Politique de la ville - La réforme de la politique de la ville ne convainc qu'à moitié la Cour des comptes
"Le bilan de la mise en œuvre des 18 recommandations émises en 2012 par la Cour montre que la moitié d'entre elles a été au moins partiellement prise en compte, mais que l'autre moitié reste encore inappliquée", estiment les magistrats de la rue Cambon, dans un chapitre intitulé "La politique de la ville : un cadre rénové, des priorités à préciser" de leur rapport public annuel 2016 présenté le 10 février. Selon eux, la loi "Lamy" du 21 février 2014 "s'apparente plus à une amélioration limitée des actions précédentes qu'à une véritable réforme d'ensemble". C'est tout le contraire, rétorque Manuel Valls dans sa réponse. Selon le Premier ministre, la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine "s'est appuyée directement sur les recommandations de la Cour (...) de juillet 2012".
Quoi qu'il en soit, la Cour formule quatre nouvelles recommandations, auxquelles s'ajoutent plusieurs piques.
Incontournable droit commun
Sa première recommandation est d' "identifier dans les contrats de ville les priorités et préciser les montants des crédits de droit commun et des crédits spécifiques qui sont mobilisés pour les financer". Car si elle considère que les nouveaux contrats de ville sont "détaillés et fédérateurs", elle estime que "la connaissance des crédits de droit commun affectés aux zones relevant de la politique de la ville reste floue et l'évaluation des dispositifs lacunaire".
La Cour remarque en effet que la question de "l'identification du montant des crédits de droit commun mobilisés au service des quartiers prioritaires ne progresse guère" depuis 2012. Une situation fâcheuse due selon elle à "l'incapacité technique des acteurs à déterminer de façon précise les bénéficiaires des dispositifs de droit commun qui résident dans les quartiers prioritaires", mais aussi au fait que les conventions d'objectifs interministériels "quantifient rarement les résultats attendus" et sont "peu suivies", ou encore que le document de politique transversale (DPT) consacré à la politique de la ville et présenté lors des projets de loi de finances (*) "n'a toujours pas fait l'objet des améliorations nécessaires". Et cela risque de durer dans la mesure où "les contrats de ville ne comportent pas d'objectifs financiers chiffrés".
"Un enjeu majeur" aussi pour le Premier ministre
Le Premier ministre a reconnu que "la capacité à identifier les crédits relevant du droit commun, localement dans le contrat de ville, mais aussi nationalement dans le cadre de l'élaboration de politique transversale, constitue un enjeu majeur". Il s'est engagé à ce que soient fixés des "objectif chiffrés et définis dans le temps pour la mobilisation de l'ensemble des politiques publiques au bénéfice des quartiers prioritaires". Il estime par ailleurs que l'organisation des comités interministériels "Egalité et Citoyenneté" (qui ont remplacé les Comités interministériels à la ville) "à un rythme semestriel renforce significativement la mobilisation de l'ensemble des départements ministériels".
La Cour a également constaté que le resserrement de la nouvelle géographie prioritaire, qui a porté de 751 ZUS et 2.492 Cucs à 1.436 QPV (quartiers prioritaires de la politique de la ville) est très relatif, dans la mesure où "la nouvelle géographie des quartiers prioritaires cible une population plus réduite, mais dans un nombre comparable de quartiers". Elle calcule que "les QPV hébergent 5,5 millions d'habitants contre 8,7 millions précédemment" et que la notion de "quartier vécu" ajoutée à la notion de quartiers en "veille active" limitent le resserrement recherché. Le Premier ministre a défendu le "quartier vécu" considérant qu'il "contribue à la souplesse d'un système intelligent et évolutif".
Chiffrer la mixité sociale
La Cour recommande en second lieu de "chiffrer systématiquement les objectifs de mixité sociale des opérations de renouvellement urbain", car elle considère que "le nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU) n'intègre pas suffisamment les objectifs de mixité sociale et ne se concentre pas sur un nombre restreint de projets".
