Politique de la ville - Des quartiers au bord de la rupture
Les Assises de la politique de la ville, boudées par le ministre de la Ville Maurice Leroy, n'ont pas réussi à éviter l'écueil du calendrier électoral. Cette deuxième édition organisée à l'initiative du maire PS d'Amiens, Gilles Demailly, le 8 novembre, a surtout été l'occasion de fustiger le "désengagement de l'Etat", quelques jours après la publication du rapport de l'Onzus et son lot d'indicateurs toujours aussi alarmants : pauvreté, chômage des jeunes, etc. De quoi conforter les pourfendeurs de la politique de la ville, alors qu'en 2008, l'Etat promettait un "plan Marshall des banlieues" destiné à rompre avec trente ans de politiques vaines, à travers quelques mesures emblématiques : contrats d'autonomie pour les jeunes, cordées de la réussite, internats d'excellence... Mais selon les acteurs de la politique de la ville, inquiets de "phénomènes de ghettoïsation inacceptables", ce plan Espoir banlieues lancé par Fadela Amara n'a pas eu les effets escomptés. "Force est de constater que l'Etat, malheureusement, se désengage progressivement des actions spécifiques, mais également du droit commun", déplorent-ils dans une déclaration lue par le maire d'Amiens à la fin de la rencontre.
Droit de vote des étrangers
La seule indulgence est allée à l'Anru. "Sans la création de l'Anru, la situation serait beaucoup plus difficile", a ainsi reconnu Michel Destot (PS), le président de l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF). Seulement, la situation budgétaire actuelle n'augure pas d'une augmentation des crédits. Maurice Leroy a même dû reconnaître récemment que le PNRU 2 devrait inventer un nouveau modèle économique. Pour les participants, cette rénovation urbaine de deuxième génération devra aussi comporter "une implication active de tous les partenaires, et une meilleure prise en compte du fait social, de l'humain". A cet effet, le député-maire socialiste de Sarcelles François Pupponi a plaidé pour un rapprochement de l'Anru, de l'Acsé, voire de l'Epareca.
La participation des habitants était d'ailleurs le leitmotiv de cette journée. La déclaration se propose en effet d'"approfondir la démocratie", de "l'enrichir de nouvelles pratiques", à l'image des commissions permanentes d'Amiens, exemple de démocratie participative, qui permet d'associer les habitants aux décisions locales. Car ce que Claude Dilain, l'ancien maire PS de Clichy-sous-Bois, a surtout retenu du rapport de l'institut Montaigne "Banlieue de la République", qui dépeint une islamisation des quartiers de Clichy-Montfermeil, c'est l'abstention massive. "Elle dépasse 70%, je suis étonné de la surprise que cela a provoqué", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse, organisée en marge de ces assises. "Cinq à six millions d'habitants sont en train de rompre le pacte républicain. On est dans un archipel d'îles qui n'ont plus de rapport les unes avec les autres", a alerté le président de l'Association des maires Ville et Banlieue de France, pour qui la politique de la ville est aujourd'hui dans une "jachère invraisemblable". Selon lui, ces habitants sont les "abandonnés de la République" et ils "cherchent d'autres identités". Pour remédier à ce sentiment d'abandon, Claude Dilain s'est dit favorable au droit de vote pour les étrangers aux élections locales, rappelant qu'une proposition de loi en ce sens sera bientôt examinée par le Sénat.
"Aveuglement intellectuel"
Interrogé par Localtis, le maire UMP de Montfermeil, Xavier Lemoine, a apparenté cette proposition à un "crime contre la Nation commis par des gens aux abois incapables de récupérer les classes populaires parties vers le Front national". "Tout cela traduit un aveuglement intellectuel. L'enjeu n'est pas social, économique ou urbain, on a pris les conséquences pour les causes. Les causes sont avant tout culturelles", a-t-il critiqué. Pour le maire de Montfermeil, trois priorités doivent être assignées à la politique de la ville : "l'apprentissage du français pour tout le monde, l'aide à la parentalité et la connaissance des grandes œuvres françaises". Autant de sujets qui doivent passer par une "prise de conscience de la société française dans son ensemble", car "les maires ne peuvent pas tout porter tous seuls". Prenant l'exemple de la loi sur le voile intégral, il réclame une loi sur les problèmes rencontrés dans les hôpitaux.
Si Michel Destot estime que la question des identités est centrale, il en tire des conclusions bien différentes. "Je suis à la tête d'une ville cosmopolite : sur 10 Grenoblois, 2 sont des Dauphinois de souche, c'est une chance extraordinaire", s'est enflammé le maire de Grenoble. "Il ne faut rien laisser passer de toutes ces politiques de division, de discrimination", a-t-il souligné.