Aménagement numérique - Très haut débit : un bilan 2014 plutôt satisfaisant
En cette fin d'année 2014, le plan France très haut débit poursuit une progression remarquée, avec même une certaine avance sur la feuille de route initiale. Certes plusieurs questions restent en suspens dans l'attente de décisions nationales – imminentes - comme l'adaptation du cahier des charges du fonds pour la société numérique (FSN), la régulation tarifaire des prix de gros pratiqués par les réseaux d'initiative publique ou encore les termes et la date de lancement de la future agence du numérique. Mais la plupart des clignotants sont au vert et invitent à un certain optimisme.
Un déploiement des RIP plus rapide que prévu
La principale surprise de l'année 2014 est sans conteste la forte appétence des collectivités territoriales dans le montage des projets de réseaux d'initiative publique (RIP). Aux derniers pointages effectués par la mission Très Haut Débit, 69 dossiers de demandes de subventions, couvrant 82 départements, ont été déposés au guichet du FSN. Ils représentent 8,5 milliards d'investissements publics à engager dans les cinq prochaines années. Aujourd'hui 34 dossiers ont déjà été validés partiellement ou définitivement par le Premier ministre, sachant que les dernières signatures remontent au début du mois d'août.
Rappelons que le processus décisionnel s'effectue en deux étapes : un accord de principe valide la conformité du projet par rapport aux règles fixées par le FSN et permet au porteur d'engager les travaux de déploiement de la fibre ; l'instruction du dossier se poursuit alors, de manière plus approfondie notamment dans le but d'affiner le montant des subventions attribuées ; à l'issue de ce processus d'environ douze mois, le dossier repasse devant le Premier ministre pour accord définitif ce qui déclenche le décaissement des premières aides au profit du bénéficiaire.
Depuis le lancement du plan France très haut débit dans sa nouvelle définition, quatre dossiers ont reçu un accord définitif (Auvergne, Calvados, Loiret et Haute-Marne) et 30 bénéficient aujourd'hui d'un accord de principe. Une prochaine vague de signatures devrait avoir lieu dans le courant du premier trimestre 2015. Elle pourrait inclure deux accords définitifs (Oise et Haute-Savoie) et quatre à sept dossiers supplémentaires pour validation de principe. Le rythme "accéléré" imprimé par les collectivités territoriales semble avoir pris de court les opérateurs. De fait, cette situation les embarrasse plus qu'elle ne les arrange. Elle risque de poser plus rapidement que prévu la question du co-investissement dans les RIP, autrement dit de la présence des opérateurs dans les territoires qui déploient la fibre, à un moment qui n'est pas des plus favorables.
Cahier des charges FSN modifié, attendu pour le début 2015
Cette marche rapide a fait remonter des freins et des difficultés qui ont conduit la mission à opérer un premier ajustement du cahier des charges du FSN, dont le respect des dispositions, soulignons-le, conditionne l'éligibilité aux subventions. La version modifiée se trouve désormais sur le bureau du Premier ministre. Elle introduit plusieurs assouplissements attendus, en particulier sur le financement du raccordement FTTH des sites prioritaires (voir notre article du 11 septembre 2014). La mission a suggéré qu'une ultime concertation, d'environ un mois, puisse être organisée avec les principaux partenaires du plan - associations d'élus, industriels et opérateurs - afin de consolider le consensus. Ce qui conduirait à une validation définitive dans le courant du premier trimestre de 2015.
Extinction du cuivre : des solutions progressives sont envisagées
En aval, sur le marché de détail, les derniers résultats de commercialisation des abonnements fibre confirment la forte appétence des consommateurs dans la zone dense malgré la forte concurrence d'un ADSL lui aussi performant. Orange a notamment maintenu son rythme de 11.000 nouveaux abonnés par semaine, au mois de décembre. Ces signaux sont importants car le rythme de transfert des usagers, de la boucle locale de cuivre vers les nouveaux réseaux fibre optique, commence à occuper les esprits. La seule dynamique du marché n'y suffira sans doute pas. C'est pourquoi plusieurs dispositions complémentaires sont en préparation, à commencer par la régulation de la tarification des réseaux publics, censée, par des prix ajustés, à la fois faciliter la montée en régime du co-investissement par les opérateurs, et ne pas entraîner les acteurs publics dans une spirale déflationniste. Ce sera sans doute un des principaux défis que le successeur de Jean Ludovic Silicani à la présidence de l'Arcep, aura à relever en 2015.
