Politique de la ville - Réforme de la géographie prioritaire, mission impossible ?
Une concertation se tiendra de début octobre à la fin de l'année 2012 avec les acteurs de la politique de la ville (élus, associations, professionnels, institutions…) pour préparer la réforme de la géographie prioritaire. Elle trouverait une traduction législative dans la loi-cadre sur le logement dont la discussion au Parlement est prévue pour le premier semestre 2013.
Pas de "plan Marshall" en perspective, avait prévenu François Lamy lors de son premier déplacement sur le terrain, le 21 mai, à Villiers-le-Bel. "Cela fait des années qu'on nous annonce un 'plan Marshall' — sans que je voie d'ailleurs pourquoi le général Marshall est mêlé à nos aventures de banlieues !" avait avant lui ironisé le candidat François Hollande, le 3 mars, à Dijon, pendant la campagne présidentielle.
Tout ceci n'était encore que communication politique : le plan Marshall évoqué par Nicolas Sarkozy pendant la campagne de 2007 s'était d'ailleurs traduit en un modeste "plan Espoir banlieue" doté d'une trentaine de milliards d'euros. Piloté par Fadela Amara, il n'aura jamais convaincu. Dès son lancement en 2008, un parterre d'élus et de professionnels réunis à l'initiative de la Datar et de la DIV s'étaient montré pour le moins circonspect, parlant de "travail de plomberie".
Les grandes lignes
Le nouveau ministre s'est déclaré décidé à "regarder ce qui existe et prendre le temps de la concertation, pour voir ce qui marche et ce qui marche moins bien, avant de faire des choix". Si son ministère se défend aujourd'hui d'anticiper les conclusions de la concertation, la ligne est donnée : en cette période de vaches maigres budgétaires et partant du constat partagé de l'échec relatif de la politique de la ville (voir ci-contre notre article du 17 juillet sur la synthèse qu'en fait la Cour des comptes dans son rapport publié en juillet), l'idée est d'une part de resserrer le nombre de quartiers prioritaires et d'autre part de faire davantage appel aux politiques de droit commun.
Cela passera par de nouveaux critères de définition de ces quartiers, un renouveau des modes de contractualisation (envers ces quartiers mais aussi envers les autres, qui "sortiraient" du système spécifique) qui allierait davantage "l'urbain et l'humain", une approche interministérielle au niveau national et une approche intercommunale au niveau local.
Des discours qui se renouvellent peu
Les ambitions, comme les solutions, ne sont pas nouvelles. François Lamy ne renierait pas – hormis le style – les discours de Fadela Amara ni de Jean-Louis Borloo en leur temps. "La nécessité d'agir dans les quartiers en mobilisant prioritairement les crédits d'intervention de l'ensemble des administrations est un leitmotiv qui apparaît à chaque impulsion nouvelle donnée à la politique de la ville", rappelle ainsi la Cour des comptes.
Alors pourquoi y parviendrait-il là où ses prédécesseurs ont échoué ? "Parce que nous, nous allons vraiment le faire", répond la jeune équipe du cabinet ministériel. Une implication active des ministères de droit commun qui ne soit pas de l'affichage ? Une concertation qui ne soit pas de la négociation ? Une communication respectueuse des populations qui ne glisse ni dans la provocation ni la sensiblerie ? A suivre…
Premier ministre, premier atout
Le premier atout dans les mains de François Lamy, c'est Jean-Marc Ayrault. Le Premier ministre a affiché son soutien au ministre de la Ville pour la tenue de la concertation et ses grandes lignes, tout particulièrement la promotion de l'interministériel. Ex-maire de Nantes et ex-président de Nantes métropole, il doit savoir ce qui se cache derrière les chiffres de l'observatoire de l'Onzus, car il a pratiqué : le millefeuille des intervenants publics, la difficulté pour l'intercommunalité de s'imposer, l'influence grandissante de l'islam dans les quartiers, l'économie parallèle, la violence sous de multiples formes (envers les services publics et l'école, mais aussi au sein de la famille, envers les femmes et les jeunes filles, entre "bandes rivales" mais aussi entre "potes"…), la faible participation aux élections locales, le taux de pauvreté trois fois plus élevé qu'ailleurs, le taux de chômage des moins de 25 ans pouvant dépasser les 50%... Il sait aussi le potentiel d'une population jeune, la richesse d'une mixité ethnique et culturelle (sinon sociale), la qualité des logements, la réussite des opérations de renouvellement urbain. S'il ne nous épargnera sûrement pas les discours convenus sur la "mixité sociale" et le "vivre ensemble", il est peu probable qu'il se mette à parler "caillera".
