Communication / Elus - Tribune de l'opposition dans le bulletin municipal : mais que fait la police ?
Coup sur coup, le Conseil d'Etat vient de rendre deux arrêts en date du 20 mai sur la question récurrente de la tribune de l'opposition dans les bulletins et magazines de collectivités. En l'occurrence, les deux jugements concernent les villes de Chartres (Eure-et-Loir) et de Sceaux (Hauts-de-Seine). Le premier reprend une jurisprudence classique sur l'interdiction de censurer une tribune d'expression des groupes politiques, mais apporte toutefois des précisions sur la possibilité d'y traiter ou non des sujets nationaux. Plus original, le second se penche - le diable se niche parfois dans les détails - sur une question de note de la rédaction et de changement de taille de la police de caractères, à l'initiative de la ville.
Le fait de traiter d'un sujet national ne peut justifier un refus de publication
Dans l'affaire de Chartres, le maire s'était opposé à la publication d'une tribune de l'opposition titrée "La ligne jaune" dans le magazine municipal "Votre ville". Motif avancé : bien qu'évoquant la politique menée par le maire - également député -, la tribune traitait d'un problème de politique nationale. Saisi par les conseillers municipaux concernés, le tribunal administratif avait annulé la décision du maire. Une position confirmée par la cour administrative d'appel de Nantes, puis par le Conseil d'Etat dans sa décision du 20 mai.
Comme les juridictions précédentes, le Conseil rappelle que le fait qu'une tribune traite de sujets nationaux "n'est pas au nombre des motifs qui pouvaient légalement justifier la décision du maire de Chartes de s'opposer à sa publication".
Sur le caractère supposé diffamatoire des propos tenus dans cette tribune, le Conseil d'Etat estime "que si cette tribune est rédigée sur un ton vif et polémique, la cour administrative d'appel de Nantes n'a pas inexactement qualifié les faits en jugeant qu'elle ne saurait pour autant être regardée comme présentant manifestement un caractère diffamatoire ou outrageant de nature à justifier qu'il soit fait obstacle au droit d'expression d'élus n'appartenant pas à la majorité municipale".
Au final, le Conseil d'Etat prend une position similaire à celle d'un récent arrêt concernant une situation similaire dans la commune de Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine (voir notre article ci-contre du 17 mars 2016).
Une "note de la rédaction" sous la tribune
L'affaire concernant la commune de Sceaux est de nature un peu différente. En l'occurrence, le maire n'a pas refusé la publication de la tribune de l'opposition, dont le contenu n'est, à l'évidence, pas de nature diffamatoire. En revanche, il a fait ajouter, sous le texte, une "Note de la rédaction" contestant le contenu de la tribune et concluant que "les informations de la tribune transmise par La Voix des Scéens sont donc erronées". L'ajout de cette note de la rédaction - qui représente à peu près la moitié du volume de la tribune - a conduit à modifier et à réduire la taille de la police utilisée. Du coup, la tribune apparaît dans un corps plus petit que celle des tribunes des deux autres groupes n'appartenant pas à la majorité municipale.
Les représentants du groupe La Voix des Scéens avaient aussitôt saisi en référé le tribunal administratif (TA) de Cergy-Pontoise, pour demander la suppression de la note de la rédaction et le rétablissement de la police initiale. Une demande acceptée par le juge des référés du tribunal administratif. La ville de Sceaux a alors saisi le Conseil d'Etat qui, dans son arrêt du 20 mai, désavoue la décision prise en référé. Il se fonde sur un motif d'ordre juridique en considérant que la procédure de référé engagée par le groupe La Voix des Scéens - et la réponse positive du juge de Cergy-Pontoise qui a suivi - n'étaient pas fondées au regard de l'esprit et de la lettre de la procédure de référé, notamment au regard du caractère d'urgence. En ne renvoyant pas l'affaire devant le TA de Cergy-Pontoise, ni devant un autre TA, le Conseil d'Etat, en jugeant sur le fond, clôt définitivement l'affaire au bénéfice du maire de Sceaux.
Jean-Noël Escudié / PCA
71 caractères par opposant : le maire d'Orange doit revoir son journal municipal
L'équivalent d'un demi-tweet : le maire d'Orange, Jacques Bompard (Ligue du Sud), a été sommé par la justice de se montrer plus généreux avec son opposition, qui n'avait le droit qu'à 71 caractères par élu pour s'exprimer dans le bulletin municipal. Dans une décision rendue le 24 mai, et consultée par l'AFP, le tribunal administratif de Nîmes "enjoint au maire d'Orange" de modifier le règlement "définissant l'espace réservé à l'expression des élus d'opposition sur le bulletin municipal". La loi prévoit que les journaux municipaux réservent un espace à l'opposition, mais ne précise pas dans quelles conditions. A Orange, Jacques Bompard avait alloué 2.500 caractères aux groupes siégeant au conseil municipal, partagés à raison de 71 caractères par élu : soit 2.072 signes pour les 29 élus de son propre groupe (Ligue du Sud), mais seulement 214 signes pour les 3 élus divers gauche, 143 pour les 2 élus Les Républicains et 71 signes pour l'unique représentante du Front de Gauche. Ces conditions drastiques "empêchent l'expression des élus minoritaires" dans un journal de plus de 20 pages "parfois agrémenté de commentaires peu amènes envers les élus de l'opposition", a estimé le tribunal. 71 signes, "ce n'est plus du gazouillis, mais un murmure évanescent sous le tonnerre de ses propres diatribes", commentent dans un communiqué les trois élus divers gauche ("Aimer ma ville"), qui avaient saisi le tribunal.
Joint par l'AFP, Jacques Bompard a affirmé avoir institué cette règle des 71 caractères "pour tenir compte du principe d'égalité", mais être "tout à fait d'accord pour réévaluer ça".
AFP