Tri à la source des biodéchets en 2024 : mission impossible ?

Pour Amorce, l’objectif d’une généralisation du tri à la source des biodéchets d’ici à la fin de l’année ne sera pas atteinte, et risque de rester longtemps hypothétique sans un véritable effort financier de l’État. L’association insiste également sur la nécessité de stabiliser le cadre réglementaire en la matière, alors que plusieurs textes font encore défaut.

"Mission impossible". C’est, d’après le président de l’association Amorce Gilles Vincent, ce à quoi ressemble le respect de l’obligation de mise en place d’une solution de tri à la source des biodéchets pour tous les Français avant le 1er janvier prochain. Un président d’ordinaire combatif, mais que l’on a trouvé quelque peu désabusé lors du colloque organisé sur ce thème par l’association, en partenariat avec la Banque des Territoires, ce 27 juin. À tout le moins un peu las.

Il faut dire que les difficultés auxquelles les collectivités sont confrontées en la matière ne manquent pas. Et celui qui est également maire de Saint-Mandrier-sur-Mer (Var) de les rappeler. "D’abord, l’échec des politiques de prévention et de recyclage de la loi Agec", qu’il explique principalement "par le fait que les metteurs sur le marché ont finalement très peu d’obligations", mais aussi "par le fait que les dispositifs de REP [responsabilité élargie du producteur] existantes n’atteignent pas leur objectif de recyclage et que les nouvelles filières connaissent une montée en puissance très laborieuse" (singulièrement dans le viseur, la REP déchets du bâtiment). "Ensuite, une explosion des coûts de gestion, due tant à des causes conjoncturelles que structurelles". Parmi ces dernières, "une TGAP (taxe générale sur les activités polluantes) grevant injustement les budgets des collectivités" et une "exposition des coûts d’élimination des déchets résiduels liés à la division par deux des capacités de stockage prévues par la loi". Enfin, un gouvernement qui "n’a toujours pas écarté la possibilité de fragiliser le service public de gestion des déchets ménagers au profit d’une fausse consigne pour le recyclage des bouteilles en plastique" (voir notre article du 23 juin).

Un ardent besoin de fonds…

S’y ajoute selon lui des contribuables qui n’entendent "plus payer davantage encore pour les déchets" alors qu’on "demande par ailleurs aux administrés de faire toujours plus d’efforts". "Je ne sais plus aujourd’hui quoi leur dire", confesse l'élu, alors qu’avec la généralisation du tri à la source, il observe que "d’après une récente étude commanditée par la Fnade [Fédération nationale des activités de la dépollution et de l'environnement], les coûts supplémentaires sont estimés entre 7 et 22 euros par habitant et par an. Ramenés à la population française, ce seraient entre 469 millions et 1,476 milliard d’euros que les collectivités devront mobiliser". Et d’en déduire que "sans aide importante de l’État", l’atteinte de l’objectif "va demander des années. Je ne vois pas le bout du tunnel".

Certes, "des aides existent – en 2023, 90 millions d’euros via le fonds économie circulaire de l’Ademe, 65 millions d’euros via le fonds vert", convient Amorce. Elle les estime toutefois "clairement insuffisantes". "Surtout quand on sait que la TGAP déchets, censée incitée à l’économie circulaire, génère une recette estimée désormais à plus de 700 millions d’euro", s’insurge Gilles Vincent. Au-delà des enveloppes globales, Nicolas Garnier, délégué général de l’association, déplore surtout la faiblesse du taux d’aide par projet. "Vous pouvez prévoir des milliards d’aides pour favoriser l’achat de voiture électrique, mais si vous n’accordez qu’1 euro par voiture, votre enveloppe ne sera jamais consommée", explique-t-il. Amorce demande en conséquence "un financement à 100% des investissements" nécessaires à la mise en place du tri à la source des biodéchets — qui représenteraient 20% du surcoût total. Les surcoûts de fonctionnement resteraient à la charge des collectivités. In fine, l'Association estime que le tri à la source pourrait coûter à ces dernières "près de 700 millions d’euros par an sur les dix prochaines années".  

