Santé - Vers un gel des nouveaux projets d'investissements hospitaliers ?
Dans une interview au quotidien Les Echos du 5 décembre, Frédéric Valletoux, le nouveau président de la Fédération hospitalière de France (FHF) - qui a succédé à Jean Leonetti, devenu ministre chargé des affaires européennes -, annonce le report de la plupart des nouveaux projets d'investissements hospitaliers, en raison du gel des aides publiques dans le cadre de la politique de redressement budgétaire. Pour le maire (UMP) de Fontainebleau, "les chantiers qui ont démarré ne devraient pas être affectés. Pour tous les autres, et jusqu'à nouvel ordre, l'Etat n'abondera pas les futurs investissements". La conséquence est que "dans la situation financière actuelle où presque aucune opération d'envergure ne peut se faire sans le soutien financier de l'Etat, [...] la plupart des projets seront reportés sine die". Tout en précisant que ceci ne remettra pas en cause la prise en charge des patients, le président de la FHF estime néanmoins que "reporter trop longtemps ces investissements risque de retarder les économies". S'il déclare comprendre le gel des subventions de l'Etat au vu de la situation budgétaire actuelle, le maire de Fontainebleau juge cependant que "cette décision devra être réexaminée dès que possible". Les hôpitaux publics n'ont en effet guère d'autre solution que de compter sur les aides de l'Etat pour boucler le financement de leurs investissements.
"Décalage" de la deuxième tranche du plan Hôpital 2012
Au-delà de l'inquiétude des hôpitaux sur l'avenir de leurs projets d'investissement, cette déclaration est aussi un moyen de faire pression sur le gouvernement. C'est en effet la question de la deuxième tranche, mais aussi de la succession, du plan Hôpital 2012 qui se joue. Lancé en février 2007, ce plan succédait à Hôpital 2007, qui avait lui-même fortement développé l'investissement hospitalier (environ 13 milliards d'euros d'investissements). Le second plan prévoyait 10 milliards d'euros d'investissement sur la période, répartis en deux tranches et financé environ pour moitié par l'Etat. Si la première tranche a bien été menée à terme (voir notre article ci-contre du 13 mai 2009) - avec environ 4,6 milliards d'investissements réalisés à ce jour -, le déblocage de la seconde était toujours en suspens.
La réponse sur ce point a été donnée lors de l'examen par l'Assemblée nationale, en seconde lecture, du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), après l'échec de la commission mixte paritaire. Le gouvernement a fait notamment adopter un amendement réduisant de 100 millions d'euros la dotation de l'assurance maladie au Fonds pour la modernisation des établissements de santé publics et privés (qui se trouve ainsi ramenée à 286 millions d'euros). Dans l'exposé des motifs, le gouvernement justifie cette minoration - par rapport au texte initial du PLFSS - par le fait que "le report des projets à venir de la deuxième tranche du plan Hôpital 2012 permettra une économie sur l'Ondam 2012" [objectif national des dépenses d'assurance maladie, NDLR]. Lors du débat en seconde lecture à l'Assemblée, le 29 novembre, Xavier Bertrand n'a pas parlé de gel, mais de "décalage des projets d'investissement hospitalier qui n'ont pas encore été engagés". Le ministre de l'Emploi et de la Santé n'a toutefois pas précisé la nature et le montant total des opérations qui seront concernées par ce décalage.
Seule certitude : la seconde tranche du plan Hôpital 2012, présentée en février 2010 (voir notre article ci-contre du 10 février 2010) - qui prévoyait 2,2 milliards d'euros de subventions de l'Etat, soit environ 4,4 milliards d'investissements - est bien reportée. Cette enveloppe devait financer 633 projets d'investissement hospitalier, concernant l'immobilier, les équipements ou les systèmes d'information. Il reste maintenant à connaître ce qu'il adviendra de chacune de ces opérations et la durée du "décalage". Quant à l'éventualité d'un successeur au plan Hôpital 2012, elle semble s'éloigner à grands pas.
L'endettement des hôpitaux a triplé en dix ans
Le déblocage d'une enveloppe de prêts de cinq milliards d'euros - au lieu des trois milliards initialement prévus -, annoncé par François Fillon le 22 novembre devant le congrès de l'Association des maires de France, pourrait certes apporter un ballon d'oxygène. L'enveloppe est en effet destinée à financer les "projets d'investissement des collectivités et des hôpitaux publics". Frédéric Valletoux constate toutefois une "tendance à faire passer les collectivités avant les hôpitaux" et dit notamment constater des blocages en Ile-de-France et en Rhône-Alpes. En revanche, le président de la FHF suit avec beaucoup d'intérêt la mise en place du "nouvel établissement bancaire public constitué par la Banque postale et la Caisse des Dépôts, qui va reprendre une partie des activités de Dexia", sachant que Dexia assurait jusqu'à 40% du financement des hôpitaux.
Il reste que la nécessité du redressement des comptes n'est pas la seule justification de ce coup de frein sur l'investissement hospitalier. Les plans 2007 et 2012 ont eu une conséquence secondaire, lié à leur effet de levier sur l'endettement des hôpitaux. La capacité d'autofinancement des établissements étant le plus souvent très limitée et la contribution des collectivités locales relativement marginale, c'est l'emprunt qui a apporté l'essentiel des financements complémentaires aux dotations de l'Etat. Dans son interview aux Echos, le président de la FHF indique d'ailleurs lui-même que "les hôpitaux empruntent entre 2 et 3 milliards d'euros par an. Et leur situation financière est plus fragile : en cinq ans, leur dette est passée de 10 à 24 milliards".
Outre son impact sur les dépenses d'assurance maladie - qui prend en charge les frais financiers sur la section de fonctionnement - cette évolution a pour conséquence de rendre les banques très frileuses en matière de prêts aux établissements hospitaliers. C'est moins le niveau de l'endettement - contenu pour l'instant dans des limites admissibles (un peu moins de six années de capacité d'autofinancement) - qui inquiète les banques que la progression très rapide de la dette ces dernières années.
L'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médicosociaux (Anap) - qui a repris notamment les compétences de la Mission nationale d'appui à l'investissement hospitalier (Mainh) - ne dit pas autre chose. Dans la page consacrée à la présentation de son rôle en matière d'investissements et de patrimoine hospitalier, l'Anap prend bien soin de préciser qu'"au sortir d'une période intense de reconstructions d'établissements publics et privés, illustrée notamment par des plans nationaux tels Hôpital 2007, l'Anap se doit d'accompagner les établissements de santé et médico-sociaux dans leur politique immobilière dans une période financièrement moins propice (l'endettement des établissements publics a presque triplé en 10 ans)". Dans ses vœux aux acteurs de la santé, lors d'un déplacement à Châtillon-sur-Indre (Indre) le 20 janvier 2011, le chef de l'Etat avait également fait une allusion à la question. Evoquant la difficulté à maîtriser les dépenses hospitalières, Nicolas Sarkozy avait alors affirmé qu'il ne "céderait pas aux demandes inconsidérées, sous prétexte que l'on se rapproche d'échéances politiques importantes".