L'autre vecteur d'accélération du basculement sur les réseaux FTTH est l'extinction programmée de la boucle locale de cuivre. C'est pourquoi le rapport de la mission Champsaur et ses conclusions étaient très attendus. Initialement, ce rapport devait être remis à Axelle Lemaire le 18 décembre, mais la date a été reportée au mois de janvier 2015, pour ajustements de dernière minute.
Selon nos informations, la mission proposerait entre autres des solutions de bascule progressive. Une première étape consisterait à qualifier des zones fibrées ayant atteint un niveau de complétude élevé. Une fois identifiées et validées, ces zones feraient l'objet d'une régulation tarifaire plus favorable à la fibre, mais dans un cadre incitatif et non coercitif comme certains médias l'ont annoncé ces derniers jours. Ces dispositions iraient dans le sens de certaines initiatives réalisées localement par Orange. Au cours des derniers mois, l'opérateur a mené plusieurs expérimentations visant à ne plus cuivrer les immeubles neufs ayant fait l'objet d'un fibrage intégral. La première initiative d'envergure, menée sur l'éco-quartier Jinko (agglomération bordelaise) qui compte 2.500 logements équipés, semble financièrement très concluante. Orange poursuit ses travaux d'ajustement avec la mission THD et l'Arcep en prévision d'un déploiement plus systématique qui pourrait se généraliser dès l'année prochaine.
La BEI… et peut-être aussi les investisseurs anglais
Ainsi, les stratégies d'accélération de la bascule d'une technologie sur l'autre se mettent peu à peu en place. Mais il est à prévoir un passage délicat pour certaines collectivités territoriales engagées dans des projets. Les grands opérateurs privés ne pourront pas investir simultanément sur l'ensemble des RIP, aussi on peut supposer que certains réseaux devront patienter pour obtenir leurs premières recettes significatives et en conséquence trouver des solutions palliatives.
Or, première bonne nouvelle, le gouvernement a signé ce vendredi 19 décembre une convention de prêt avec la Banque européenne d'investissement (BEI) sur le financement des projets de RIP. L'opération vise à favoriser l'accès des porteurs de projets à des prêts bon marché susceptibles de compléter ceux de la Caisse des Dépôts limités à 50% du montant des investissements (voir notre article du 17 décembre). Ils devraient permettre aux collectivités de lisser leurs charges financières dans les premières phases de déploiement. La seconde bonne nouvelle viendrait des investisseurs anglais qui, selon Antoine Darodes, directeur de la mission THD, seraient prêts à investir massivement dans les RIP. Mais il conviendra de s'armer de patience pour en savoir un peu plus sur les conditions de leur présence sur ce marché.
Agence du numérique, création imminente
Pour mener à bien ses missions d'accompagnement notamment auprès des collectivités, la mission va doubler ses effectifs au premier trimestre 2015 et passer ainsi de 10 à 20 personnes. Elle devrait à cette occasion rejoindre l'Agence du numérique dont la création est imminente. Le projet de décret est également à Matignon pour les ultimes arbitrages. Une fois effectués, il restera à consulter les syndicats présents à Bercy, puisque l'agence, en tant que service à compétence nationale, sera rattachée directement à la direction générale des entreprises (DGE). Dans ce scénario, si tout se passe comme prévu, la création pourrait être annoncée à la fin du mois de janvier. Reste encore à trouver des locaux et à nommer un directeur.
Les défis à relever en 2015 ne manquent pas. Mais dans la grisaille ambiante, il est plutôt rassurant de constater que ce grand projet d'aménagement poursuit sa progression et semble même en mesure d'avaler les obstacles au fur et à mesure qu'ils se présentent. C'est de bon augure pour la suite. Un industriel de la fibre résumait bien la situation et peut-être aussi sa satisfaction retrouvée : "Maintenant que le cadre réglementaire, politique concurrentiel est en place, surtout ne changeons plus rien et allons-y, déployons. Notre filière industrielle est mobilisée et prête à accompagner ce fort potentiel de croissance et de création d'emplois." Dont acte.