2015), Jean Aribaud, - ancien préfet de la région Nord-Pas-de-Calais - et Jérôme Vignon, président de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (Onpes), ont remis au ministre de l'Intérieur leur rapport sur "La situation des migrants dans le Calaisis". Sous-titré "Le pas d'après", ce document a été commandé en août 2014 et c'est donc peu dire qu'il était attendu, d'autant plus que la situation à Calais se dégrade à nouveau. A l'origine, la désignation d'une mission sur la question de Calais était fortement réclamée par des associations comme Médecins du monde ou le Secours catholique.

Création d'un "centre de mise à l'abri" à 100 km de Calais

Si le délai de production du rapport a été particulièrement long, c'est aussi parce qu'il a donné lieu à des échanges soutenus entre les auteurs et les services du ministère, afin de déboucher sur des propositions rapidement opérationnelles dans le contexte actuel de crise de l'asile. Celles-ci portent certes sur la situation propre au Calaisis, mais la vingtaine de propositions du rapport comprennent aussi des préconisations de portée nationale.
Côté Calais, la principale mesure proposée consiste en la création d'un "centre de mise à l'abri" d'une capacité d'environ 200 personnes, qui serait situé à une centaine de kilomètres de Calais. Sa vocation serait "de créer les conditions psychiques et physiques, ainsi qu'un véritable répit, permettant aux migrants qui auront manifesté le désir de considérer la possibilité d'une demande d'asile, de mûrir ce projet au contact de médiateurs culturels et à l'abri des pressions en tout genre".
Le rapport préconise également de conforter le centre Jules Ferry et ses abords comme lieu de premier accueil (voir notre article ci-contre du 4 septembre 2014), mais aussi d'"instaurer une nouvelle gouvernance à Calais" et d'"expérimenter un opérateur unique", qui serait associé à une antenne de l'Ofpra.
Autres mesures concernant le site de Calais : une régulation en amont du flux des camions afin de limiter leur séjour sur le site et - du même coup - l'accès aux camions par les migrants, une "dynamisation" de la politique pénale locale (autrement dit, un renforcement des actions contre les passeurs et les trafiquants), ou encore une amélioration de la situation des mineurs vulnérables (dont notamment les mineurs isolés étrangers).

Une autorisation temporaire pour les non expulsables

Du côté des mesures de portée nationale, la principale consisterait à "clarifier la situation des personnes qui ne peuvent pas être techniquement éloignées". Le rapport se prononce sans ambiguïté en faveur d'une application des mesures d'éloignement après rejet définitif de la demande d'asile, avec en particulier la recommandation de "placer systématiquement en centre de rétention administrative les migrants interpellés à la suite de deux tentatives infructueuses de passage".
Mais il reste des cas de figure où un demandeur débouté ne peut pas être renvoyé vers son pays d'origine sans mettre sa sécurité, voire sa vie, en danger. C'est le cas avec des pays comme l'Afghanistan, l'Erythrée ou le Soudan. Le rapport propose donc de délivrer un titre de séjour temporaire - possibilité prévue par l'article L.313-14 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile -, "assorti de conditions restrictives, n'excluant pas, sous des conditions également strictes, la possibilité d'occuper un emploi non pourvu par Pôle emploi depuis six à neuf mois". En pratique, il serait demandé aux bénéficiaires de ce titre temporaire de faire la preuve de leur volonté d'intégration à travers, par exemple, l'apprentissage du français ou la recherche active d'un emploi.

Une dimension binationale et européenne

Les autres mesures proposées comportent une dimension internationale et s'inscrivent donc nécessairement dans une perspective à moyen ou long terme. Il s'agit en premier lieu de "changer d'approche" dans la relation entre la France et le Royaume-Uni. En clair, - face à "la transformation radicale" des conditions qui avaient présidé à la signature de l'accord du Touquet en 2003 -, il conviendrait de coopérer davantage pour sécuriser le passage de la Manche, mais aussi de partager les responsabilités dans l'instruction des demandes d'asile.
La même ambition vaut pour les relations avec l'Italie. La France pourrait ainsi, au titre de la clause discrétionnaire du traité de Dublin, prendre en charge d'une partie des demandeurs calaisiens susceptibles d'être réadmis en Italie. En contrepartie, l'Italie prendrait en charge, dans la même proportion, le retour d'une partie d'entre eux.
Les propositions sont plus floues au niveau européen, puisqu'il s'agirait de "proposer une plan d'action dynamique et européen" (qui reste à définir) et de "soutenir la mise en place d'un processus européen pérenne de réinstallation avec le HCR", position déjà défendue par la France.