REP Déchets du bâtiment : "Si les objectifs et obligations ne sont pas tenus, Amorce se réservera le droit de se tourner vers la justice"
Retour du spectre de la consigne sur les bouteilles en plastique, mise en œuvre retardée de la REP Déchets du bâtiments (PMCB), projet de fusion des REP emballages ménagers et papiers graphiques… les fronts se multiplient pour les collectivités en matière de déchets. Sur tous ces sujets, l’association Amorce n’entend pas rester l’arme au pied, comme en témoigne Nicolas Garnier, délégué général de l’association.
Localtis - Bérangère Couillard recevait ce 30 janvier industriels, distributeurs, ONG, associations d’élus et de consommateurs… afin de lancer une nouvelle concertation sur la possible mise en place de la consigne des bouteilles en plastique. Que retenez-vous de ces premiers échanges ?
Nicolas Garnier - Cette concertation s’inscrit dans le prolongement de la loi Agec et elle a permis à l’ensemble des parties prenantes d’exprimer leur position. Concernant les représentants des collectivités, nous sommes tous dubitatifs quant à la mise en place de la consigne (voir notre article de ce jour). Pour être clair, cette mesure est selon nous une fausse bonne idée tant elle ne répond pas aux véritables enjeux environnementaux, et particulièrement à celui de lutter contre la pollution plastique. Cela coûtera également plus cher aux consommateurs ainsi qu’aux contribuables locaux, sans parler de la complexification du geste de tri après des années d’effort de simplification. Autant d’impacts environnementaux, économiques et sociaux alors que les collectivités attendent surtout des mesures fortes en faveur d’une meilleure maîtrise des coûts de gestion d’un service public des déchets, qui explosent actuellement, à la charge des collectivités et répercutés sur les contribuables. Nos messages ont bien été transmis.
Les dés ne sont-ils pas déjà jetés, avec la proposition de règlement de la Commission européenne qui entend rendre obligatoire, sauf dérogations, cette consigne sur les bouteilles et les canettes d’ici le 1er janvier 2029 (voir notre article du 2 décembre) ?
D’abord, le projet de règlement de la Commission reste un projet à ce stade. Dans le cas où il serait adopté en l’état, cela nous laisse 6 ans de marges de manœuvre, puisqu’il n’y aurait aucune obligation de la mettre en place plus tôt. J’ajouterais que des discussions que nous conduisons avec des représentants de la Commission laissent entendre qu’il pourrait y avoir une certaine ouverture, une certaine tolérance. Pour tout dire, je suis assez surpris que l’objectif de recyclage des bouteilles plastique focalise à ce point l’attention, comme s’il constituait l’alpha et l’omega en matière de gestion des déchets. Dois-je rappeler que nombre d’objectifs européens ne sont pas remplis sans que, malheureusement, cela n’émeuve personne ou presque ? Et ce, même en restant dans le seul domaine des déchets. Sera-t-on au rendez-vous des objectifs globaux fixés par la directive Déchets ? Quid des 65% de recyclage des déchets municipaux ou des 10 % maximum de mise en décharge d’ici 2035 ?
À propos d’objectifs non tenus, vous vous êtes récemment insurgés contre le report de la mise en place de la filière REP Déchets du bâtiment (voir notre article du 17 janvier). Qu’est-il ressorti de la réunion du comité de coordination qui se tenait ce 26 janvier ?
Qu’il y aura beaucoup, beaucoup d’autres réunions de ce type ! Les distributeurs semblent plutôt enclins à développer les services de collecte – ils y voient un moyen de fidéliser leur clientèle. Des déchèteries professionnelles doivent également être créées, avec le développement de la collecte sélective sur chantier. Reste que la tentation pourrait être grande pour certains de compter sur les déchèteries municipales dans les territoires où ces différentes solutions ne seraient pas déployées. C’est tout simplement inimaginable ! Aujourd’hui, le réseau capte principalement les déchets des PME, et plutôt les petites que les moyennes. Il n’est évidemment pas question qu’il récupère la production de déchets des moyennes et des grandes entreprises.