… de visibilité réglementaire…

Les finances ne sont toutefois pas le seul obstacle rencontré. Amorce pointe également l’absence de visibilité réglementaire. L’association réclame en premier lieu le maintien de la pluralité de solutions pour répondre à l’objectif : compostage individuel ou partagé, collecte séparée en porte-à-porte ou en point d’apport volontaire. Gilles Vincent continuant par ailleurs de plaider pour y "adjoindre une solution de traitement mécano-biologique", qui serait injustement décriée (voir notre article du 28 avril).

Relevant par ailleurs que "la méthodologie de calcul officielle de la France n’est toujours pas connue, en particulier pour comptabiliser le compostage de proximité", Amorce défend des indicateurs d’évaluation "simplifiés, équitables et harmonisés" : pour le compostage domestique ou la collecte en porte-à-porte, "des indicateurs basés sur le nombre d’équipements distribués aux usagers ou via une enquête" auprès de ces derniers et des collectivités ; et pour le compostage partagé ou la collecte en point d’apport volontaire, "des règles simplifiées qui reposent sur la densité d’implantation des dispositifs" (un élément pour X habitants).

Autre source d’inquiétude, et non des moindres, le fait que "le cadre règlementaire de plusieurs exutoires possibles (soit) encore à stabiliser". L’association demande que la règlementation sur les matières fertilisantes et les supports de culture – "attendue depuis près de 3 ans", souligne Gilles Vincent – soit enfin arrêtée - le projet de décret "socle commun" tardant à voir le jour. Elle prie également les utilisateurs potentiels de compost de confirmer les matières que les collectivités pourront leur apporter (voir notre article du 28 avril précité). Gilles Vincent y voit une "forme de responsabilité élargie des producteurs, puisque l’agriculture et l’agro-alimentaire sont à l’origine des biodéchets". 

"Le pire serait de faire des composts qui ne pourraient être utilisés", s’inquiète Nicolas Garnier (qui suggère par ailleurs la création "d’un véritable observatoire des sols" et "des valeurs limites tenant notamment compte de la nature des sols et des cultures"). Ce ne serait pas le moindre des paradoxes alors qu’il relève que "le monde agricole est très intéressé par les amendements organiques, qui enrichissent le sol, l’aèrent et retiennent l’eau" — une situation qui n’est pas sans rappeler celle de la réutilisation des eaux usées, qui peine toujours à s’imposer en dépit des besoins (voir notre article du 30 mars). Paradoxe qui serait d’autant plus incompréhensible selon lui que "la même rigueur n’est visiblement pas de mise pour d’autres substances", évoquant ici le récent prolongement par la Commission européenne de l’autorisation de l’herbicide S-métolachlore en dépit des réserves de l’Anses (voir notre article du 15 février).

Amorce souhaite encore que le cadre de l’injection de biogaz sur les réseaux et le soutien financier à ces projets soit "rapidement stabilisé", l’association convenant ici que "la publication de plusieurs textes le 10 juin [va] dans le bon sens" (voir notre article du 13 juin). 

… et d’une communication "avant tout locale"

Pour espérer relever le défi, l’Association souligne par ailleurs le besoin d’une communication "avant tout locale". "Un message généraliste porté au niveau national n’est pas envisageable au vu de l’hétérogénéité et des spécificités des territoires, dans un contexte où les solutions seront seulement en déploiement au 1erjanvier 2024", estime-t-elle. "En déploiement", et non "déployées", car pour Amorce, "la date butoir du 31 décembre 2023 ne doit plus être vue comme une obligation de généralisation, mais une obligation d’étude de faisabilité". Alors que les résultats de la France en matière de recyclage des déchets ne sont pas sans inquiéter Bruxelles (voir notre article du 8 juin), l’association souligne en effet combien le pays reste loin des objectifs à l’égard de leur tri à la source. Citant une enquête de l’Ademe de 2022, elle observe que seulement 6,3% de la population française serait desservie par une collecte séparée des biodéchets, que 14% disposerait d’une solution de compostage individuel et 2,2% d’une solution de compostage partagé. Présente, l’Administration a laissé entendre qu’elle se montrerait compréhensive et que les collectivités défaillantes ne seront pas sanctionnées les premières années. La question reste de savoir quand cette mansuétude prendra fin.