Cour des comptes - Prévention et gestion des déchets : intercommunalités et régions appelées à renforcer leur rôle

Dans son rapport annuel 2023, la Cour des comptes fait une nouvelle fois le constat du retard de la France en matière de réduction des déchets et de recyclage. Elle estime qu'une grande partie des solutions passe par les intercommunalités, pour promouvoir la prévention et le tri auprès des habitants, et par les régions. Elle appelle à un investissement accru de ces dernières dans la planification et le financement de la modernisation des installations de traitement.

Moins de six mois après son rapport alertant sur les insuffisances du pilotage de la gestion des déchets ménagers et sur les mauvaises performances du recyclage, la Cour des comptes réitère ses critiques. Dans un chapitre de son rapport annuel publié ce 10 mars, la Cour rappelle que la France ne figure pas parmi les pays européens les plus avancés pour la maîtrise du volume des déchets ménagers et assimilés (DMA), qui correspondent pour l’essentiel aux déchets municipaux produits quotidiennement par les foyers, principalement collectés en porte à porte (582 kg par habitant et par an), ni pour leur recyclage. La moitié encore non triée de ces déchets – soit 249 kilos d’ordures ménagères résiduelles (OMR) par habitant et par an –, pourrait ainsi faire l’objet d’une valorisation adaptée si les objectifs fixés par le cadre législatif et réglementaire instaurant une économie circulaire étaient respectés, soulignent les magistrats financiers.

"Mise en oeuvre insuffisante" de la politique de prévention et de gestion des déchets ménagers

Si la politique de prévention et de gestion des déchets ménagers repose sur "une organisation territoriale cohérente, articulant les interventions des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), des syndicats de traitement et, plus récemment des régions, sa mise en œuvre reste insuffisante", estiment-ils.

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Pour rappel, détaillent-ils, les EPCI disposent de manière obligatoire de l’ensemble des compétences du service public de gestion des déchets (SPGD). Le plus souvent, ils assurent directement la prévention et la collecte et confient le traitement (consistant à transporter, trier, recycler, incinérer et enfouir les déchets) à des syndicats de traitement intervenant sur une plus vaste échelle géographique. L’État et les régions interviennent pour leur part en recourant principalement aux outils de planification et de cofinancement.

Les intercommunalités et les enjeux de l'économie circulaire

Les intercommunalités sont dans ce cadre appelées à promouvoir la prévention et le tri auprès des citoyens. "Le meilleur déchet étant celui qu’on ne produit pas, le consommateur est invité à acheter des biens plus durables, qui produisent des déchets moins volumineux ou plus facilement recyclables et réparables, soulignent les magistrats. Pour faciliter cette évolution, l’État et les collectivités territoriales peuvent développer les moyens à leur disposition (écocontribution versée par les entreprises, réseau de réemploi)." Plusieurs territoires ont ainsi pu réduire de manière significative leurs quantités de déchets en participant à des actions nationales innovantes comme le programme "Territoire zéro déchet zéro gaspillage", le réseau de lutte contre le gaspillage alimentaire (Regal) ou la création de magasins proposant les articles en état de marche déposés en déchèterie, relèvent-ils.

Lorsque la production de déchets ne peut pas être évitée, le développement de la qualité du tri doit permettre d’en améliorer la gestion. "Le tri sélectif des biodéchets constitue à cet égard un enjeu majeur : au 31 décembre 2023, chaque citoyen devra disposer d’une solution lui permettant de ne pas jeter ses biodéchets, qui représentent encore un tiers des OMR, poursuivent-ils. Des expériences réussies de compostage partagé de proximité existent d’ores et déjà, y compris en zone urbaine dense."

Les collectivités territoriales devaient également permettre aux usagers de déposer la totalité des emballages composés de plastique (bouteilles et flacons mais aussi pots, barquettes, films, tubes, etc.), dans le bac jaune et les collecteurs de tri au plus tard le 1er janvier 2023. "Cependant cette échéance n’a pas pu être respectée sur tout le territoire", notent les magistrats. Pour faire financer ces actions par les contribuables, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, calculée sur la valeur locative foncière, reste la modalité de financement largement dominante, alors qu’elle n’a pas de lien avec les quantités de déchets produites par les usagers et donc pas de caractère incitatif sur les volumes, estiment-ils. Pour la Cour, l’efficacité de la tarification incitative est pourtant "confirmée" – des chiffres de l'Ademe montrent qu'elle permet de réduire de 41% la quantité d’OMR.

Des centres de traitement en quête d'investissements pour leur modernisation

Les syndicats départementaux de traitement sont pour leur part confrontés au "défi de la modernisation des installations", relèvent les magistrats. Si les installations de stockage ont déjà été renouvelées, les centres de tri doivent encore être adaptés et automatisés pour assurer le tri à la source des déchets plastiques et organiques, le nombre de plateformes de compostage et de méthanisation doit être augmenté et les installations de valorisation énergétique doivent être adaptées aux nouvelles normes européennes. "Un chemin significatif reste à parcourir pour rejoindre le niveau de traitement des pays les plus avancés, comme l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas et les pays scandinaves et surtout atteindre les objectifs fixés par le code de l’environnement", pointe la Cour.

Cette évolution implique selon elle que les opérateurs atteignent une "taille suffisante" pour réaliser des économies d’échelle et pour mutualiser les coûts d’exploitation et d’amortissement. Or, estime-t-elle, les syndicats de traitement ne disposent "ni des capacités financières et techniques ni du périmètre géographique adéquat pour faire face à ces investissements de modernisation, en assurer la gestion et les répartir sur le territoire de manière à assurer un bon équilibre entre proximité et efficacité dans la gestion des flux de déchets".