Quoi qu'il en soit, le Premier ministre sait sur quels boutons appuyer : le ministère du Logement bien sûr avec l'Urbanisme et le Grand Paris, mais aussi ceux de l'Education nationale et de la Réussite éducative, de l'Emploi, de l'Intérieur, des Sports et de la Jeunesse, des Transports, de la Culture, sans oublier la Réforme de l'Etat ni la Décentralisation, et pourquoi pas l'Economie sociale et solidaire, la Famille, la Lutte contre l'exclusion, le Commerce…
D'ores et déjà, le ministère de la Ville se félicite d'avoir "obtenu" de Vincent Peillon 250 postes pour les banlieues sur les 1.000 annoncés par le ministre de l'Education nationale. Avec Michel Sapin, il négocie la présence de Pôle emploi dans les quartiers qui en sont dépourvus et qui affichent un taux de chômage préoccupant. Avec Manuel Valls, il sera associé à la définition des zones de sécurité prioritaire… Le tour de piste a débuté.
Priorité à la concentration
De tout temps, tout le monde a été d'accord sur le "besoin d'une refonte de la politique de la ville pour concentrer les moyens dans les quartiers prioritaires", ainsi que l'a formalisé la Cour des comptes. Au lieu de quoi, chaque réforme a ajouté son zonage ou son dispositif supplémentaire (un problème qui n'est pas spécifique à cette politique, il n'y a qu'à voir ce qu'a donné la dernière réforme des collectivités : prétextant l'épaisseur du "millefeuille", la loi a rajouté trois couches !).
Si les acteurs de la concertation parviennent à dépasser leurs opportunismes locaux (ou si le gouvernement parvient à ne pas y céder), l'idée en germe au ministère serait de parvenir à fusionner tous les dispositifs actuels spécifiques à la politique de la ville dans un seul et même contrat réservé à un nombre restreint de territoires. Il pourrait s'appeler "contrat de rénovation urbaine et de cohésion sociale" (Crucs) et intégrerait les engagements sur le bâti signés avec l'Anru assortis du volet social qui, de l'avis de tous les observateurs, manque depuis la création de l'agence. En plus, le terme de "cohésion sociale" est pratique car il peut balayer les politiques de l'emploi, de la sécurité, des déplacements, de l'éducation, de l'insertion… bref, le Crucs exprimerait une politique territoriale réellement "transversale". Une réponse à la critique de la Cour des comptes sur les Cucs (contrats urbains de cohésion sociale) censés, lors de leur création en 2006, "mettre en cohérence les nombreux dispositifs thématiques, urbains et sociaux prévus pour les quartiers prioritaires" et qui, cinq ans après, "ne constituent pas le cadre territorial cohérent de politique de la ville pour lequel ils avaient été créés".
En toute logique, qui dit politique transversale sur des compétences telles que les déplacements, l'emploi, etc., dit politique élaborée à l'échelle intercommunale, "sauf en Ile-de-France où il faudra réfléchir à l'échelle plus large du Grand Paris", précise le ministère de la Ville. S'en est finit, nous assure-t-on, des actions "au niveau d'une rue, d'un quartier ou même d'une ville". Toutefois, les maires demeureraient "les opérateurs" car "les maires ont la connaissance du terrain, leur capacité à opérer est indéniable et nécessaire, et nous voulons laisser aux maires du pouvoir, par exemple en matière d'attribution de logements sociaux". Première concession…
Pour les autres territoires – disons ceux non étiquetés "prioritaires" –, une contractualisation sera toujours possible, en priorité en levant les enveloppes relevant du droit commun… mais pas uniquement. Compliqué ? "La concertation n'a pas encore débuté : comment voulez-vous que l'on vous en donne les conclusions ?", répond-on au ministère. Soit.
"La possibilité d'un financement complet du PNRU reste très incertaine"
Question financement, "la possibilité d'un financement complet du PNRU reste très incertaine", confirme, s'il en était besoin, le rapport de la Cour des comptes. "A ce jour, plus de 40 milliards d'euros ont été mobilisés : 10 milliards d'euros apportés par les collectivités territoriales, 12 milliards d'euros par l'Etat [l'Anru, ndlr] et l'Union de l'économie sociale pour le logement, 18 milliards d'euros par les bailleurs sociaux", rappelle la cour.
"Les crédits, malgré leur importance, ne permettront pas l'achèvement de tous les projets programmés dans les conventions", anticipent les magistrats, notant un "décalage entre les objectifs et les finances disponibles". Si bien que "le financement du PNRU n'est pas assuré au-delà de 2013", calculent-ils. François Lamy a également assuré que les crédits pour 2012 et 2013 étaient garantis. "Le problème se pose pour les années qui viennent", reconnaît-il toutefois.
Le recentrage sur les quartiers les plus prioritaires et l'appel aux politiques de droit commun seront une réponse, l'appel à contributions auprès des partenaires (collectivités, bailleurs, Action logement) sera aussi, certainement, une tentation... pas nouvelle. En dix ans, la Cour a observé : "Si la participation des collectivités territoriales s'est accrue, celle de l'Etat se réduit simultanément. Elle repose désormais sur l'implication croissante des partenaires sociaux, par le biais d'une mise à contribution de la participation des employeurs à l'effort de construction (le 1% logement), qui n'a été négociée que jusqu'en 2013." Incertitude supplémentaire : Action logement a fait savoir qu'elle n'entendait pas se laisser faire (voir notre article ci-contre du 17 juillet).