C'est pourtant l'un de ses objectifs ! rappelle le Premier ministre (avec le développement économique, l'attractivité résidentielle et le développement durable et solidaire). Et d'ailleurs, les deux comités interministériels à l'égalité et la citoyenneté des 6 mars et 26 octobre l'ont réaffirmé, par exemple en imposant "la reconstitution, en dehors des quartiers prioritaires, de l'offre de logements sociaux démolis". Et le projet de loi éponyme, qui sera discuté au printemps, prévoit "la réorganisation du pilotage des attributions des logements locatifs sociaux et leur mobilisation au service de la mixité", insiste-t-il.
PNRU, NPNRU : il y en a jusqu'en 2033
Et d'abord, ce "nouveau programme" n'en aurait que "l'appellation", estime la Cour, dans la mesure où "60% (des nouveaux quartiers Anru) avaient déjà engagé un projet de rénovation urbaine (dans le cadre du premier programme national de rénovation urbaine/PNRU)", pointe la Cour. Elle pointe également le fait qu' "aucun bilan n'a été réalisé" sur ce premier programme et que "la période 2015-2021 sera caractérisée par une concomitance du PNRU et du NPNRU".
Mais ce qui l'exaspère le plus, c'est que le PNRU qui "devait initialement s'achever en 2013" durera 18 ans, avec des décaissements jusqu'en 2021. Et que "le NPNRU ne sera finalement achevé qu'en 2033". Dans sa réponse, le directeur général de l'Anru a cru bon d'user de pédagogie en rappelant que "l'achèvement des engagements réalisés au titre du programme ne signifie pas l'achèvement physique et financier du programme", et que "le plan de financement a toujours été construit sur une période d'une quinzaine d'années".
Si bien que pour le PNRU, dont les engagements se sont arrêtés fin 2015, "le paiement du dernier solde de subvention pour la dernière opération interviendra à l'horizon 2020". Et pour le NPNRU, dont les engagements devraient s'arrêter fin 2024, "il est prévisible" que ce paiement intervienne "à l'horizon 2030", a-t-il confirmé.
Pédagogie de la densité en zone sensible
La Cour pointe aussi le risque de "voir émerger des projets particulièrement denses" à la lecture du nouveau règlement général de l'Anru. C'est méconnaître la densité actuelle des quartiers, répond en substance le directeur général de l'Anru, rappelant que "nombre de quartiers construits sur la période 1955-1975 se caractérisent bien souvent par une faible densité" et que "l'impression de densité (est) générée par le type d'urbanisation en tours et barres".
Il rappelle également aux magistrats que l'objectif de densité "tient compte de la volonté de l'Etat de lutter contre l'étalement urbain, source de dysfonctionnements urbains et de coûts sociaux élevés".
Education prioritaire : les nouveaux rythmes scolaires n'auraient rien arrangé
Le troisième recommandation de la Cour est de "rééquilibrer les moyens de l'éducation prioritaire affectés aux quartiers prioritaires en faveur de l'enseignement préscolaire et du premier degré". Elle estime que rien ne s'est arrangé depuis son rapport de 2012, dans lequel elle soulignait "un émiettement des dispositifs scolaires, périscolaires et éducatifs" et "le risque d'effets de substitution et de mauvaise coordination entre crédits de droit commun et crédits spécifiques".
Depuis, la réforme des rythmes scolaires est passée par là, qui aurait "estompé la frontière entre temps scolaire et périscolaire". Si bien que "certaines collectivités ont sollicité le financement des nouvelles activités périscolaires sur des crédits de politique de la ville, alors même qu'un fonds d'amorçage de l'Etat était mis en place", s'insurge la Cour.
Elle critique également le fait que "32% des communes qui disposent d'un programme de réussite éducative (PRE) se situent en dehors de l'éducation prioritaire". Elle appelle à un "effort de concentration" sur les QPV des PRE, mais aussi des "cordées de la réussite" dont seuls 55% des bénéficiaires sont issus des quartiers, et des internats d'excellence (27%).
La Cour estime plus généralement que "l'éducation prioritaire n'est pas encore assez articulée avec la politique de la ville", même si, selon ses sources, 86% des collèges et 84% des écoles relevant de l'éducation prioritaire sont situés "dans les quartiers prioritaires ou à proximité". Le Premier ministre avance d'autres chiffres : 99% des collèges en REP+ et 81% des collèges en REP "se trouvent, dans ou à proximité, d'un quartier prioritaire".
