Politique de la ville - Trois ans après la loi Lamy, des moyens jugés insuffisants
Si la commission des affaires économiques du Sénat demande le maintien des crédits nationaux "Politique de la ville" à leur niveau actuel, elle plaide pour un renforcement de la participation de l'Etat au renouvellement urbain et à nombre d'enjeux spécifiques - suivi des quartiers "sortants", appui aux conseils citoyens, évaluation des contrats de ville, sécurité... Selon le rapport destiné à évaluer l'application de la loi Lamy de 2014, la nouvelle politique de la ville irait tout de même dans le bon sens.
La réforme de la politique de la ville est "bien engagée" mais "[souffre] d'un manque de moyens". C'est la conclusion du rapport d'évaluation de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine que vient d'adopter la commission des affaires économiques du Sénat. Sur la base d'entretiens et de visites sur sites (1), les sénatrices Annie Guillemot (socialiste, Rhône) et Valérie Létard (UDI, Nord) ont passé en revue les quatre grands volets de la loi Lamy : la nouvelle géographie prioritaire, les contrats de ville, les conseils citoyens et le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU).
Le rapport présente 27 recommandations, dont une majorité a trait aux moyens financiers. Ces derniers seraient par exemple "insuffisants" pour permettre le suivi des quartiers sortants, même si la commission approuve les "nouveaux critères de la géographie prioritaire" - jugés "plus objectifs" et "globalement adaptés à l’objectif de resserrement et de simplification" poursuivi par la loi.
Politiques de droit commun : des crédits non identifiés dans les contrats de ville
Les deux rapporteurs pointent en particulier le "silence" des contrats de ville quant à la mobilisation des crédits de droit commun. Elles demandent aux différents ministères de donner l'impulsion nécessaire à l'identification de ces crédits et insistent sur la nécessité de mettre en place des outils de suivi adéquats. Le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) devrait prochainement mettre à disposition des collectivités et des services de l'Etat un outil de géoréférencement des politiques conduites.
Les sénateurs exhortent par ailleurs le gouvernement de "ne pas sacrifier" les moyens spécifiques de la politique de la ville – le programme 147 – et de les maintenir à leur niveau actuel (2).
Concernant l'abattement de 30% sur la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) des bailleurs sociaux, la compensation par l'Etat "demeure insuffisante", avec un reste à charge de l'ordre de 99 millions d'euros pour les communes. Les contreparties en termes d'amélioration du cadre de vie pouvant parfois s'avérer insuffisantes, les parlementaires proposent d'étudier la possibilité "d’instaurer un mécanisme de suspension de l’abattement en cas de contreparties déficientes".
NPNRU : 10 milliards, pris en charge à parité par l'Etat et Action Logement
En matière de rénovation urbaine, "le financement du NPNRU [n'est] pas à la hauteur des enjeux", de l'avis des sénateurs. Ils plaident pour une enveloppe de 10 milliards d'euros, soit le montant sur lequel Emmanuel Macron s'est engagé pendant sa campagne et à sa suite Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, lors des Journées nationales d'échange des acteurs de la rénovation urbaine de début juillet (voir notre article du 6 juillet 2017).
La commission demande donc surtout le rétablissement de la parité de financement entre l’Etat et Action Logement. "L’Etat ne peut continuer à laisser d’autres acteurs financer une politique publique aussi importante." L'Etat n'aurait ainsi contribué qu'à hauteur de 1% au financement du PNRU.
Les sénateurs appellent par ailleurs à ne pas délaisser les quartiers d'intérêt régional.
Des "opérations d'intérêt national sécurité" dans les 40 à 50 quartiers "en difficulté extrême"
Les "modalités d’évaluation des contrats de ville [doivent] être consolidées", peut-on encore lire dans le rapport. Là encore, il importe pour la commission sénatoriale de permettre aux collectivités de disposer des "moyens d'ingénierie nécessaires". Quant au nouveau pilotage à l'échelle intercommunale, il est jugé plutôt satisfaisant, même si plusieurs pistes d'ajustement sont avancées.
Sur le fond, le rapport balaye les trois piliers des contrats de ville - cohésion sociale, cadre de vie et renouvellement urbain, développement économique et emploi - et met l'accent sur la "question de la tranquillité publique", "prégnante et récurrente pour les habitants", notamment dans certains quartiers "en difficulté extrême". Les sénateurs invitent le gouvernement à identifier ces derniers – de l'ordre de 50 à 60 quartiers pour l’Union sociale pour l’habitat - et à y mettre en œuvre un "dispositif de traitement global" de type "opération d'intérêt national".
Evoquant la place prise par des organisations communautaires dans l'animation d'activités éducatives, les rapporteurs soulignent en outre l’"importance" de maintenir dans ces quartiers "des activités pour les jeunes mais aussi des services publics et des commerces". Les sénatrices citent l'exemple du quartier Terraillon à Bron - ville où est élue Annie Guillemot - , où l'on trouve désormais "une crèche, un bureau de poste, un pôle 'lecture' associé à un pôle 'emploi proximité' et la maison de la métropole, point d'entrée vers les services de la métropole de Lyon".
Un rôle du conseil citoyen encore "largement à conforter"
Pour atteindre l'objectif de coconstruction fixé par la loi, "le rôle du conseil citoyen demeure largement à conforter", pointe enfin le rapport. Plusieurs pistes destinées à faciliter son fonctionnement sont donc indiquées, notamment l'idée d'assouplir le système d'entrées et de sorties des membres afin de "faciliter les remplacements" et ainsi "d’éviter un essoufflement du conseil".
Plus globalement, pour conforter le rôle de cette "instance encore balbutiante", il importe de veiller à une meilleure articulation entre conseils citoyens et conseils de quartier. Encore une fois, la participation de l'Etat est jugée "déterminante" pour assurer aux représentants des habitants et des associations un accompagnement technique, des formations et des moyens matériels. Quant à la possibilité offerte par la loi Egalité et Citoyenneté aux conseils citoyens de saisir le préfet en cas de difficulté, elle serait "à ce stade très théorique", pour les rapporteurs qui, à l'instar de beaucoup d'élus locaux, ne semblent pas convaincus du bien-fondé du dispositif.
(1) A Lille, Valenciennes, Mons-en-Baroeul, Nantes, Marseille, au Blanc-Mesnil, à La Courneuve, Aulnay-Sous-Bois, Lyon et Bron.
(2) 514,4 millions d’euros en autorisations d’engagement et 429,4 millions d’euros en crédits de paiement pour 2017.