À court terme, je relève que cela fait désormais plusieurs mois que l’on attend les barèmes, mais que l’on n’a toujours pas d’offre de l’organisme coordonnateur. Que les choses soient claires : nous refuserons de voter l’agrément de ce dernier en l’absence de barème et de contrat.
Vous appelez les collectivités à arrêter une date de fermeture des portes de leurs déchèteries aux déchets du bâtiment si l’État n’acte pas la rétroactivité du versement dû aux collectivités sur les tonnes qu’elles collectent sélectivement depuis le 1er janvier et ne met pas en œuvre les sanctions prévues par le cahier des charges. À ce stade, en prend-on vraiment le chemin ?
Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement puisque l’État lui-même a indiqué fin décembre que le déploiement opérationnel de la filière aura lieu "dès le 1er janvier 2023". La REP, attendue depuis 14 ans, doit être effective ! L’État a fixé des objectifs dans le cahier des charges et doit s’assurer dès le début que l’on est sur la bonne trajectoire. Si les sanctions contre les contrevenants n’étaient pas prises, alors la loi Agec n’aura servi à rien.
S’agissant du versement rétroactif, je ne doute pas là non plus qu’il ne posera pas difficulté, puisque selon les éco-organismes tout est sous contrôle. Si d’aventure les objectifs et obligations n’étaient pas tenus, alors Amorce se réservera le droit de se tourner vers la justice.
Vous vous opposez à la proposition de loi du groupe Renaissance en cours d’examen qui entend fusionner la filière REP Emballages ménagers avec celle des papiers graphiques et des imprimés papiers (voir notre article du 23 janvier), qui constituerait selon vous un "très mauvais signal". Quel est-t-il ?
Ce texte entend notamment exempter totalement la presse de participation à la filière REP, au motif qu’il ne faudrait pas mettre en péril la survie de ce secteur. La presse a toujours refusé de se voir appliquer le principe du pollueur-payeur, plus pour des raisons dogmatiques que financières. Toute la presse ne se porte pas mal, sans compter que le secteur est par ailleurs particulièrement subventionné par l’État. Pendant 16 ans, le faux-compromis de la contrepartie en nature, via la mise à disposition d’espaces publicitaires, lui a permis de s’exonérer de sa contribution. Contribuant ainsi à faire de cette REP la moins bien financée de toutes, et de très loin ! Mais la loi Agec a remis la presse dans le droit commun. À en juger, la filière a su trouver des relais pour tenter d’y échapper de nouveau. Si le texte devait être adopté, ce serait la première fois depuis la création des REP qu’un gisement serait sorti du champ d’application. Les éditeurs de presse ne seraient tout simplement plus incités à réduire leur impact environnemental. C’est un dangereux précédent. Faudra-t-il, selon cette logique, exempter de contributions toutes les entreprises en difficulté ?
S’agissant de la fusion de ces deux filières, nous redoutons qu’elle aboutisse à une baisse de la prise en charge des frais spécifiques à la filière papier. Or s’il est indéniable que les flux de cette dernière sont à la baisse, les collectivités doivent toujours disposer de capacités pour les gérer, et ont donc toujours besoin de ressources pour couvrir les coûts fixes.
Dans les deux cas, le constat est toujours le même : ce sont des ressources qui disparaissent pour les collectivités. Et au final, c’est le contribuable qui paye la note.
Quel est l’état de vos relations avec les éco-organismes, avec lesquels vous êtes rarement tendres ?
Nous ne sommes ni durs ni tendres, pour reprendre votre expression. Nous nous bornons seulement à rappeler chacun à ses obligations, que ce soit l’État ou les éco-organismes. Tous sont d’ailleurs venus la semaine dernière à nos 16es rencontres Amorce / éco-organismes. Nous avons tout simplement avec eux des relations franches et honnêtes. Et nous sommes souvent prêts à des compromis. Je relève d’ailleurs que si nous obtenons souvent des arbitrages favorables lorsqu’il s’agit de créer de nouvelles REP, il en va différemment dans leur mise en œuvre. À tel point que lorsque s’ouvrent des négociations, on se demande d’abord comment faire pour ne pas perdre…