Un nouveau rôle pour les régions

Depuis la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Agec), les régions exercent un rôle de planification, d’animation et de coordination des EPCI et syndicats de traitement, rappelle la Cour. Elles interviennent aussi en matière d’assistance technique et de suivi des objectifs chiffrés à travers leurs observatoires régionaux. "Cependant, à ce jour, les plans régionaux sont insuffisamment précis pour répondre au besoin d’un maillage d’installations de traitement moderne et cohérent", constate la Cour qui estime que les régions pourraient "renforcer ces plans, y compris dans leur volet concernant le suivi sur leurs territoires des objectifs des éco-organismes" et aussi "augmenter leur participation au cofinancement des installations de traitement à l’occasion de la délégation récente à leur profit d’une partie des fonds 'chaleur' (transition énergétique) et 'économie circulaire', actuellement gérés par l’Ademe et destinés à accompagner la restructuration de l’outil industriel de traitement". Pour les magistrats, "il convient que les régions affirment leur rôle de planificateur, d’animateur, de coordonnateur et de cofinanceur des acteurs de l’économie circulaire en se saisissant de la faculté qui leur est ouverte par la loi de demander cette délégation de crédits de l’Ademe".

Ils formulent trois grandes recommandations. La première, qui s'adresse à la fois au ministère de la Transition écologique et aux régions, serait de confier dès cette année aux observatoires régionaux de la gestion et de la prévention des déchets le suivi de la mise en œuvre par les intercommunalités des objectifs nationaux. Ils proposent aussi aux régions de généraliser les contrats qu'elles peuvent passer avec les éco-organismes pour la déclinaison des objectifs nationaux de ces filières à leur échelle. Enfin, la troisième recommandation, destinée au ministère de la Transition écologique et aux régions, serait d'intégrer dans chaque contrat de plan État-région la délégation des crédits de l’Ademe en matière de transition énergétique et d’économie circulaire.

Délégation de crédits de l'Ademe dans les CPER : avis "défavorable" du ministre de la Transition écologique 

Une proposition à laquelle le ministre de la Transition écologique s'est dit "défavorable", dans sa réponse jointe au rapport, ajoutant qu’il s’agit d’une "possibilité donnée par la loi aux régions et non d’une obligation". Cette mesure nouvelle nécessite, selon lui, "un temps d’appropriation de la part des collectivités territoriales concernées de façon à pouvoir en tirer les enseignements avant d’étudier une éventuelle évolution législative du dispositif". En outre, "les CPER 2021-2027 venant d’être signés, la généralisation proposée supposerait donc d’engager la négociation d’avenant à des contrats tout juste signés". Concernant la première recommandation, le ministre souligne que "les données issues des EPCI sur l’atteinte des objectifs nationaux et européens doivent pouvoir continuer à être traitées et remontées pour les rapports annuels des autorités françaises à la Commission européenne" réalisés par le ministère, avec l’appui de l’Ademe et de l’outil Sinoe. "Un des enjeux pour éviter la multiplication de données potentiellement divergentes et continuer à remplir nos obligations européennes est donc de veiller à ce que les données des observatoires régionaux soient bien identiques aux données issues des EPCI telles que retraitées par l’Ademe et transmises ensuite au niveau européen", observe-t-il. Sur la relation entre les éco-organismes et les régions, le ministre écrit que "la loi Agec prévoit que les éco-organismes transmettent chaque année aux conseils régionaux, chargés de l’élaboration et du suivi du Sraddet, ou, le cas échéant, du PRPGD, différentes informations relatives aux activités des éco-organismes dans les territoires". L’arrêté, qui définit les données à transmettre, a finalement été publié comme indiqué par le ministre, fin 2022 (voir notre article du 14 décembre 2022).

Les régions veulent plus d'outils réglementaires et de moyens financiers

Dans sa réponse à la Cour, la présidente de Régions de France estime pour sa part que "bien que le transfert ait été conduit dans des conditions dégradées à tous égards, les régions ont su jouer pleinement leur rôle de chef de file de la planification des déchets, en l'absence de moyens financiers nouveaux". "À l'avenir, estime-t-elle, l'exercice de cette compétence requiert de mobiliser davantage d'outils réglementaires et de moyens financiers pour animer les plans et mettre en œuvre les feuilles de route sectorielles en appui des acteurs collectivités et opérateurs et construire dans le cadre de la relance une 'économie circulaire territoriale' au travers d’expérimentations, d’aides ciblées et de localisations sur toute la chaîne."

Carole Delga formule aussi plusieurs propositions pour "soutenir la trajectoire de réduction des déchets" – maintenir le calendrier de mise en place des futures filières REP (responsabilité élargie des producteurs) notamment dans le bâtiment ; s’appuyer sur les REP en place pour "assurer la continuité du service public et l’articulation des différents maillons de la chaîne et la préparation (déchetterie)" ; "fixer aux éco organismes une obligation de déclinaison régionale de leurs objectifs nationaux et plan d’actions en lien avec les régions pour favoriser le développement de solutions adaptées aux territoires" ; "assouplir davantage les modalités de modification/ révision future des plans régionaux déchets (PRPGD) dont la trajectoire pourrait être impactée par la crise et harmoniser les différentes procédures de modification/révision des Sraddet" ; "renforcer la mise en place d’une gouvernance régionale ; transférer aux régions la gestion (et pas la seule délégation) du fonds économie circulaire en lien avec l’Ademe ; "ouvrir le chantier de révision de l’affectation des recettes de la TGAP issue des installations d’élimination des déchets, avec un fléchage vers les collectivités dont les régions au titre de leur compétence de planification".

 

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