Des progrès sur la mobilisation du service public de l'emploi
La quatrième recommandation de la Cour est de "fixer des objectifs chiffrés pour la mobilisation du service public de l'emploi dans les quartiers prioritaires". Sur la question de la mobilisation, elle reconnaît que des "progrès" ont été réalisés depuis 2012. Elle constate avec plaisir que 75 sites Pôle emploi sont désormais implantés dans les quartiers prioritaires et que "les principaux dispositifs disposent désormais d'objectifs chiffrés, assortis d'indicateurs territorialisés". Et elle espère que la nouvelle "agence de développement économique des territoires" apportera de la cohérence aux actions de soutien au commerce de proximité, à l'artisanat et à la création d'entreprises.
Peut mieux faire en revanche pour le système de géo-référencement mis en place en 2013 et qui ne "permet toujours pas de relier de manière exhaustive les bénéficiaires des actions de la politique de la ville aux quartiers prioritaires". Dans sa réponse, le Premier ministre assure que depuis le 18 mars 2015, le service public de l'emploi prend en compte la nouvelle géographie prioritaire, et que Pôle emploi peut désormais "identifier directement les demandeurs d'emploi issus des quartiers".
La Cour enfin estime que la décentralisation de la formation professionnelle et de l'apprentissage "a accru la complexité de l'organisation d'ensemble" et que l'apport du contrat de ville en tant qu'outil de coordination est "incertain".
La prise en compte de l'intercommunalité
Plusieurs observations de la Cour n'ont pas donné lieu à des recommandations. La Cour se félicite ainsi de la prise en compte de l'intercommunalité dans la nouvelle politique de la ville, comme elle le préconisait en 2012.
La Cour semble aussi relativement satisfaite d'avoir été écoutée quand elle demandait "un pilotage central fort pour mener une politique aussi ambitieuse et complexe". Elle relève que la politique de la ville fait maintenant l'objet d'un "ministère spécifique" (et non plus rattaché au ministère du Logement), la fréquence des réunions du comité interministériel Egalité et Citoyenneté, la révision des instances de pilotage (fusion Datar SG-CIV), la stabilisation des fonctions des préfets délégués à l'égalité des chances (même si leur répartition sur le territoire serait "perfectible")…
Elle regrette en revanche de ne pas avoir été suivie quand elle recommandait de "rééquilibrer les crédits spécifiques de la politique de la ville au profit des six départements les plus en difficulté", en l'occurrence : Bouches-du-Rhône, Essonne, Nord, Rhône, Seine-Saint-Denis, Val-d'Oise.
Des recommandations de 2012 passées à la trappe
A noter enfin plusieurs recommandations de 2012 qui semblent être passées à la trappe. La Cour aurait pourtant dû se réjouir que, dans le cadre des projets Anru, les avances de subventions aux opérateurs aient été supprimées comme elle le suggérait. Pas de nouvelle non plus du système d'information "Agora" destiné à suivre les exécutions des subventions Anru par quartier, et fort critiqué par la Cour. Or "un nouveau système d'information pour la gestion des subventions du NPNRU est en cours de construction", nous confirme l'Anru, l'objectif étant qu'il soit "opérationnel en 2017".
On remarquera enfin que la Cour a "oublié" plusieurs points qui la chiffonnaient en 2012, et qui se révèlent plus que jamais d'actualité. Elle avait ainsi pointé "l'éparpillement" des missions de l'Anru, en citant le suivi des appels à projets sur les projets innovants en faveur de la jeunesse, sur les internats d'excellence et les internats de la réussite, sur le développement de la culture scientifique, technique et industrielle… La Cour ne parle plus non plus de la possibilité donnée à l'Anru par la loi Lamy de prendre des participations financières dans des sociétés d'investissement locales intervenant dans des quartiers "NPNRU", pour permettre l'implantation d'hôtels d'entreprises, pépinières d'activités ou encore des maisons de santé. En 2012, la Cour était sceptique quant à la compétence de l'Anru à un exercer ce "métier d'investisseur". Comme quoi, même la rue Cambon peut avoir des "oublis" ou… changer d'avis.
Valérie Liquet
(*) Selon elle, "le montant de 4,4 milliards d'euros destinés aux quartiers prioritaires, qui est cité dans le DPT consacré à la politique de la ville, ne constitue qu'une estimation grossière".